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13/02/2019

Les filles de Salem de Thomas Gilbert

les filles de salem,thomas gilbert,sorcières,femme,féminité,féminisme,indépendance,obscurantisme,religion,dieu,diable,étranger,étrangeté,crédulité,mortJ'ai presque envie de vous dire que tout est dans le titre - et c'est ce qu'on appelle la flemme intersidérale du résumé. Pour la faire courte, Thomas Gilbert relate sa vision personnelle des événements qui ont progressivement conduit à l'arrestation de nombreuses femmes et jeunes filles à Salem Village, à la fin du XVIIème siècle, puis aux fameux procès que l'on connaît, à l'issu desquels plusieurs d'entre elles furent pendues. Si l'on en croit les accusations de la fille (et, dans la réalité, de la nièce) du révérend Parris, il serait question de divination, de spectres et d'envoûtement. Pour Thomas Gilbert, il est bien plus question de liberté, de volonté de respirer (un peu) et de se démarquer de convenances injustes et contraignantes de la société de l'époque. 

On suit le récit du point de vue d'Abigail Hobbs (qui confond en fait deux Abigail de la réalité : Abigail Williams, la nièce de Parris et compagne de jeu de sa fille Betty, telle qu'apparaît ici notre protagoniste, et la véritable Abigail Hobbs qui sera, par la suite, accusée par Betty). Abigail, donc, voit comme le début de la fin l'aube de sa quatorzième année. Elle se promène en été, gaie comme un pinson, tandis que les hommes travaillent aux champs, et un ami d'enfance lui offre innocemment un petit âne en bois. Il semble qu'à cet instant, les portes de l'enfer se soient ouvertes : Abigail est bientôt femme et cette sorte de badinage devient hautement répréhensible. A partir de ce moment, la jeune fille devra se ménager un peu de liberté à l'abri des regards indiscrets, à l’œil desquels la moindre tendresse, qui plus est à l'égard d'un étranger, devient suspecte et déviante. 

Et donc, on en revient toujours au même : le vrai problème, ce n'est pas l'autre, la femme, le diable ou la colère divine, c'est l'ignorance et ce besoin de chercher les réponses dans les dogmes religieux. Dépourvu des moyens de connaître et de comprendre certains faits (d'ordre médical, météorologiques ou agricoles), l'homme s'engouffre dans les croyances les plus diverses, encadrées par des dogmes extrêmement astreignants comme s'ils constituaient le remède. (Dans la réalité, aussi, ce devint un moyen de faire tomber quelque pion problématique, tant qu'à faire. Les dérives sanglantes de l'ignorance sont toujours l'occasion, pour quelques enfoirés patentés, de tirer leur épingle du jeu.)

Ainsi, cette BD est un véritable réquisitoire contre l'aveuglement et l'extrémisme religieux - une BD d'actualité, vous dites ? Non, vraiment, je ne vois pas de quoi vous parlez. Au départ, je m'attendais à quelque chose de léger, malgré le sujet houleux. Un propos plutôt féministe aussi, ça c'est certain - et aussi beaucoup dans l'air du temps. Mais je ne m'attendais pas à ce que ça devienne aussi oppressant, nauséeux et dérangeant. Par moments, Thomas Gilbert ne ménage vraiment pas son lecteur : les propos comme les dessins sont d'une violence que d'aucuns trouveraient un peu exagérée ; pour ma part, elle m'a semblé participer à la montée en puissance du récit. Les derniers chapitres se lisent le cœur serré, l'esprit bouleversé et non sans une certaine colère à l'endroit des obscurantismes de tout poil qui se plaisent, en prime et bien souvent, à faire de la femme le cheval de Troie du diable. C'est tellement plus simple de voir la paille dans l’œil du voisin plutôt que la poutre qu'on a dans le sien, n'est-ce pas ?

Armez-vous donc de vos tripes en ouvrant cette BD qui ne paye pas de mine a priori. C'est une claque - pas forcément un coup de cœur d'ailleurs car, non, ça n'est pas la même chose, mais une claque nécessaire à n'en pas douter.  

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17/05/2017

Amarres de Marina Skalova

amarres,marina skalova,étranger,autre,autrui,altérité,réflexion,bouc émissaire,eldorado,doxaJ'ai erré d'abord. Le vent me fouettait le visage. Mes cheveux voletaient autour de ma tête. Mes pieds s'enlisaient dans le sable. [...]

Le jour déclinait. Il semblait rougir de devoir disparaître. p. 10

Un narrateur anonyme débarque un soir sur une île inconnue. Nous ne savons pas même à quelle période se déroule le récit. Certains indices inclinent l'esprit à le situer à la fois proche et loin de nous, dans un espace-temps qui existerait de toujours : celui des contes.
A sa manière, en effet, Marina Skalova nous raconte le conte cruellement moderne car il n'a jamais cessé d'exister de l'autre, de l'étranger, celui qui n'est pas d'ici. Le voilà qui arrive de nulle-part, seul, démuni mais non point stupide, avide de connaître un eldorado paisible dont on lui a tant parlé. Ses espoirs se heurtent à l'incompréhension, au rejet, à la solitude et aux idées reçues qui ont la dent dure. Quelques lueurs de bonté jalonnent son chemin, hélas trop rares et trop éphémères. Même elles, finissent pas se laisser engluer dans la doxa toute puissante. Il ne faut pas grand chose pour que l'autre, l'étranger devienne le bouc émissaire de tous les maux : réponse commode à des phénomènes plus grands que lui mais que la communauté ne veut pas ou ne sait pas analyser et comprendre. 

Quand le soleil se couchait, des ombres rougeâtres recouvraient le ciel. La brume enveloppait les cimes des arbres. Leurs reflets se heurtaient aux nuages. Le silence était à son apogée. p. 52

Impossible de ne pas faire quelques parallèles avec l'actualité en lisant ce premier récit de Marina Skalova, jeune poétesse et traductrice. Cependant, il ne se limite pas à la critique de circonstance et offre plutôt une réflexion universelle et intemporelle sur la question de l'autre et du rapport que l'on peut, qui que l'on soit, entretenir avec cette altérité. En somme, Marina Skalova invite chaque lecteur à faire son propre examen. Elle ne propose pas un point de vue - le récit, bien plutôt, cultive une certaine neutralité du ton avec ces phrases courtes, lapidaires bien que poétiques, et cette économie drastique de la forme - mais invite chacun à faire sa propre critique et à nourrir sa propre réflexion. 

On sent au fil de la lecture, la volonté d'esquisser un tableau, de jouer une scénettes en ombres chinoises : de suggérer. Au lecteur de dire. L'auteure, elle, insuffle la dynamique. J'ai aimé découvrir un tel projet que je trouve aussi ambitieux que pertinent. J'aime qu'un auteur en appel ainsi aux lecteurs à venir, leur fasse confiance et les interroge. Toutefois, je dois reconnaître qu'une forme aussi ramassée, elliptique, concise est d'une exigence folle. Elle doit tout dire en peu de mots. Chacun de ces mots doivent être précieux et pertinents, imposer leur extrême nécessité. Une pointe de déception se glisse sans doute ici dans ma lecture de ce texte : certains morceaux manquent à mon sens de la force, d'une tension suffisante pour apparaître indispensables. Je me suis surprise à trouver à l'occasion quelques longueurs, le comble dans un récit aussi court ! Sachant l'auteure poète, sans doute attendais-je aussi un peu plus de poésie, quelque chose de plus exigeant dans la forme - ce qui survient à la fin mais peut-être un peu trop tard à mon goût. Mais qu'à cela ne tienne ! Il s'agit là d'un premier récit et ce qu'il propose est malgré tout de très bonne qualité, ne serait-ce que pour pour provoquer notre regard aiguisé. 

C'est là que un homme deux hommes a lancé ont lancé un pavé les pavés la foule les pavés s'est ruée sur moi les pavés cachés à côté de la fontaine la foule a jeté les pavés une pluie de une pluie une pluie de pavés les pierres sur la place les pierres comme des balles des obus les pierres au son de les cris meurtrier voleur blasphème assassin les pierres les pavés d'abord la poitrine puis le crâne le ventre criblé t r o u é  t r a n s p a r e n t la p o it ri n e à n o uv e a u le vi sa ge la mâch oi re le n ez le s t y mp ans sifllent saignent uuuuuhhuuuuuuuurlent à mort le sexe b ro yé é cr a a br ou i llé l a t ê t e la t êt e   p. 78

Amarres de Marina Skalova, L'Âge d'Homme, 2017, 79p.