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01/04/2018

Rendez-vous poétique avec Charline Lambert et Athanasia Vidali

poésie,charline lambert,désincarcération,l'âge d'homme,rendez-vous poétique,désir,violence,limites,liberté,je,art,athanasia vidali,mois belgeAujourd'hui commence une nouvelle édition du mois belge orchestré par Anne. Pour fêter ça, et puisque la gentille organisatrice nous invite à un rendez-vous poétique en ce premier jour d'avril, nous avons décidé de décaler le nôtre de 24h avec Marilyne pour être pleinement raccord.

Mon choix s'est naturellement porté sur le troisième recueil de Charline Lambert, qui attendait chaudement le bon moment de sa relecture, et décidément, le désir n'y a pas dit son dernier mot. Il était déjà présent jusqu'ici, mais comme le fil qui tisse ensemble chaque élément du monde. Dans Chanvre et lierre puis Sous dialyses, le désir se faisait écho, rythme, souffle, respiration.
Dans Désincarcération, il s'affirme, déchire, il ne renâcle pas à ouvrir les plaies, à en découdre. Il devient cette énergie vitale primordiale à double tranchant, une force à l'épreuve renouvelée du monde qui perce et creuse sans concession. Aussi y a-t-il quelque chose d'exigeant dans la lecture de ce recueil, qui met le lecteur à l'épreuve de ses propres limites. Car cette émergence du désir modèle et recrée de même la langue, son ordonnance, sa bienséance. Dire, écrire, disposer deviennent les actions d'une renaissance acharnée, nue ; les nombreuses vibrations d'une singularité qui s'assume. Ce qu'on appelle une expérience poétique rassérénante ou le parfait coup de fouet printanier ! 

J'en livre ici les premiers morceaux, ne sachant choisir, et surtout ne le voulant pas. Le recueil est, me semble-t-il, une expérience qui prend sens dans l'unité de ses éclatements. Je préfère donc vous en livrer les premiers cailloux blancs, espérant que cela vous donnera envie de continuer le chemin !

 

Et d'un éclat, cette intuition d'être une
matière qui a traversé des siècles de chair, 

qui te fait sentir combien tu es, 

déjà, là

hors-sujet. 

*

Curieuse, en effet, cette expérience de 
l'autre, 
de quelque chose presque
malgré
soi. 

Issue pourtant d'autres, 
issues dans d'autres...

*

Incarcéré dans une continuelle absence, 
ce corps duquel il te déloge
sans cesse, qui
sans cesse te relance
dans une vaste entreprise
de récupération. 

*

Précise ta position, où faut-il se mettre, 
comment se tordre, es-tu bien en toi, nombre
de victimes, qui
tire les ficelles, exécuter, 
toujours, une lecture
des lieux. 

*

Une chair, pourtant
comme une limite

à ne jamais pouvoir

outrepasser. 

 

*

 

Pour la couverture, la poétesse a choisi une oeuvre d'Athanasia Vidali et, allant fureter sur le site de cette dernière, j'ai été saisie par la totale pertinence de ce choix tant les réflexions et les démarches se répondent. On retrouve chez les deux artistes le souci d'exploration d'une animalité désirante, dynamique, pulsionnelle. Nécessaire à l'émergence du nouveau, de l'inattendu : du geste créateur. C'est donc naturellement que je poursuis ce dialogue entre elles avec une des récentes œuvres de la plasticienne, dans sa série The saved night

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07/01/2017

Juste Ciel d'Eric Chevillard

 Juste ciel d'Eric Chevillard, Les éditions de Minuit, 2015, 142p. 

Juste Ciel.JPGAlbert Moindre n'est plus. Il faut dire qu'avec un nom pareil, ç'aurait été compliqué de durer bien longtemps. A présent que tout est fini, LA question existentielle par excellence va enfin trouver une réponse : what's next ?! La vérité, c'est qu'on hésite à considérer qu'il y a quelque chose tant le lieu se trouve plus proche d'un hall de gare creusois à moitié vide que du Paradis prévu. 

Dans cet espace insipide et banal, Albert Moindre - tout aussi insipide et banal - n'est plus et pourtant, il pense encore ; il entend d'autres consciences qui résonnent (on ne sait où ni comment, d'ailleurs, puisqu'Albert Moindre n'a plus d'oreilles) ; il attend principalement, il s'interroge puis suit le chemin d'un dédale bureaucratique dépouillé à la suite d'un ange étrange. Nous y voilà : l'au-delà ressemble à s'y méprendre aux bureaux de la Sécu. 
Vous vouliez du rêve clinquant, vous êtes servis ! Dès lors qu'on lève le voile, c'est une machinerie comme tant d'autres qu'on découvre et, étonnamment, le choc est plutôt drôle. Eric Chevillard, pince sans rire, s'amuse de nos clichés de vie et déroule sous les yeux médusés d'Albert Moindre la mécanique implacables des vies humaines. 

Jamais un ragot, tout est vérifié. Tu t'es promené toute la matinée du 2 avril 2007 avec une miette de croissant collée à ton pantalon. Neuf personnes l'ont remarquée. Elle est tombée comme tu traversais la place Wilson. Deux pigeons se la sont disputée. Une fourmi a emporté le dernier morceau. Ton ami Franck Surger, en diverses occasions, a affirmé dans ton dos que tu étais 1) un pleutre, 2) un faux frère, 3) un naze, 4) un prétentieux, 5) un vrai connard, 6) un frustré. Mais il éprouvait vraiment de la sympathie pour toi. Il a dit aussi un jour que tu étais 7) un brave type dans le fond. Repoussant, mal habillé, érotico-angoissant, ce sont là les mots de Juliette Escolier. p. 45

Evidemment, l'auteur nous donne une bonne leçon de vie et la question de la liberté ne manquera pas de nous tarauder, simples mortels que nous sommes. C'est bien joli de rire aux côtés d'Albert Moindre mais c'est tout de même déroutant d'être restreint à un pion sur l'échiquier de la vie. 
Mais sans partir trop loin dans la métaphysique de comptoir, ne perdons pas de vue qu'Albert est avant tout un personnage. Le créateur de toute chose, dans toute cette fable, c'est Chevillard. Avant de dépouiller le Paradis de ses oripeaux fantasmés, c'est le roman qu'il déshabille - et forcément, à force de tout enlever et de dépasser les bornes, on se retrouve dans l'au-delà. Chevillard donc, nous donne l'envers du décor littéraire où l'écrivain tient plus du bureaucrate organisé et consciencieux que du Dieu flamboyant et inspiré et où les personnages apparaissent tels qu'en eux-mêmes : silhouettes éthérées à la merci d'une création en mousse en papier. 
Disant cela, on n'a encore rien dit puisque, histoire d'aller jusqu'au bout du mouvement, celui-ci se nourrit de lui-même. Vous pensiez avoir tout compris de la métaphore amusante comme réflexion méta-textuelle ? Et ben tiens, nous dit Chevillard, je te sers à la fin de quoi retourner une ultime fois - parce que la créateur est peut-être organisé et consciencieux mais il est surtout facétieux - tes certitudes. Tu sais que tu ne sais rien, lecteur. Et hop, le roman déshabillé renaît de ses cendres et c'est reparti pour un tour !