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21/03/2020

La fabrique de poupées d'Elizabeth MacNeal

art,littérature anglaise,elizabeth macneal,la fabrique de poupées,the doll factory,préraphaélites,peinture,famille,maladie,amour,passion,cabinet de curiosités,taxidermisteAu milieu exact du XIXème siècle, alors que l'Exposition universelle s'apprête à ouvrir ses portes et, avec elle, l'extravagant palais de cristal imaginé par le Prince Albert, de nombreux londoniens poursuivent un quotidien beaucoup moins lumineux.
Iris, affublé d'une légère gibbosité à cause d'une fracture de naissance de la clavicule mal ressoudée, et sa jumelle Rose, défigurée par la petite vérole, triment douze heures par jour dans le magasins de poupées de Mrs Salter. Iris peint les visages, les ongles, la peau ; Rose coud la plupart des vêtements. Iris embauche le jeune Albie pour d'autres menus travaux de couture. Pauvre gamin des rues, qui loge clandestinement dans le bordel où sa soeur malingre se prostitue, il accepte tous les petits boulots qu'il trouve dans l'espoir de se payer un jour un dentier. Son second employeur est Silas, un taxidermiste sombre, solitaire, fasciné par les os et les créatures difformes. Ce dernier lui achète toutes sortes de cadavres à empailler et plus ils sont étranges et rares, plus il les aime.
Bien sûr, ces trois protagonistes vont être amenés à se croiser et bien sûr, cet instant-là sera déterminant pour tous trois. Mais comment, où et pourquoi, cela je vous laisse le soin de le découvrir.

Ensuite, il s'est rendu chaque jour auprès du petit animal; il avait vu les vers s'emparer de la chair, sa peau partir en lambeau, dévoilant la complexité de son ossature comme une fleur déploie lentement ses pétales. À chaque visite, son œil était attiré par de nouveaux détails : l'étonnante finesse du fémur, la surface dentelée du crâne, le son creux qu'il produisait sous ses doigts lorsqu'il lui donnait une chiquenaude.

Un mot tout d'abord d'un fort a priori de ma part qu'il me semble important de souligner et de questionner. Cette couverture est magnifique, nous sommes d'accord ? Travaillée expressément pour être attractive, à la fois colorée, étrange et mystérieuse, une partie de moi s'est fait prendre au jeu puisque le livre s'est retrouvé sur mes étagères. Pourtant, une autre partie de moi n'a pas pu s'empêcher de nourrir la crainte du roman médiocre, simplement et précisément sur la foi de cette couverture trop travaillée. Trop : l'adverbe est assez significatif. Une couverture peut-elle être trop travaillée en vue d'appâter le chaland ? Est-ce forcément suspect ?! Je sais que ce snobisme qui consiste à considérer que la bonne littérature se cache derrière une couverture toute en sobriété est particulièrement français mais j'ai beau en concevoir toute l'absurdité, je ne peux pas m'empêcher de tomber fréquemment dedans. Et vous ? Faites-vous partie des snobs un peu coincés ou des aventureux de la couverture affriolante ?

Bref, vous l'aurez compris, j'ai attaqué ce roman sur la pointe des pieds, en bonne snob littéraire que je suis. Et en effet, la mise en route de l'histoire a le côté scolaire et maladroit des premiers romans qui se cherchent encore. Il y a parfois, même, des facilités. Je me rappelle notamment d'une réflexion de Silas à l'endroit d'Iris qui manquait d'autant plus de subtilité que l'auteure s'est senti obligée de l'appuyer en italique, histoire d'en rajouter une louchette... Cela étant dit, ça n'a pas entaché ma curiosité et mon envie de voir où cela allait mener car l'ambiance victorienne et a fortiori, l'univers des préraphaélites sont on ne peut plus alléchants pour moi. Et je n'ai pas été déçue, honnêtement, sur ces points.

Elizabeth MacNeal a, me semble-t-il, extrêmement bien rendu la condition sociale des londoniens pauvres à travers ses trois protagonistes et leurs adjuvants sans rien enjoliver - à part bien sûr, la relation entre Iris et Louis, mais il fallait bien à cette histoire un argument romanesque pour être complète (beurre dans les épinards, sel sur les frites, cerise sur le gâteau etc.). J'ai particulièrement apprécié les passages relatifs aux corps : les odeurs, les textures sont esquissées de façon très plausibles et crues. Le bouge dans lequel officie la soeur d'Albie, la peau de Rose, la condition glaçante d'Iris dans la dernière partie : tout est peint sans fard. Le lecteur se voit livrer la dure réalité - ou devrais-je dire les dures réalités - de cette époque victorienne trop souvent idéalisée.

Elle s’efforce de concentrer son attention sur une œuvre montrant un ruisseau en Écosse : combien de pigments ont été nécessaires ? Combien de coups de pinceau le peintre a-t-il donnés pour la réaliser ? Tout comme une horloge dissimule ses rouages complexes derrière un simple cadran, cette salle dissimule l’abîme de réflexions auxquelles se sont livrés tous ces artistes pour parvenir à bout de leur travail.

En outre, c'est évidemment un plaisir total d'évoluer en la compagnie des peintres préraphaélites, de partager leur désinvolture, leurs tâtonnements, leurs interrogations et leurs choix artistiques. Pour Iris, la situation est encore plus complexe au vu de son sexe. Elle doit braver à la fois sa situation sociale, bien inférieure à celle de Louis Frost, mais aussi la morale de l'époque, prompte à qualifier une femme de perdue, sans parler de s'exercer à l'art auquel Louis Frost, Millais et Rossetti sont déjà rompus. Pour elle, le chemin est triple, contre la morale, vers l'amour et vers l'art et j'ai aimé la suivre dans ces escarpements.

Franchement, en temps de confinement, ce fut une lecture parfaitement adéquate : quelques faiblesses mais beaucoup de qualités, l'alchimie subtile des page turners qu'on lit avec un plaisir non dissimulé.

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Lady Lilith de Dante Gabriel Rossetti, 1866-68