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01/09/2015

Le grand sommeil de Raymond Chandler


Le grand sommeil de Raymond Chandler, Folio policier, 1999 [1939], 252p.

 

J'aime globalement le roman policier à toutes les sauces.  Les drôles et les flippants, ceux qui jouent sur le sang ou les ressors psychologiques ; j'aime même les bons vieux whodunit avec un détective moustachu ou les policiers rigolos qui tournent à peu près tout en dérision. Mais mon petit penchant court indéniablement vers le roman noir américain des années 30 à 60, où les femmes sont toujours plus belles et désarmées, les détectives plus solitaires et surtout plus alcooliques que jamais (l'un est souvent la conséquence de l'autre d'ailleurs) et où chaque ligne se lit encore mieux avec un vieux morceau de jazz en fond sonore. Alors évidemment, pour cette raison et parce que Raymond Chandler fait partie des écrivains canoniques de ce genre littéraire, je ne pouvais débuter l'auguste mois américain de Titine avec un autre titre que cet excellent Grand Sommeil !

Il nous offre pour la première fois le très privé Philip Marlowe. Seul, impertinent et efficace, il fait partie de ces loups solitaires trop hors normes pour travailler dans la police mais suffisamment brillant pour être recommandé de partout. Il se trouve appelé par le vieux général Sternwood à l'article de la mort pour résoudre quelque affaire de chantage - conséquence sans originalité de la vie dissolue de ses deux filles : Vivian accumule déjà trois mariages au compteur et joue à la roulette comme une dératée ; Carmen renifle, bois ou fume à peu près tout ce qui passe, se retrouve à poil dans n'importe quel plumard et fait, à l'occasion, une ou deux crises d'épilepsie. Autant dire que Sternwood n'est plus à un chantage près avant de mourir. Philip Marlowe est engagé pour éclaircir cette histoire et, si possible, mettre le corbeau hors d'état de nuire. Un point c'est tout. C'est néanmoins beaucoup trop simple, vous vous en doutez, tant un certain nombre de rencontres et d'indices tendent à orienter Marlowe vers une autre affaire - qui pourrait bien être reliée à la première : la disparition mystérieuse du dernier mari en date de Vivian. Vue l'insistance avec laquelle tout le monde lui parle de ce cas, Marlowe finirait presque par être titillé...

Ne vous méprenez pas sur le titre ! Bien que L'Assommoir assomme fréquemment quelques lecteurs, vous ne vous endormirez pas sur vos lauriers avec Le Grand Sommeil. Autant il m'est arrivé de trouver de la lenteur au vieux polars noirs américains, et un côté suranné qui tendait plus vers l'ennui ou le rire (forcément, avec le poids des ans, pas mal de ressors sont devenus des clichés) que vers la nostalgie heureuse - ça avait été le cas avec ma découverte de Dashiell Hammet -, autant ça n'a pas été le cas ici. J'ai vraiment trouvé une qualité narrative et stylistique des plus plaisante à ce roman de Chandler. Ok, certains passages et notamment l'incipit ne cassent pas trois pattes à un canard : les écrivains de ce genre littéraire ne sont pas connus pour leurs descriptions subtiles ou enlevées. Le descriptions ici sont plutôt d'une platitude intersidérale. Soit. Par contre, le roman en lui-même est parfaitement savoureux. On reconnaît parfaitement cette ambiance typique du roman noir : rencontres brèves, phrases saccadées, mystère qui monte en épingle, personnages pleins de gouaille et de faiblesses, dialogues de sourds entrecoupés de whisky et de cigarettes, cynisme à tire l'arigot... Indéniablement, la plume de Chandler est l'archétype génial de ce qui deviendra un style à part entière plus tard ; un archétype qui n'a rien de figé malgré les années et qui se lit encore avec un délice certain.

Quant à l'intrigue, par laquelle souvent le bât blesse aussi, elle n'est ni ennuyeuse ni surfaite. Chandler a l'intelligence de renouveler son propos en apportant simultanément, à mi-parcours du bouquin, la réponse à une énigme et une nouvelle interrogation. Ainsi, l'intérêt du lecteur et le souffle narratif se trouvent relancés sans artifice, toujours dans une cohérence subtile, qui fait progresser le regard avec une joie non dissimulée.

Et puis, s'il vous fallait une raison supplémentaire de tester ce classique du genre, vous aurez le deuxième effet kiss cool de la joie en découvrant qu'il a été adapté au cinéma en 1946 par Howard Hawks avec les excellentissimes, que dis-je les légendaires Humphrey Bogart et Lauren Bacall. RRrrr, rien que d'y penser, j'en frissonne encore !

 

Le mois américain.jpgLe mois américain 2015 chez Titine

1ère lecture