Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

11/11/2016

Le collier rouge de Jean-Christophe Rufin

Le collier rouge.jpeg
Le collier rouge de Jean-Christophe Rufin, Gallimard, 2014, 156p. 

 

En plein cœur de l'été, un cabot fait des siennes et hurle jour et nuit, ce qui n'est pas sans rendre fou le gardien de la caserne juste en face, Dujeux. Ce dernier ne garde qu'un seul prisonnier puisqu'en 1919, tout le monde est rentré chez soi : L'énigmatique Morlac, plutôt taiseux et taciturne, et plutôt réfractaire à accepter l'indulgence du juge Lantier venu l'interroger. Tout se joue, dans les premiers temps du récit, entre ces deux-là (Dujeux fait seulement partie du décor) et le chien qui rythme questions et réponses et semble, à distance, répondre à son maître enfermé. Nous ne savons pas grand chose, alors. Nous sommes à l'image de Lantier : nous cherchons à comprendre ce que Morlac fait là, pourquoi il se complait dans une opposition si farouche et, pourquoi, surtout, il refuse l'affection si démonstrative du chien.
A mesure que l'histoire se déroule, entre les tranchées, les morts, et la solitude, un troisième personnage crucial apparaît : Valentine (Cherchez la femme, qu'ils disaient, cherchez la femme !). Tout n'est donc pas qu'une histoire de guerre, finalement. C'est plus complexe, et pourtant très simple. 

Au premier abord, j'ai trouvé Le collier rouge d'une grande finesse, d'une maîtrise évidemment totale (sans avoir jamais lu Rufin auparavant, c'est tout à fait le genre de style auquel je m'attendais) mais d'une finesse et d'une maîtrise finalement un peu froides, un peu sèches - oserais-je dire un peu plates? Je me retrouvais exactement avec le même sentiment de lecture que 14 d'Echenoz (si mon souvenir est exact). J'avançais donc, dubitative, dans l'attente de quelque chose : de ressentir, plutôt que de penser, je crois. 

Puis, finalement, je me suis prise au jeu de frayer dans les pas de Lantier. Sans être du tout un policier - on est même loin du compte -, la construction est habile, et joue à nous dévoiler les informations au compte-goutte, en commençant évidemment par les plus anecdotiques pour monter progressivement en puissance, en intérêt, en curiosité. Les personnages prennent du relief et se colorent de toute l'ambivalence de l'humanité (exception faite, peut-être, de Dujeux et du gendarme local qui représentent le petit fonctionnaire dans toute la splendeur de sa bêtise fatiguée mais heureuse).

Rufin aborde la Première Guerre Mondiale sous un autre angle : la voilà finie. Les tranchées ne sont plus là, effectivement, mais fourragent encore dans les esprits avec une puissance lancinante. L'après semble aussi lourd que le pendant - pas de la même façon, pas avec autant de terreur bien sûr, mais il pèse durablement. L'après sonne aux oreilles de Morlac comme une vaste mascarade laissant entrevoir que personne n'a compris l'essence de la guerre et qu'être un héros n'a rien de reluisant. C'est d'une tristesse infinie d'être un héros. Et voilà que je me surprends à méditer encore, mine de rien, le message tout simple et si crucial de Rufin. Finalement, elles valaient sacrément le coup, cette grande finesse et cette maîtrise totale. 

 

C'était lui, le héros. C'est ça que j'ai pensé, voyez-vous. Pas seulement parce qu'il m'avait suivi au front et qu'il avait été blessé. Non, c'était plus profond, plus radical. Il avait toutes les qualités qu'on attendait d'un soldat. Il était loyal jusqu'à la mort, courageux, sans pitié envers les ennemis. Pour lui, le monde était fait de bons et de méchants. Il y avait un mot pour dire ça : il n'avait aucune humanité. Bien sûr, c'était un chien... Mais nous qui n'étions pas des chiens, on nous demandait la même chose. Les distinctions, médailles, citations, avancements, tout cela était fait pour récompenser des actes de bêtes. p. 121