Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

02/05/2016

L'amie prodigieuse d'Elena Ferrante

L'amie prodigieuse.jpg
L'amie prodigieuse d'Elena Ferrante, Folio, 2016,430p.

 

Ce roman fait partie de ceux dont j'ai lu le plus de billets ces dernières semaines. Son succès en édition courante ne s'est visiblement pas démenti à la sortie en poche. Tant de coups de cœur parmi les blogs, c'est à la fois une tentation et une source de réticence : le fameux "vais-je succomber aussi ?" n'est pas loin. Cette ambivalence m'aurait sans doute conduite à repousser l'échéance de tester à mon tour L'amie prodigieuse si une amie (évidemment prodigieuse) ne me l'avait pas mis dans les mains chaleureusement. C'était le moment d'envoyer balader la réticence et je me suis lancée.

Grâce à L'amie prodigieuse, j'ai voyagé pour le plaisir dans un quartier pauvre de Naples dans les années 50. Les hommes triment dans des boulots misérables pour une maigre paye - qui à la cordonnerie, qui à l'épicerie, sur les toits ou à la porte d'une mairie -, les femmes triment à la maison avec une tripotée de gamins, deviennent acariâtres avant l'âge et se complaisent en commérages, les enfants triment jeunes où on peut bien les caser car les études - comprendre par là, après l'école primaire - ne sont pas pour tous, surtout quand les moyens manquent. La violence est évidemment chose commune : tout le monde crie, insulte, frappe ou moleste, les petits comme les grands, les hommes comme les femmes et le cocon familial n'échappe pas à cette règle du bâton comme instrument de respect. Vous allez me répliquer que dis comme ça, ça ne donne pas envie. Vous auriez tort, voyez-vous, car cette plongée aussi minutieuse qu'exaltée dans une époque pas si lointaine se révèle pourtant étonnamment dépaysante, singulière, et sincèrement réjouissante. De la violence à chaque page ou presque certes, mais surtout le sentiment de lire quelque chose de vrai, de prendre une grande vague de vie.

On doit ce fameux sel vivifiant au regard novice de notre narratrice Elena, dite Lenù, pour qui tout est nouveau, à commencer par cette amitié en devenir avec Lila. Au début du récit, Lenù est en pleine enfance. Perdre une poupée, monter les escaliers jusqu'à l'ogre des contes sont de folles aventures. Et dans ces entreprises, Lenù suit toujours l'impulsion dure et charismatique de Lila, la fille du cordonnier, à qui rien ne résiste - car si cela résiste, elle rend coup pour coup. Les chemins des deux amies divergent à l'adolescence - l'une poursuit le lycée, l'autre connaît le quotidien du travail - pour mieux se retrouver régulièrement. Quoique fasse Lenù, l'ombre de Lila, son influence aussi positive que dévastatrice, plane toujours sur son évolution. C'est peut-être à cet endroit que le bât blesse pour moi : les récits des aventures d'Elena et Lila ont fini par revêtir les atours un poil ennuyeux des anecdotes systématiques. Rien de violemment déplaisant qui pourrait me passer l'envie de lire la suite de leurs parcours mais de quoi créer un flottement au fil de la lecture, donner l'impression de longueurs parce que rien ne change, la balance ne tangue jamais d'un cheveu. On sait comment la prochaine étape des deux amies va se solder. C'est dommage car, quoi de plus embêtant dans le chemin d'une amitié que l'absence d'évolution, n'est-ce pas ?

Je reste curieuse de la suite néanmoins, parce que j'ai aimé cette vie de quartier, tous ces personnages hauts en couleurs, ce feu de vie tellement italien. C'est vraiment l'Italie pauvre du sud que j'ai senti sourdre sous les mots d'Elena Ferrante. J'espère seulement que la relation entre Lenù et Lila saura gagner en consistance, en originalité et ne pas se cristalliser autour des types un peu pénibles à la longue de l'amie charismatique, idéalisée bien que détestable, et de la narratrice en mal de confiance, en retrait bien que brillante.

 

12/04/2016

Les variations d'Orsay de Manuele Fior

Les variations d'Orsay.jpg
Les variations d'Orsay de Manuele Fior, Futuropolis, 2015, 70p.

 

Les variations d'Orsay 3.jpgOrsay était d'abord une gare puis devint un musée d'art. Sous le crayon de Manuele Fior, ce bâtiment se révèle être les deux en même temps ou glisse de l'un à l'autre en quelques vignettes et quelques personnages qui traversent le temps de leur franc-parler anachronique ; et parfois même, Orsay se découvre comme le territoire de tous les fantasmes entre le rêve et la réalité. Plus rien n'a de sens tangible à Orsay - ce qui explique l'absence totale de résumé un peu ordonné dans cette chronique : comment résumer un tourbillon, une tornade d'instants hallucinés, tantôt historiques, artistiques, ou simplement fous ? On croise Degas, Ingres, Berthe Morisot au lit ou au salon des refusés, des prostituées qui repassent, "La charmeuse de serpents" du Douanier Rousseau qui prend vie et les animaux sauvages qui se carapatent, une surveillante de musée qui s'ennuie : une vie éclatante, jouissive où l'art se gorge de la beauté et des interstices surréels entre deux morceaux anecdotiques.

Et ce qui devait arriver en pareilles circonstances arriva : je referme l'album enchantée mais dubitative - ce qui, je suppose, est exactement le genre de sentiment ambivalent que Manuele Fior avait dans un petit coin de son esprit en composant cette BD comme une série de motifs poétiques et picturaux, plus que comme un récit. Peut-être que l'influence impressionniste est là : dans ce recueil d'instants, d'impressions au soleil levant en touches éparses, jusqu'à former une unité différente selon le lecteur. Dans ce voyage, le dessin de Fior est très clairement un véhicule privilégié, qui a quelque chose de naïf parfois, d'extrêmement simple à l'occasion, et d'autre fois de sensuel, d'envoûtant, de presque fantastique. Avec ce dessin-là, on ne sait pas non plus où l'on est, c'est à lui seul un voyage au pays des interrogations artistiques.

Rien n'est évident dans Les variations d'Orsay, pas même le sentiment qu'on en garde ou la pensée qu'on en nourrit. J'avoue que c'est si rare, cette étrangeté, qu'elle est à elle seule un tour de force !

 

Les variations d'Orsay 2.jpg

03/02/2014

Novecento : pianiste d'Alessandro Baricco

Novecento.jpg
Novecento : pianiste d'Alessandro Baricco, Folio, 2002, 87p.

 

Alessandro Barrico annonce d'emblée la couleur de ce texte en exergue : il a été écrit pour le théâtre, pour un comédien et un metteur en scène particuliers. Après réflexion, au moment de l'édition, il apprécie l'idée qu'il devienne également un texte à lire à haute voix, dans l'intimité. Une chose est sûre, d'une manière ou d'une autre, Novecento : pianiste est à envisager par le truchement de la parole, qu'elle soit rêvée, personnelle ou théâtrale.

C'est en portant attention à cette précision de l'auteur et en écoutant la voix d'un comédien imaginaire déclamant son monologue que j'ai apprécié fortement ce texte.
Je l'avais déjà commencé peu de temps après l'achat mais je n'y avais pas goûté grand chose, honnêtement. Je m'étais simplement demandée ce que trouve tant de monde à Barrico. Je l'ai donc laissé en plan, attendant une autre fois pour le finir et trancher un avis. La proposition de lecture commune d'Eimelle est donc tombée à point nommé !

Il s'agit d'une tranche de vie d'un jeune trompettiste, lorsqu'il officia dans l'orchestre du Virginian pendant six ans, entre l'Europe et les USA. De cette époque, il nous offre l'amitié qu'il vécut avec le pianiste virtuose Danny Boodmann T.D. Lemon Novecento et son incroyable personnalité. Novecento est de ces enfants nés sur le paquebot, en troisième classe, et abandonnés à l'arrivée aux États-Unis par des parents émigrants qui ne pouvaient s'imposer un tel "fardeau" au commencement d'une nouvelle vie. Né sur le bateau, Novecento y restera toute sa vie : adopté par un mécanicien, il se cache sur le bateau à sa mort pour ne pas être rendu à la terre ; il devient ensuite pianiste à bord lorsqu'on découvre son génie. Il essayera bien de descendre un jour mais l'immensité du monde le terrifie. Lui qui envoie "au cul le règlement", ne se sent bien que sur l'univers clos du paquebot et du clavier de son instrument. Entouré mais jamais noyé par l'immense Océan. Logiquement, c'est donc sur le Virginian qu'il est né, et sur le Virginian qu'il finira, dans l'apothéose des grands esprits. 

Novecento est un texte parcouru de poésie et d'oralité : deux ingrédients qui en font un parfait monologue à entendre et à jouer. De fait, comme pur texte à lire, je ne le trouverais pas fantastique. Sympathique, plein d'une gentille poésie mais pas non plus extraordinaire ou foudroyant. C'est l'idée d'une mise en jeu qui me le rend beaucoup plus intéressant. L'exercice du monologue théâtral est parmi les plus compliqué, me semble-t-il, et ce récit de vie en offre une palette d'espaces et de nuances à exploiter. Sans parler de l'utilisation de la musique jazz, que Novecento agrémente de sa virtuosité - j'ai du mal à imaginer ce que peut donner du jazz avec "plus de notes", mais ce doit donc être passionnant à découvrir !

Bref, pour ne pas en rajouter plus qu'il n'en faut (manquerait plus que je fasse une chronique plus longue que le texte original), j'ai vraiment lu et apprécié Novecento en tant que monologue théâtral. A savoir si j'apprécierai le style de Baricco dans un autre format, je ne sais pas. Pour trancher, il me faudra inévitablement tenter !

 

Lu en lecture commune avec Eimelle, Miriam, Jostein et Ostinato !

 

challenge-des-notes-et-des-mots-4.jpgChallenge Des mots et des notes chez Anne

4eme participation