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09/02/2016

Harry Potter à l'école des sorciers de J.K.Rowling

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Harry Potter à l'école des sorciers de J.K.Rowling, Folio Junior, 1998, 306p.

 

Il était une fois une gonzesse qui arrivait 18 ans après la bataille avec un bouquin que tout le monde a déjà lu. Pour vous dire vrai, je n'ai jamais ressenti aucune espèce d'envie de lire Harry Potter : j'ai vu les films et, malgré tout ce que les lecteurs de la saga peuvent dire, jusqu'ici, ça me suffisait amplement. Et puis je me suis vue en conseiller la lecture à deux de mes crapules de 5e en leur disant que c'était "fantastique blah blah blah". Du coup, rentrant chez moi, je me suis dit que ce serait peut-être pas plus mal de m'appliquer mes propres conseils de lecture. So be it.

Alors, que retirer de ce premier opus, fort mince par rapport à ceux qui m'attendent ? (Oui, je vous passe le résumé de l'histoire hein, je ne voudrais pas me faire canarder avec des oranges confites pour inutilité bloguesque flagrante). L'air de rien, sous les atours de l'univers magique le plus farfelu, J.K.Rowling raconte l'histoire d'un gars dont les dix premières années de vie sont les pires qui soient et qui ignore parfaitement qui il est. Ou pour le dire autrement : son identité est tout bonnement en mousse. Magie ou pas, Harry Potter, c'est un roman d'apprentissage, un point c'est tout, mais un roman d'apprentissage vachement sympa (c'est toujours mieux avec des licornes et des fantômes, de toutes façons). Il s'agit pour le jeune héros de se construire avec - avec ses pairs, avec un nouveau monde, avec l'art de la magie, et surtout avec la connaissance de son passé trouble et troublé - et contre son antithèse, son ennemi juré, le fameux Voldemort. En articulant ces éléments extérieurs qui, tous, ont à voir avec une part de lui, Harry Potter saura devenir lui-même.

Par ailleurs, la mort colle perpétuellement aux frusques de Potter : en arrière avec la mort brutale de ses parents et devant avec sa propre mort qui ne cesse de le frôler. Voldemort lui-même est le non-mort toujours encore là - une sorte de présence envahissante de ce qu'on ne peut expliquer, de ce qu'on redoute et ne peut éviter comme le vampire l'incarne si bien dans la littérature fantastique. Alors évidemment, cette réflexion identitaire empreinte du souci de notre finitude a été explorée en long, en large et en travers dans toute la littérature mais il faut tout de même noter l'originalité de J.K.Rowling de la brosser dégagée de toute métaphysique. Des créatures imaginaires, on en a à foison mais de Dieu ou de dieux, il n'est pas question, du moins dans ce premier volume. C'est tout juste si les centaures lisent l'avenir dans les astres mais ici encore, c'est factuel. Nulle présence transcendante pour soutenir la quête de soi : l'être doit se débrouiller seul avec lui-même. Ce pourrait-être l'expression la plus contemporaine de ce roman de Rowling.

Quid de la suite ? Et bien j'ai passé tout le premier tome à me dire que c'était bien agréable mais pas fabuleux non plus, que je serai bien contente de passer à autre chose à la fin. Évidemment, que nenni : je me suis fait prendre comme tout le monde et j'ai enchaîné directement avec le tome 2. Tralala.
La suite au prochain numéro, donc !

 

challenge-des-100-livres-chez-bianca.jpgChallenge des 100 livres à lire chez Bianca

23ème participation

 

 

 

 

 

Challenge a year in England.jpgChallenge A Year in England chez Titine

6ème participation

07/02/2016

Rendez-vous poétique avec Pierre Reverdy et Charles Stankievech

Après René Char, je redécouvre Pierre Reverdy - quoiqu'il serait plus juste de dire que, lui, je le découvre tout à fait. Outre un ou deux poèmes durant ma scolarité, je l'ai beaucoup moins fréquenté que René Char. Évidemment, c'était une erreur que je répare avec joie et plaisir, entre deux chapitre d'un roman d'hiver.

"La liberté des mers" est un poème en prose tardif de Reverdy, premier texte du recueil éponyme publié en 1960. Je suis particulièrement fascinée par l'émotion retenue et pourtant flamboyante qui émane d'une certaine résignation face à la finitude humaine. Qu'est-ce que la création, dans cette réalité, si ce n'est ce qui maintient l'équilibre entre terre, sang, boyaux et les vagues lumineuses de l'éternité ?

Pour accompagner l'élan lucide de l'homme face à la nature de son être et face à la nature tout court, j'ai songé à l’œuvre du vidéaste canadien Charles Stankievech, The Soniferous Æther of The Land Beyond The Land Beyond. Cette vidéo de 35 min découvre aux hommes le lieu habité le plus au nord de la planète, entre vastitude et décor post-apocalyptique. Une autre manière de toucher du doigt notre finitude, sans doute.

 

LA LIBERTÉ DES MERS

Murmures entre les quatre murs aux gouttes de sang des épines, comme en allant cueillir des mûres dans les sentiers gonflés de remords et d'espoir aux risques des pentes peu sûres.
Quoi ! ça vous étonne ce gaspillage entre tant de blessures ?
N'en a-t-on pas assez perdu de ces têtes de mort entre les fentes des doublures ?

Mon Dieu, comme le vent est fort ! Entre les lignes de la pluie, entre tout ce qui n'est pas la fausse monnaie de la vie -enfin tout ce qui étanche la soif des têtes dures.
A vous de jouer.

- Vous voulez quoi ? Gagner ou perdre la partie - le temps qui règne ou l'éternité qui s'étire ? Moi, ça m'est bien égal, je ne tiens pas plus à l'éclat du métal qu'à la nuit. Mais je mesure... la distance infinie qui sépare tout ce qui n'a pas encore été dit du peu que l'on est parvenu à passer au laminoir de la littérature - sans oublier tout le poids de sel, de sang et de génie qu'il a fallu pour dresser au-dessus du niveau du désert et comme sur un horizon de tir une seule silhouette d'envergure - un homme solide et réel, un de ces têtes à queue qui font confiance à la vie et sans se soucier de tenter le moindre effort pour parvenir à sentir un peu plus le carbonisé que le roussi. Pourvu que ça dure.

Pourtant ça m'ennuierait certainement beaucoup de choquer ceux que j'aime par ce que je sens plus que par ce que je pense.
Je sens peut-être très mauvais et pense sans doute de même - c'est-à-dire fort mal, ce qui, quoique en des points différents, peut produire le même effet et provoquer quelque vertigineux malaise. Mais, ici, je pense surtout à ce qui pourrait bien rester d'un homme trop enclin à confier le poids de sa totale destinée au sort toujours douteux de ce qu'il a pu peindre ou écrire. Je pense à ceux qui ont perdu sous la tyrannique pression des rênes d'or le sens de la valeur éthique et esthétique de l'angoissante incertitude.

J'ai connu autrefois un homme d'une fort médiocre beauté mais équipé d'une sensibilité si aiguë et doué d'une vélocité d'esprit tellement excessive qu'il n'avait jamais pu trouver deux fois de suite son visage dans le même miroir - il suffisait qu'il abaissât, dans un clin d'oeil, la paupière - il avait devant lui une autre image.

Il me dit - vous comprendrez, j'en suis sûr, si je vous avoue que je ne me connais absolument pas moi-même. Et comme je ne connais pas davantage les autres, qui changent sous mes yeux aussi vite que ma propre image dans la glace, je commence à croire qu'il n'y a jamais rien eu au monde, ni personne, et à me demander ce qu'il y aurait de changé pour moi et pour les autres si nous nous décidions tout de suite à anticiper sur cette fin du monde en dégradé, et dégradante, en effet,qui livre, avec tant d'indifférence l'homme aux caprices du temps.

Et les hommes - détachés de l'humanité par la mort comme les grains de sable des rochers par le flot tout aussi inlassable - s'en vont un à un fournir la matière anonyme des vastes étendues de l'éternel oubli.
Comme il y a une étroite bordure ensoleillée aux rivages des mers qui nous fait oublier les immensurables étendues et la profondeur insondable des abîmes - de même, chez les hommes, il y a, tout autour de l'immensité obscure qui garde les morts sans écho, les plages dorées de la gloire.
C'est sans doute pourquoi l'on peint et l'on écrit. Mais ce que je veux dire c'est qu'il ne faudrait pas avoir une confiance trop aveugle dans la dorure invisible qui dort entre la trame de la toile et la peinture - la mine est là - la mine pour plus tard - et tout le monde sait que cette mine - pour plus tard - n'a pas toujours été, est encore de moins en moins aujourd'hui dissimulée sous l'étourdissante marée des grands tirages. Il y a, perdus dans les sables mouvants tant d'éclatants, tant de sombres chapitres de l'histoire.

Quant à moi, ayant par hasard remarqué que quelles que soient les circonstances du contrat, ce sont toujours, au bout du compte, les vivants qui sont obligés de s'occuper des morts et jamais les morts des vivants, je pense à cette fée aux mamelles de fange qui m'a promis, le soir où mon oreille s'est ouverte pour la première fois aux mensonges du vent, de venir déposer sous ma nuque raidie, un coussin mollement rembourré d'autant de milliards d'étoiles qu'il faudra pour adoucir la dureté des angles du cercueil et préserver mon coeur des rigueurs de la nuit.

Pierre Reverdy

 

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Charles Stankievech, The Soniferous Æther of The Land Beyond The Land Beyond, 2012, installation de film 35 mm (photo de film)

 

05/02/2016

2084 de Boualem Sansal

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2084 de Boualem Sansal, Gallimard, 2015, 274p.

 

Depuis 2084, le monde est devenu l'Abistan, vaste empire théocratique où l'on se doit d'être soumis au dieu unique Yölah. Nul besoin de se souvenir du passé - d'ailleurs, y en a-t-il eu un ? Yölah est tout puissant et Abi est son délégué. Rien n'a jamais existé avant eux. Nul besoin de parler d'autres langues que l'abilang et surtout, nul besoin de penser. De tels actes seraient le reflet de Balis, le démon. Respecter les règles et obéir sans poser de question : telle est la condition du bonheur en Abistan.
Ati y est exilé dans une lointaine province pour soigner sa tuberculose. Il n'a accès qu'à la montagne, aux autres malades et aux pèlerins qui parcourent le pays pour rendre grâce à Abi. Au fur et à mesure de cette solitude forcée et de quelques rencontres, il commence à remettre en question les principes qui ont jusqu'ici régi sa vie. Ati veut comprendre, avant tout. Cette réflexion l'amène progressivement, une fois rentré chez lui, à chercher les lieux de résistance au régime.

On l'a beaucoup dit et lu : un livre tel que 2084 est d'une importance cruciale par les temps qui courent. Surtout, ne jamais cesser de réfléchir afin de botter en touche l'obscurantisme. Soit. C'est précisément pour cette raison que je souhaitais me frotter au vainqueur du Grand Prix de l'Académie Française 2015 et parce que la référence à Orwell se voulait à la fois périlleuse et terriblement tentante.
C'est en l'occurrence bien plus qu'une référence tant Boualem Sansal tresse étroitement 1984 à son récit, nous rappelant ainsi à quel point le propos est toujours d'actualité et surtout, à quel point on l'oublie trop souvent. Aussi, et bien qu'il est impossible de ne pas faire un parallèle évident avec l'islamisme galopant - Sansal, lui-même, ne s'en cache pas -, 2084 est un rappel au danger permanent des dictatures, quelles qu'elles soient.

Tel est l'aspect politique du roman. Mais qu'en est-il de son revers littéraire ? Non parce que, ne l'oublions pas : ce n'est pas un essai. Par conséquent, aussi nécessaire que soit le sujet, j'ai tout de même envie de m'intéresser à sa qualité littéraire et je n'ai surtout pas envie de l'encenser gratuitement pour de mauvaises raisons. Nous voilà donc au point où le bât blesse. 2084 fait montre d'un didactisme digressif plus qu'ennuyeux et souffre d'une absence totale de rythme - j'ai serré les dents jusqu'au bout mais, franchement, c'en était décourageant. Maintenant le livre refermé, je me demande encore pourquoi je me suis infligée cette peine (le lecteur est maso, à l'occasion). L'ensemble n'est pas même porté par le personnage principal tant celui-ci manque d'épaisseur et se complait finalement toujours, malgré quelques ébauches lumineuses, dans une certaine médiocrité. Était-ce une manière de démontrer qu'à trop baigner dans l'absence de réflexion, on en est plus vraiment capable malgré l'envie ? En tout état de cause, le politique ne sauve aucunement le littéraire, et l'enthousiasme de mon début de lecture a très clairement fait place à l'agacement. Mieux vaut encore relire 1984 qui sait, lui, décoiffer sur les deux tableaux.