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14/11/2013

Un roi sans divertissement de Jean Giono

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Un roi sans divertissement de Jean Giono, ed. Folio, 1946, 240p.

 

Un roi sans divertissement s'inscrit dans le cycle des Chroniques dont il est le premier volume et explore à ce titre un fait divers à travers une pluralité de narrateurs-témoins. Il prend place dans une société et une géographie bien particulière : ici les Alpes profondes entre Isère et Drôme. Dans cet espace empêtré de neige et de brouillard, au milieu du XIXe, une jeune femme disparait mystérieusement. Peu de temps plus tard, un second habitant échappe de peu à un semblable enlèvement. La peur étrangle toute la petite communauté et l'on dépêche sur place le capitaine Langlois qui ne parvient pas à empêcher une deuxième disparition. Ainsi s'égrènent plusieurs hivers jusqu'à ce que le meurtrier, un homme comme les autres, soit rattrapé et tué. Après cette affaire, Langlois démissionne, devient commandant de louveterie et intègre le village. Durant cette vie âpre et dans la solitude pesante de la neige, il approche ce sentiment de vacuité qui avait conduit jadis le meurtrier à son étrange divertissement.

L'écriture extrêmement orale de Giono, son emprunte rurale et l'ennui comme noyau dur du propos pourraient être imagés comme un cocktail de Céline, Pierre Michon et Flaubert - bien que ce résumé à l'emporte-pièce n'est pas entièrement satisfaisant et ne rend pas justice aux nombreuses qualités littéraires du roman. Un roman sans divertissement est clairement un livre exigeant. Le grand nombre de narrateurs, qui se succèdent sans crier gare, réclament une attention accrue, d'autant que le récit se fait sur le ton de la confidence autour du feu : le style laisse une large part aux circonvolutions de l'oral qu'il faut parvenir à suivre à l'écrit. Le premier narrateur du livre est anonyme et postérieur à l'affaire de deux générations (me semble-t-il). Il revient dessus, tente de la comprendre. Par la suite, d'autres prendront le relai : des vieillards sachant vieillir, puis Saucisse... Eux sont de véritables témoins et s'enchâssent les uns dans les autres [Le premier narrateur recueille le témoignage des vieillards qui eux-mêmes ont recueilli jadis le témoignage de Saucisse]. Bref, les narrateurs et donc les points de vue sont multiples. On s'enroule pour démêler tout d'abord l'affaire de meurtre puis pour démêler la personnalité complexe de Langlois.

Car soyons clairs : on parle souvent de trame policière pour cette chronique mais elle ne tient, dans les faits, que 80pages. A partir du moment où le meurtrier est rayé de la carte, le roman prend une tournure beaucoup plus psychologique centré autour de la figure de Langlois - charismatique, taiseux, solitaire et énigmatique. Il a semblé comprendre avant tout le monde l'esprit du tueur ; à présent il s'agit de comprendre ce qui l'a mené lui-même à un acte irréparable. Tout le roman se fait sous un angle rétrospectif, travaillé constamment d'allers et venues dans le temps. Ceux qui racontent savent ce qui est arrivé ; ce n'est pas le cas des lecteurs qui doivent deviner. Cette écriture elliptique, également signe d'oralité, en rajoute à l'exigence de lecture. Le fameux acte de Langlois révélé en toute dernière page du roman tombe comme un couperet à la fois fantaisiste et tragique. Le cœur de cette affaire est l'ennui qui englue et précipite dans la noirceur, "la plus grande malédiction de l'Univers" dira Giono. L'ennui comme exact pendant au divertissement, seul capable de l'extirper de la vie humaine. Le divertissement se révèle absolument nécessaire, quel qu'il soit : une procession de Noël, avec la panoplie éblouissante du prêtre et les encensoirs majestueux, ou le meurtre. Langlois, au fond, n'a-t-il pas si bien compris le meurtrier que parce qu'il lui ressemble ?

A travers ce roman, Giono pose plusieurs questions : Stylistiques tout d'abord tant son écriture et l'univers qu'il crée sont pointus, métaphysiques d'autre part, car cette question de l'ennui comme composante ontologique de l'existence est noué à un défaut d'inspiration (et peut-être de foi ?). A cet égard, j'aurai pu relever un certain nombre d'images qui jalonnent le texte et qui ne sont pas sans rappeler une imagerie iconique mais je vous laisserai la découvrir.
Je dois néanmoins avouer, malgré une reconnaissance évidente du talent de l'auteur, que je n'ai pas du tout adhéré à cette lecture. Je crois qu'Un roi sans divertissement est typiquement le genre de livre qui emporte ou laisse sur le carreau : il n'y a pas d'entre deux tant style et propos sont particuliers. Je ne suis pas fan à la base d'écritures empruntent d'oralité - ce qui était mal parti pour ce roman... Quant à la thématique de l'ennui, autant je l'aime passionnément dans la poésie baudelairienne, autant je crois avoir du mal dès lors qu'elle est romanesque. L’Éducation sentimentale de Flaubert - LE livre sur l'ennui - m'avait effectivement ennuyé au plus au point ; ici j'ai ressenti exactement le même désintérêt saisissant. Comme ça ne m'était pas arrivé depuis bien longtemps. Autant dire que je fais partie des laissés sur le carreau. Que cela ne vous rebute pas néanmoins : j'en ai entendu de vifs éloges par ailleurs. Il faut donc absolument le tester pour savoir si ce livre est fait pour vous ou pas.

 

 

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8eme participation

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Commentaires

Je l'ai lu au lycée, et je crois que j'avais apprécié parce que le prof avait expliqué plein de choses intéressantes. En tout cas, ton article me donne envie de le relire pour voir si aujourd'hui je l'aime ou pas !

Écrit par : Séverine | 14/11/2013

Je te rejoins : ça change sans doute la donne d'en avoir un commentaire éclairé. Cela dit, perso, c'est surtout l'oralité de l'écriture et les longueurs qu'elle induit qui m'ont pesé.

Écrit par : Lili | 14/11/2013

J'avais adoré Le hussard sur le toit, lu pour l'école. Mais j'avoue qu'aujourd'hui, ce genre d'auteurs ne me tentent plus du tout.

Écrit par : Manu | 14/11/2013

Pour ma part, c'était ma première lecture de Giono. Je n'ai jamais eu l'occasion de le lire pendant mes études.

Écrit par : Lili | 15/11/2013

Oulala, Jean Giono je l'ai lu au collège (un seul livre, je ne m'en souviens plus vraiment, j'ai juste une image de verdure en tête). Depuis je n'ai pas eu idée de lire autre chose de lui.

Écrit par : Ankya | 19/11/2013

Pour le coup, je m'y attaque tardivement ^^

Écrit par : Lili | 20/11/2013

Les commentaires sont fermés.