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11/03/2013

Mrs Dalloway de Virginia Woolf

On le dit souvent durant les années universitaires : "Tu verras, les oeuvres sur lesquelles tu bosses pour ton mémoire, tu n'y retoucheras plus avant un moment, quel que soit l'amour et l'admiration que tu leur portes. Une sorte de deuxième effet kiss cool de les avoir trop lues et décortiquées pendant un ou deux ans." Et je dois dire, malgré la circonspection que cela m'inspirait à l'époque, que je n'ai pas échappé à la règle : je n'avais donc pas retouché depuis plusieurs années à Mrs Dalloway, un des trois romans sur lequel portait mon mémoire de littérature comparée. Dieu sait pourtant que je voue un culte sans borne à l'auteur et à ce livre en particulier mais il faut croire que l'effet mémoire n'épargne rien ni personne. Il finit heureusement par s'estomper avec le temps et c'est donc comme deux vieux amants se retrouvent après une longue absence que j'ai refait connaissance avec Mrs Dalloway.

 

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Mrs Dalloway de Virginia Woolf, ed. Folio Classique, traduction de Marie-Claire Pasquier, 1925, 327p. (dont 58 d'introduction)

 

L'étape du résumé sera extrêmement courte pour la simple et bonne raison qu'il n'y a rien à résumer. Non pas qu'il ne se passe rien, bien au contraire - il se passe l'essence même de la vie - mais à l'image du refus de Woolf pour le roman réaliste empesé qui recréait une réalité purement factive, elle ne s'intéresse point tant aux actes et aux évènements qu'aux consciences. Ainsi donc, le roman retrace  certes une fameuse journée de juin de Mrs Dalloway mais au fond, vous n'en apprendrez pas grand chose. Car ce n'est pas cette réception qu'elle organise qui est intéressante, pas plus que les petits faits qui auraient pu s'y greffer mais le personnage de cette femme mûre aux allures de geai, cette Mrs Dalloway entre deux âges et entre deux périodes de sa vie qui "se sentait très jeune ; et en même temps, incroyablement âgée. Elle tranchait dans le vif, avec une lame acérée ; en même temps elle restait à l'extérieur, en observatrice. Elle avait le sentiment, en regardant passer les taxis, le sentiment d'être loin, loin, quelque part en mer, toute seule ; elle avait perpétuellement le sentiment qu'il était très, très dangereux de vivre, ne fût-ce qu'un seul jour." Et autour de cette femme, de nombreux personnages au gré de son mouvement, que le lecteur suit en un flux ininterrompu de pensées, de réflexions tantôt purement anecdotiques tantôt d'une fulgurante poésie. Parmi eux, le jeune Septimus Warren Smith au nez en bec d'aigle (tous deux des oiseaux, voyez-vous) - héros de guerre aujourd'hui plongé dans une folie mystique. Pour lui aussi, vivre est devenu la plus difficile des épreuves, incompris même par sa propre femme qui aurait préféré qu'il soit mort au front plutôt que de devenir ça.

La première évidence qui me saute au yeux tandis que je relis Mrs Dalloway est qu'il fait partie de ces romans qu'il faut absolument lire dans un état d'esprit favorable, une disposition d'esprit particulière. Rien ne sert de se motiver à sa lecture en se disant qu'il s'agit d'un "classique qu'il faut avoir lu". Je crois vraiment qu'il vaut mieux ne jamais le lire du tout plutôt que de s'y forcer sous peine de s'y ennuyer encore plus que devant un Derrick (et c'est une amoureuse de Woolf qui vous le dit). De la même manière qu'il s'agit d'un roman de sensations, d'émotions, d'impressions fugaces, il faut soi-même être ouvert à tous ces petits éléments silencieux et d'une infime délicatesse et bien comprendre qu'on ne trouvera rien ici qui tient d'une histoire.(Et c'est encore pire si vous lisez Les vagues, d'ailleurs)

Au fond, le phrasé de Virginia Woolf se lit comme on lirait un recueil de poésie, avec cette même attention aux détails sensibles et cette même suprématie de l'intériorité.
Qui est cette Clarissa Dalloway ? Une femme aux mille facettes comme l'est chacun d'entre nous. Est-elle cette femme un peu précieuse, un peu snob, qui organise avec habileté une réception dans la plus pure tradition anglaise - corsetée de petits riens ? Après tout, Peter Walsh ne dit-il pas avec ironie qu'elle a toujours été "la parfaite hôtesse"? Est-elle cette jeune fille de Bourton, qui se protégeait d'un drap d'insensibilité malgré sa fraîcheur adolescente ? Est-elle cette mère incertaine, cette femme mariée à Richard Dalloway, cette amoureuse de Londres, cette femme sereine ou cette femme qui pourrait mourir d'un instant à l'autre ? Mrs Dalloway est tout cela à la fois car elle caractérise la fragilité émouvante du vivre de chaque être humain ; de la vie même de Virginia Woolf aussi, surtout.

Pourtant, au gré des heures frappées par Big Ben et de "ces cercles de plomb qui se dissolvent dans l'air", l'auteur appose en parallèle de cette balade à la fois "initiatique et nostalgique", l'empreinte de spectres plus noirs : ceux de la folie et de la mort. Ce n'est pas Mrs Dalloway qui plonge dans ce gouffre - elle reste toujours en équilibre sur le fil ténu de la vie. Ce qui la retient précisément sur ce fil est exploré douloureusement par son double cathartique, le vétéran Septimus Warren Smith. Et là où Virginia Woolf se révèle d'un génie fulgurant, c'est qu'elle ne se contente pas de creuser avec Septimus les affres de ces noirs continents qu'elle connaissait elle aussi par périodes. Elle en profite pour faire le procès d'une Angleterre pétrifiée par sa gloire et son Histoire qui ne sait pas évoluer au sortir de la première guerre mondiale. On sent bien présente à de nombreuses reprises cette grande guerre dont chacun porte encore le douloureux fardeau : "Entre le début et la fin de la phrase, il s'était passé quelque chose. Quelque chose de si ténu, dans certains cas, qu'aucun instrument de mesure, fût-il capable d'enregistrer un séisme en Chine, n'aurait pu en recueillir les vibrations ; d'une plénitude impressionnante, pourtant, et suscitant une émotion collective ; car chez tous les chapeliers et chez tous les tailleurs, de parfaits inconnus échangèrent un regard et se mirent à penser aux morts ; au drapeau ; à l'Empire. [...] Car, en disparaissant, l'agitation de surface déclenchée par le passage de l'automobile avait effleuré quelque chose de très profond." Malheureusement, loin d'en tirer des leçons d'évolution, l'Empire se drape dans son rôle de vainqueur, se solidifiant ainsi qu'une statue :"Des garçons en uniforme, armés, avançaient au pas en regardant droit devant eux, au pas, les bras raides, avec sur le visage une expression qui rappelait les légendes gravées sur le socle des statues, ces légendes qui vantent le devoir, la gratitude, la fidélité, l'amour de l'Angleterre". Et sous cet apparent hommage, on ne peut que constater que la jeunesse porte en elle les morts de la guerre et la mort même d'une certaine Angleterre au lieu de porter un avenir florissant.
Et puis, Woolf fustige aussi ce pays qui rend hommage à ses héros uniquement s'ils sont morts et qui oublie savamment les autres, allant jusqu'à traiter comme des parias ceux qui ont l'indécence de souffrir de shell shock. Elle en profite évidemment pour faire aussi le procès de la médecine psychiatrique de l'époque qui n'avait rien de salvateur.
Ainsi le suicide de Septimus face à ses "médecins" qui n'écoutent pas, clament qu'il n'a rien, qu'il faut simplement "lui changer les idées" sonne comme une condamnation de l'auteur à leur égard.
"Il ne restait que la fenêtre, la fenêtre de la grande pension de Bloomsbury ; et la corvée assommante, pénible et plutôt mélodramatique d'ouvrir la fenêtre et de se jeter dehors. C'est l'idée qu'ils se faisaient de la tragédie, pas lui ou Rezia (car elle était de son côté). Holmes et Bradshaw aimaient ce genre de choses. (Il s'assit sur le rebord). Mais il attendrait jusqu'au dernier instant. Il ne voulait pas mourir. La vie était belle. Le soleil chaud. Mais les êtres humains... Descendant l'escalier d'en face, un vieil homme s'arrêta pour le regarder. Holmes était à la porte. "Vous l'aurez voulu!" s'écria Septimus, et il se jeta avec vigueur et violence, en bas sur les grilles de Mrs Filmer."


Je m'étais promis de ne pas écrire une chronique trop longue faite de réminiscences universitaires mais aussi concise que j'ai tentée d'être, ce roman fourmille de tellement de significations, tellement de mots sous les mots que je me suis laissée emporter. J'espère néanmoins que c'était plus intéressant qu'assommant et que ces quelques phrases vous donneront envie, un jour, de plonger dans un des livres les plus fascinants de la littérature anglaise du XXe siècle. Mais surtout, surtout, ne vous y forcez pas (j'ai lu trop de chroniques ahurissantes et blasphématoires - oui, oui - de lectrices qui ne savaient visiblement pas à quoi elles s'attaquaient et on fait un honteux amalgame entre leur ennui de lecture et l'absence d'intérêt du roman. Sans commentaire hein.)
Et si enfin, l'appel du livre vous prend, entre un rayon de soleil et la brise entre les feuilles d'un coquelicot, je vous souhaite de sentir comme j'ai senti l'éclatante permanence des êtres sous la mouvance des apparences.



 

1532670280.jpg2eme participation au Challenge Virginia Woolf chez Lou







Challenge-Genevieve-Brisac-2013.jpg3eme participation au Challenge "Lire avec Geneviève Brisac" chez Anis (Litterama)







Challenge les 100 livres.jpgChallenge "Les 100 livres à avoir lus" chez Bianca
Billet rétroactif 3

07/03/2013

Moisson de fin d'hiver !...

... Pour réchauffer ma PAL frileuse !

Non parce qu'après avoir fait preuve d'un certain self control pendant près d'un mois pour ne pas craquer (car il faut bien être raisonnable parfois), j'ai tout de même fini par chopper au vol des occasions internet fin février puis j'ai fêté l'arrivée de mon salaire en achevant de grossir ma PAL au gré de quelques librairies. On ne le dira jamais assez : Vivent les livres ! Voici donc en condensé ce que j'ai glané récemment :

 

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Dans la rubrique poche :

Et pour poursuivre la découverte d'auteurs que j'apprécie fortement en ce moment :

- Le vagabond des étoiles de Jack London : Un homme condamné d'abord à perpétuité puis à mort attend sa peine en s'évadant au gré de ses rêves depuis sa cellule. Considéré comme un des plus grands ouvrages de London, il me tarde de découvrir ce livre qui s'annonce puissant et magnétique.

- Kafka sur le rivage d'Haruki Murakami : Après l'envoûtement sublime de 1Q84, je ne pouvais que continuer à nager dans l'univers si japonais de Murakami ! Ce sera donc avec Kafka sur le rivage qui m'a été chaudement recommandé. J'ai hésité avec deux autres titres mais il a bien fallu me décider. Ce n'est que parti remise pour La fin des temps et La poursuite du mouton sauvage !

- Les mystères de Winterthurn de Joyce Carol Oates : Troisième et dernier volume de la trilogie gothique de l'auteur américaine, il semble que celui-ci nous mène vers quelques meurtres énigmatiques. Hâte de voir comment va se tramer cette nouveauté sous la plume ironique de Oates !

Et pour découvrir aussi, quelques nouveautés :

- Les mille automnes de Jacob de Zoët de David Mitchell : Ce bouquin me faisait de l'oeil depuis sa sortie. Un roman orientalisant et hallucinatoire au gré d'un jeune clerc, qui mêle aventure et histoire d'amour. Ce livre là s'annonce foisonnant, profond et labyrinthique - un univers tout nouveau !

- La ferme africaine de Karen Blixen : Un monstre des lettres danoises auquel je ne me suis jamais frottée et étonnamment, c'est en lisant un extrait cité dans 1Q84 que l'envie m'est venue de lire ce titre là. Persuadée jusqu'alors qu'il s'agissait à 100% d'un roman, il semble que l'ouvrage frise aussi le récit de vie et de voyages ; qu'il déploie une atmosphère et des émotions exotiques avant tout. Dès lors, j'ai vraiment hâte de le découvrir ! En plus, il s'inscrira dans le challenge "Lire avec Geneviève Brisac" sur le blog d'Anis.

- La carte du temps de Félix J. Palma : Une histoire victorienne de voyage dans le temps sous forme d'aventure délirante : Banco ! Que des ingrédients qui me séduisent. Le résumé indique qu'il s'agit du premier volume d'une trilogie en plus - j'ai un truc avec les trilogies en ce moment, je le sens bien héhé.

- L'hiver du fer sacré de Joseph Marshall III : Pays Sioux, XVIIIe siècle. Un français inanimé est recueilli par une tribu amérindienne. Tout a commencé à cause d'un tir de fusil - d'un fer sacré - et cela se poursuivra en apprentissage mutuel, en questionnement et en contrastes enrichissants.
J'ai depuis toujours un faible pour l'histoire et la spiritualité des indiens d'Amérique du Nord. Je ne pouvais donc pas passer à côté de ce bouquin sur lequel je lorgnais depuis plusieurs semaines. Avec un peu de chance, il s'inscrira dans un futur challenge de Missycornish ? ^^

- Le pion blanc des présages, premier tome de la Belgariade de David Eddings : Ok, celui-là, c'est complètement fortuit. J'ai eu le droit de le choisir pour deux poches achetés. J'ai opté pour celui-ci tandis qu'il y avait de la littérature américaine contemporaine a priori plus faite pour moi histoire de découvrir un peu de fantasy inconnue ! Wait and see !

 

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Dans la rubrique édition courante :

 

- Wilderness de Lance Weller : Un survivant de la guerre de Sécession vit, trente ans plus tard, reclu dans une cabane isolée avec son chien et ses souvenirs pour seule compagnie. Guidé par son passé, il part dans un dernier voyage durant lequel un indien dérobe son chien. Abel décide alors de partir sur leurs traces.
Aussitôt reçu, aussi piqué par monsieur ! D'après lui, un très bel ouvrage et une très belle écriture mais un sujet vraiment dur... Je suis très curieuse de le découvrir.

- La cité des oiseaux d'Adam Novy : D'après ce que j'ai feuilleté, il s'agit d'un roman un peu halluciné sur un univers parallèle souterrain peuplé de plusieurs nationalités et de plusieurs oiseaux. Je ne connais ni l'auteur (dont c'est le premier roman, en même temps) ni la maison d'édition mais j'ai beaucoup aimé le style et l'originalité du livre en lisant quelques pages. A voir !

- Et rester vivant de Jean-Philippe Blondel : Aussitôt reçu, aussitôt lu ! Une claque magistrale ! Je vous en reparle très bientôt par ici.

- Et le deuxième tome de Nemi de Lise Myhre : Aussitôt reçu, aussitôt lu aussi ! Toujours aussi frais, drôle et enlevé. Je suis décidément fan de cette trentenaire métalleuse qui refuse de grandir, picole comme un trou, respecte les animauix et envoie chier les factures. Je n'en ferai pas de billet car il serait sensiblement du même acabit que le premier (aucun intérêt à écrire comme à lire, donc) mais je vous mets un petit extrait qui m'a particulièrement fait rire :

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Bon, tous ces charmants ouvrages étant bien rapatriés sur ma PAL, je m'en retourne lire et amasser de quoi faire une prochaine moisson printanière héhé ! Belle journée, chers amis lecteurs !

07:01 Publié dans Divers | Lien permanent | Commentaires (16)

04/03/2013

Green Manor de Fabien Vehlmann et Denis Bodart

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Green Manor de Fabien Velhmann et Denis Bodart, ed. Dupuis, coll. Expresso, 48p.
Tome I - Assassins et Gentlemen
Tome II - De l'inconvénient d'être né
Tome III - Fantaisies meurtrières

 

Dans la très classe Angleterre victorienne, le Green Manor fait figure d'autorité : siège d'un des clubs les plus huppés de la capitale, il réunit les notables les plus éminents de la bonne société. Ainsi, s'y retrouvent médecins, hauts fonctionnaires, militaires de renom, juges et avocats pour échanger à batons rompus autour d'un cocktail et d'un bon cigare. Tous ont pignon sur rue ; tous sont irréprochables. C'est du moins, ce que tout le monde croit.
Car on découvre par l'ancien majordome du Green Manor que sous ce vernis impeccable se cache tout l'éventail de ce que l'humanité peut porter de noirceur cynique. Tantôt il s'agit de railler quelque meurtre, tantôt d'en commettre un, tantôt encore de créer des énigmes improbables qui rendront fou. On découvre que ceux qu'on pensait irréprochables sont au contraire de vives crapules en col blanc dont le hobbie favori est de fomenter quelques petits meurtres entre amis - toujours avec élégance néanmoins, il va sans dire !

Repéré sur le blog de Lou, cette série en trois volumes m'intriguait beaucoup ! Certes, je ne suis pas friande de romans victoriens mais j'aime par contre vivement cette période dès lors qu'elle est écrite ou croquée par nos contemporains. Et en effet, je n'ai pas été déçue ici : Le vif contraste entre le statut des personnages, leur flegme tout anglais et leurs propos acides crée une ambiance vraiment désopilante dont j'ai eu du mal à décrocher !
Vehlmann au scénario a su créer suspens, drôlerie et surprise à chaque nouvel épisode tandis que Bodart au dessin à allier un graphisme classique à un humour merveilleusement expressif.

Une série que je recommande vivement - et je vous recommande en outre d'aller lire la chronique de Lou sur le sujet !

 

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