Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

31/08/2019

Le Grand Meaulnes d'Alain-Fournier

Le grand meaulnes.jpgL'été, bien que souvent pauvre en lectures (et celui-ci aura clairement battu tous les records), j'aime revenir à l'exigence et au confort des classiques.
Il se trouve que j'ai loupé le coche de la lecture du Grand Meaulnes à l'adolescence et en avais développé depuis un préjugé sans fondement à base d'ennui et de clichés en tous genres. Il représentait pour moi, alors même que je n'en avais lu un mot, la tarte à la crème d'une certaine littérature un peu niaise - c'est quand même fou l'avis tranché et péremptoire qu'on développe parfois à propos de bouquins, d'auteurs et, plus largement, de sujets dont on ignore tout. Ce qu'on appelle le complexe du melon. Bref, c'est entre autres la raison pour laquelle il ne m'était jamais venu à l'idée de le proposer en lecture à mes ados avant que l'un d'eux ne me le demande pour l'objet d'étude sur l'amour en quatrième. Évidemment, j'ai accepté et évidemment, son enthousiasme après lecture m'a interpellée. Voilà donc un jeune homme de treize/quatorze ans bien moins pétri de préjugés que moi et bien plus capable que moi d'apprécier un classique de la littérature française. Se rappeler à un peu plus d'humilité, voilà entre autres (again) pourquoi j'adore mon métier. Et voilà, entre autres (jamais deux sans trois), pourquoi je suis partie en vacances avec Le Grand Meaulnes dans ma valise.

François Seurel, notre narrateur, est fils de l'instituteur de Sainte Agathe. Il a quinze ans au début du récit et mène une vie relativement plate dans ce petit bourg de province jusqu'à l'arrivée d'Augustin Meaulnes. Ce dernier, de deux ans son aîné, se révèle charismatique, espiègle et intelligent au point qu'il devient naturellement en un rien de temps le chef de toute la bande de garçon du cours supérieur. François développe avec lui une relation particulière puisqu'ils dorment tous deux dans le grenier de l'école. Aussi, après une escapade de quatre jours à l'issue de laquelle Meaulnes rentre tout penaud et silencieux, il finit par conter à François son aventure : la découverte d'un manoir peuplé d'une foule déguisée de manière improbable pour un mariage mystérieux. Au cour de cette fête, Meaulnes fait la connaissance d'un jeune homme en détresse et d'une jeune fille dont il tombe immédiatement amoureux. Une fois la fête terminée, il se fait reconduire chez lui, ignorant tout du lieu qu'il quitte. Il ne lui importe plus, ainsi qu'à François lorsque le secret lui est dévoilé, de percer le secret du domaine enchanté et de la jeune fille qui s'y trouve.

L'hybridité générique du récit est pour moi, qui m'attendais à une simple bluette un peu fanée, une première surprise. Tout se met en place comme un court roman réaliste, à l'image de ceux de Maupassant, dans une langue très abordable. Le cadre spatio-temporel est posé clairement dès les trois premières lignes et les personnages sont brossés à grands traits simples, parfois un peu caricaturaux (spéciale dédicace à l'instituteur père du narrateur). Et puis, au détour de cette autoroute du réalisme dix-neuvième surgit le merveilleux qu'on n'a pas vu venir. Nous voilà à l'entrée d'un château enchanté après une errance angoissée dans les bois comme le père de Belle aux portes du palais de la Bête ! Quelle étrange tournure prend alors le récit ! De bout en bout, Alain-Fournier inscrit ce merveilleux dans le réalisme le plus limpide, et cet entremêlement rend l'ensemble profondément original et sensible, d'autant plus qu'il restitue finement les premiers émois amoureux passionnés de l'adolescence.

Mais ça ne s'arrête pas là. Le propos, beaucoup plus sombre que je ne l'imaginais, se révèle une seconde surprise de taille. Cet amour naissant est teinté dès son commencement d'une nostalgie qui lui donne, à peine esquissé, la profondeur du regret. Malgré l'action perpétuelle de Meaulnes puis de Seurel pour toucher à nouveau du doigt le bonheur de l'aventure improvisée de jadis, l'absence brille et le retour semble impossible. Le Grand Meaulnes est un roman du passage à l'âge adulte, plein de mélancolie et de désillusions, où rien ne semble pouvoir racheter le merveilleux et l'élan de l'enfance évanescente. Cette tentative d'en retenir les paradis étranges et envolés touche le lecteur adulte qui comprend tous les âges des deux protagonistes.

Encore une preuve, s'il était besoin, que les classiques sont pour tous les âges, surtout ceux que l'on croit (à tort) dévolu à un âge en particulier et qu'il est bon de ne s'en lasser jamais. J'en ai entamé d'autres depuis, plus conséquent, et qui ne seront pas finis avant longtemps, je le crains. Peu importe, l'essentiel réside dans ce voyage fascinant de la lecture.

Pour la première fois me voilà, moi aussi, sur le chemin de l'aventure. Ce ne sont plus ds coquilles abandonnées par les eaux que je cherche, sous la direction de M. Seurel, ni des orchis que le maître d'école ne connaisse pas, ni même, comme cela nous arrivait souvent dans le champ du père Martin, cette fontaine profonde et tarie, couverte d'un grillage, enfouie sous tant d'herbes folles qu'il fallait chaque fois plus de temps pour retrouver... Je cherche quelque chose de plus mystérieux encore. C'est le passage dont il est question dans les livres, l'ancien chemin obstrué, celui dont le prince harassé de fatigue n'a pu trouver l'entrée. Cela se découvre à l'heure la plus perdue de la matinée, quand on a depuis longtemps oublié qu'il va être onze heures, midi... Et soudain, en écartant, dans le feuillage profond, les branches, avec ce geste hésitant des mains à hauteur du visage inégalement écartées, on l'aperçoit comme une longue avenue sombre dont la sortie est un rond de lumière tout petit.