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15/04/2013

Les New-Yorkaises d'Edith Wharton

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Les New-Yorkaises d'Edith Wharton, ed. Le Livre de poche, 2012 (ed. originale, 1927), 319p.

 

Le roman s'ouvre sur la journée trépidante et diablement organisée de Pauline Manford, charmante quinquagénaire new-yorkaise. Et à l'instar de Mrs Dalloway, elle est toute à sa réception du soir en l'honneur d'une parente exotique. Mais tandis que Virginia Woolf, à travers la journée de son héroïne et le monologue intérieur de ses personnages, brossait la pétrification d'une Angleterre vieillissante, Edith Wharton peint l'Amérique en plein essor, le faste, les fêtes et la liberté qui, bizarrement, ne semblent pas plus à envier.
Car en marge de ce quotidien minuté, la famille de Pauline Manford semble doucement se déliter. Tout doucement bien sûr, de telle sorte que les débris ne jaillissent pas trop sous le fard mondain. Et, pour tout le monde, ce fameux ennui qui semble la maladie du siècle...

Je referme ce livre de Wharton avec l'impression d'avoir lu la chronique d'une époque. L'auteure, que je découvre ici, semble avoir le regard acéré du sociologue en même temps que la plume aisée de la romancière. Certes, l'Amérique et, qui plus est, le New-York des années 30 est le vivier d'un renouveau perpétuel, the place to be pour qui voulait être au coeur même du mouvement. Pourtant, Wharton n'en donne pas une image aussi lisse et idéalisée qu'ont pu en garder les générations futures. Car dans ce mouvement, on décelle l'angoisse du temps, le besoin d'une fureur et d'un étourdissement permanent sous peine de se sentir désoeuvré. Ainsi notre protagoniste et son agenda surbooké qui, loin de donner un sens à sa vie par toutes ses occupations, tente au contraire d'en masquer l'absence flagrante.
Dans ce mouvement, on décelle également le mépris de l'oisiveté et le culte d'un pouvoir qui passe exclusivement par l'argent. Les livres ne remplissent les bibliothèques que pour faire joli mais tout le monde est trop fatigué pour se cultiver. Ce que l'on révère déjà se sont les longues journées passées au bureau pour produire de l'argent. Le culte en toc du business est en marche sous les paillettes attrayantes.
Et puis au fond, la conséquence de toute cette agitation sans fin, c'est la lassitude qui de même ne connait plus de repos. Tout va vite, tout doit changer, tout doit perpétuellement émoustiller. A force de recevoir toujours des électrochocs de nouveauté et de fêtes, le corps et l'esprit en deviennent accro comme à une drogue. Le calme et le défilé des jours n'est plus synonyme de sérénité et de douceur mais simplement d'un ennui terrible qui s'ouvre comme une plaie.
Le tout forme le tragique engrenage d'une époque qui aurait pu être un souffle d'opportunités et a en fait construit le socle de notre société contemporaine basée sur l'argent, la futilité et l'exagération. Je n'avais jamais autant saisi que dans cet ouvrage de Wharton, qui développe cette satire sociétale avec beaucoup de subtilité, à quel point les années folles n'ont rien de si plaisant...

Une lecture, du coup, particulièrement instructive et passionnante. J'ai lu beaucoup de billets de blog déçus par une fin abrupte voire ridicule. Je n'y ai vu ni l'un ni l'autre. Il me semble qu'après 300 pages, Wharton avait fait le tour d'un sujet qu'il aurait été dommage de délayer inutilement. Et puis, ainsi, libre à chaque lecteur d'envisager les non-dits qui restent en suspens !
Je poursuivrai avec plaisir la découverte de l'auteur avec le deuxième livre que j'ai d'elle dans ma PAL, mais pas tout de suite. J'espère simplement que tous ses ouvrages ne sont pas dans l'exacte même veine ; j'aurais peur de m'en lasser à force.

 

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fitzey-logo-natacha-best-one.pngChallenge Fitzgerald et contemporains chez Asphodèle
1ere lecture

11/04/2013

Sans parler du chien de Connie Willis

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Sans parler du chien de Conne Willis, ed. J'ai Lu, 2003 (1997 pour l'édition originale), 574p.

 

En matière de voyages dans le temps, je peux vous dire que vous ne serez pas déçus ! Nos historiens donnent même tellement de leur personne pour se balader d'un siècle à l'autre qu'ils peuvent en tomber malades. Si, si ! Le déphasage temporel, vous connaissez ? Prenez garde ! Voilà une affection chafouine qui vous donne la mauvaise habitude d'être un exalté mielleux. 

Mais où Connie Willis nous emmène-t-elle dans ce roman, me demanderez-vous ? Et bien, pour commencer, nos historiens et leurs indispensables techniciens sont citoyens du XXIe. Ned Henry, Verity Kindle et Carruthers travaillent pour le professeur Dunworthy, lui-même engagé par la despotique Lady Shrapnell. Ils ont pour mission de reconstruire la cathédrale de Coventry à l'identique car Dieu est dans les détails, le tout pour d'obscures raisons sentimentales.
De là, le lecteur est embarqué tout d'abord en 1940 lors du bombardement de la cathédrale par l'aviation allemande afin de retrouver la fameuse potiche de l'évêque. Chef d'oeuvre de laideur, elle semble avoir joué un rôle crucial dans la vie de l'aïeule Shrapnell : elle est donc primodiale pour la nouvelle cathédrale.
Puis, nous voguons ensuite en 1888 où Ned Henry et Verity Kindle sont chargés de régler une anomalie - en l'occurrence la féline Princesse Arjuman n'aurait jamais du passer les barrières temporelles - afin de sauver l'humanité. Parce que, bien sûr, jouer avec les cordes du temps provoque au mieux des incongruités, au pire l'effondrement spatio-temporel. Autant vous dire que c'est comme les allumettes : il ne vaut mieux pas s'y frotter ! Dès lors, une série d'épisodes fantasques vont mener nos personnages par le bout du nez, qu'ils mettent en scène la sublime nunuche Tossie Mering, sa mère crédule et son père monomaniaque, un majordome instruit ou encore un professeur d'université illuminé. Et, comme le dit si bien le titre, tout cela sans parler du chien !

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Les ruines de la cathédrale de Coventry après le raid nazi

Ma copine blogueuse Manu à qui j'ai piqué (comme d'habitude) l'idée de cette lecture amusante trouvait peut-être mal classé ce roman en SF. Et c'est vrai que ce classement pourrait rebuter certains néophytes du genre, peu enclins à vouloir goûter à des considérations technologiques à n'en plus finir ou à des batailles entre extraterrestres - ou à l'inversse décevoir ceux qui le souhaitent. Car de fait, rien de tout cela ici et c'est d'ailleurs réjouissant de rappeler ainsi que la SF ne se limite pas aux clichés cités ci-avant.
Connie Willis n'utilise pas le voyage temporel comme prétexte pour nous plonger dans un monde futuriste et nébuleux mais au contraire elle nous fait voyager dans le temps et nous offre le tableau d'une époque à petits coups d'humour savoureux. Du coup, il vaut mieux être prévenu : on passe bien plus de temps à l'époque victorienne (et à une ou deux autres époques aussi quand les transferts temporels foirent) qu'à tout autre époque. Cela étant, moi qui suis peu friande du tralala victorien de la haute société, j'ai vraiment pris beaucoup de plaisir à y suivre nos personnages car l'auteur développe un humour qui épingle, si ce n'est avec une débordante subtilité, du moins avec un talent comique certain, les moeurs de l'époque. J'ai particulièrement ri lorsque Ned s'étonne que Mme Mering se pâme à tout bout de champ sans jamais rien renversé avec elle comme s'il s'agissait d'un art de l'esquive en plus d'un art de la feinte. Bien vu !

Je relèverai tout de même deux petits bémols : les soixante-dix premières pages ne donnent pas forcément le ton du livre. Bien sûr, le principal concernant la cathédrale, Lady Shrapnell et le potiche sont mis en place mais tout cela était un poil fastidieux et pas forcément très clair comme première approche. En les ayant terminées, j'ai espéré que le reste du livre n'était pas dans la même veine ; heureusement il n'en est rien.
Les considérations sur les incongruités temporelles, ensuite, sont parfois salées. Pas dans le mauvais sens du terme mais disons que l'auteur part tellement loin dans les suppositions historiques (vous savez, le fameux "avec des si, on mettrait Paris en bouteille") que j'ai parfois eu du mal à suivre. Il faut dire aussi qu'elle a beau faire rire, elle nous décortique quelques faits historiques assez pointus que l'on ne peut totalement suivre si on n'est pas fin connaisseur - je pense ici aux fameuses recherches menées sur la bataille de Waterloo. (Du coup, c'est peut-être plus la faute de mon inculture que celle de l'auteur ?)

 

Pour conclure, je dirais que c'était une découverte rafraîchissante, drôle et rythmée que j'ai lu avec d'autant plus de plaisir que j'ai pu chiper ici ou là des références littéraires sympathiques. Sans parler du chien (d'ailleurs, je ne vous en ai pas parlé pour vous laisser  tout le suspens de ce fameux cabot) est donc l'occasion de se divertir tout en agitant ses petites cellules grises. Il n'y a certainement pas de quoi bouder son plaisir !

 

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Oxford à l'époque victorienne

 

 

 

 

1213775971.jpgChallenge Petit Bac 2013 chez Enna

Catégorie Animal

 

 

 

 

a-tous-prix.jpgChallenge A tous prix chez Laure

Prix Hugo et Locus 1999 du meilleur roman de Science-Fiction

08/04/2013

Mr Doyle et Dr Bell de Howard Engel

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Mr Doyle et Dr Bell de Howard Engel, ed. du Masque, Coll. Labyrinthes, 1997 pour l'édition originale ; 2005 pour l'édition française, 314p.

 

A Edimbourg, en 1879, Arthur Conan Doyle est étudiant en médecine mais aspire à embrasser une carrière littéraire. Aussi, il partage son temps entre la rédaction de quelques nouvelles qu'il soumet ici ou là, refait le monde au pub avec son ami Robert Louis Stevenson et suit avec passion les cours d'anatomie du Professeur Joseph Bell à l'université. Ce dernier est réputé pour ses talents de déduction hors du commun : il est capable de mener un premier diagnostic en quelques minutes grâce à une minutieuse observation du patient. Un soir que tous deux discutent après une journée de consultations au dispensaire, un homme blessé et ahuri fait irruption et demande à Bell de l'aider à innocenter son frère, accusé d'un double meurtre. Dans un premier temps circonspect - après tout, Bell n'est pas détective - il finit par accéder à cette étrange requête. Dès lors, le duo du maître et de l'élève va se heurter aux pressions de la police et, plus largement, d'un système qui ne souhaite surtout pas avouer ses erreurs. Rien, pourtant, ne les arrêtera avant que justice soit faite.

Ce petit policier old school déniché au hasard d'une librairie est agréable à lire et divertissant. Je l'ai emmené le mois dernier lors d'un bref séjour à Lyon et il a pleinement rempli son rôle de détente avant de dormir. Force est de constater, néanmoins, qu'il n'innove pas follement en matière de policier dix-neuviémiste et ne met pas non plus en place un suspens déconcertant. 
Pour qui est fan de l'univers de Sherlock Holmes, il propose par contre un éclairage intéressant sur l'oeuvre de Doyle, une sorte de making of fantasmé. En effet, le Professeur Bell a réellement existé et on sait - du moins, cela est majoritairement attesté par les commentateurs holmésiens - qu'il a bien inspiré le personnage du célèbre détective. Doyle lui aurait emprunté ces fameuses qualités déductives et ce charisme particulier qui impressionne et fascine. Il est intéressant, du coup, et même jouissif de se retrouver ici à la genèse de Sherlock Holmes en imaginant les êtres qui l'ont inspiré dans les mêmes situations. On retrouve d'ailleurs également le truculent George Budd dont Doyle récupérera l'énergie frisant parfois le sans-gêne et les tendances cocaïnomanes pour son héros. 
Et puis, il faut souligner le personnage de Stevenson ! Même s'il n'a rien à voir avec l'univers holmésien, il est peint avec une faconde et un anti-conformisme si délicieux que cela donne envie de replonger dans son oeuvre !  

Je conseille donc cette aventure écossaise à qui aime plonger dans les ruelles sombres du l'ère victorienne, accompagnée de l'ombre de Sherlock Holmes, afin de passer un bon moment avec un plaid, un chat et une tasse de thé - sans en attendre plus. 

 

2061720019.jpgChallenge Polar historique chez Samlor