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08/10/2011

Muse de Joseph O'Connor

[Ante-Scriptum : Les inscriptions pour le swap de l'hiver sont toujours d'actualité, elles se font ici et sr swap.de.lhiver@gmail.com]

 

Bien que toujours passionnément chérie et désirée, il y a de ces périodes, chers visiteurs, où la lecture, est juste laborieuse. Mais vraiment, hein. Un premier livre puis un deuxième tombent des mains ? Peu t'importe, c'est la faute du livre. Sauf que c'est pareil pour tous les suivants pendant plusieurs jours et on s'ennuie toujours comme un rat. Pendant ce temps là, on est en manque en mots, évidemment. En gros, c'est l'angoisse - yeux hagards, mains moites, écume aux lèvres et hallucinations aux coins des murs etc.

Heureusement (car il y a un happy end), un livre m'a sauvé de ce désert littéraire.

 

 

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Muse de Joseph O'Connor, traduit de l'irlandais par Carine Chichereau, Phébus, 2011, 278p.

 

 

De loin, et surtout avec cette liberté qui sied si bien aux artistes, Joseph O'Connor s'inspire de faits ayant réellement existés. Molly Allgood alias Maire O'Neill a vraiment vécu et l'on sait qu'elle a eu une liaison avec le dramaturge John Millington Synge pendant l'écriture de son Baladin du monde occidental - au début du XXe siècle. Ce dernier mourra cependant avant que leur union soit officialisée, à 37 ans. Molly Allgood avait 19 ans.

Le reste relève de l'imagination talentueuse de Joseph O'Connor qui bâtit un chant du cygne à deux temps, aussi poignant qu'acéré. Le premier temps est dilaté et cruel ; il est une des dernières journées de Molly qui n'est déjà plus que son ombre. Quasiment plus de rôles, beaucoup d'alcools et l'écrasante solitude de la déchéance. On la suit au gré de Londres, il semble qu'on épaule son dernier chemin avec cette narration à la deuxième personne. Elle reste pourtant digne "Tu es Maire O'Neill. Tu ne ficheras pas en l'air une scène. Le spectacle doit continuer quel qu'en soit le prix."
C'est le deuxième temps qui est son souffle, le rappel vivant - vraiment vivant - de son cher Vagabond, son vieux Millington Trillington Monchoullington. Ce temps ponctue systématiquement le premier et donne la vie. Molly a vécu depuis Synge, pourtant. A eu deux maris, deux enfants. Mais au fond, il est toujours là, l'amour imparfait mais puissant, celui qui a fait d'elle l'enchanteresse. Tous leurs souvenirs semblent être d'hier.

C'est poignant, sensuel, d'un éclat taillé dans le vif où la réalité ne fait aucune concession à l'amour - ou bien est-ce plus certainement l'inverse.
C'est tout simplement beau. Oui, je pourrais me creuser un peu plus le cerveau pour vous trouver un commentaire plus recherché mais très franchement, je n'en vois pas de plus approprié (et puis d'abord, le mieux est l'ennemi du bien). C'est une voix, une vie et c'est un amour.

 

 

 

muse,joseph o'connor,synge,yeats,irlande,théâtre,amour sans mièvrerieChallenge de la rentrée littéraire 2011

5/7

 

 

 

 

 

 

*

 

extrait :

 

"Elle considère le cancer qui le dévore comme une armée de minuscules lumières envahissant peu à peu ses entrailles sans laisser le moindre recoin intact. Elle se voit elle-même les éteignant une par une, à chaque fois qu'elle se montre gentille avec lui. Cela vient d'un sermon qu'elle a entendu petite, dans le grand bastion voûté de l'église de St Nicholas of Myra. Le prêtre avait dit que la grâce était un rassemblement de bougies attendant que le pêcheur les allume Cette métaphore lui est toujours restée, même quand sa foi a cédé du terrain devant l'âge adulte. Dieu, la providence, le baume de Galaad - il faut les regarder de loin.

S'il tousse en sa présence, elle le bénit en silence. S'il a le souffle court, elle fait une prière pour lui. Comme si elle observait une grande ville à l'approche de l'aurore, elle voit les lumières de son cancer s'éteindre l'une après l'autre. Elle imagine ses poumons - rayonnant de douleur - et l'éteignoir de sa bienveillance se met à l'oeuvre. Si seulement elle pouvait les toucher - les toucher physiquement -, l'air qui est en eux s'en trouverait adouci, purifié, renouvelé, et les flammes qui ne cessent de les consumer s'évanouiraient en fumée, telles des mèches pincées entre ses doigts."