07/10/2013
Battle de Nature Writing ou l'appel de la forêt
Aujourd'hui : deux livres pour le prix d'un ! C'est l'occasion de fêter l'entrer dans le challenge US organisé par Noctenbule et dont on attendait tous et toutes le top départ.
Un des courants littéraires qui symbolisent pour moi l'esprit nord-américain par excellence est le Nature Writing. Savant mélange d'autobiographie, de philosophie et de grandes balades dans la nature, il trouve ses racines chez Henry David Thoreau et son Walden ou la vie dans les bois. Dignes de leur illustre père, les écrivains de Nature Writing se retrouveront engagés, d'une manière ou d'une autre, à vivre autrement avec la nature. Il y a de aussi l'écologie dans ses récits de grands espaces ; sans donner de leçons, mais plutôt en apportant l'exemple qu'une autre manière de vivre est possible par le truchement de la littérature.
J'ai lu dernièrement deux livres dans cette veine - à la fois tellement proches et tellement différents que j'ai souhaité les chroniquer dans le même billet. L'un m'a totalement emportée, l'autre m'a énormément déçue. Je commencerai par le premier pour ne pas y passer trop longtemps.
Il s'agit de Winter de Rick Bass, publié en poche aux éditions Folio.
A la fin des années 80, Rick Bass et sa femme ont des envies de retraite artistique. Ils entament un périple de plusieurs mois à travers plusieurs états pour trouver le refuge de leurs rêves, suffisamment éloigné et pittoresque pour vivre la création dans la quiétude et la solitude. Mais ni l'Utah ni le Nouveau-Mexique ne trouvent grâce à leurs yeux. C'est fortuitement qu'ils finissent par dénicher une maison au fin fond du Montana dans la vallée de Yaak. Il s'agit d'en assurer le gardiennage durant l'hiver et d'accueillir le propriétaire lorsque celui-ci viendra chasser. Le village de Yaak est à plusieurs kilomètres et n'offre qu'un saloon et un magasin de premières nécessités. La "ville" la plus proche est à 60 kilomètres. Le couple Bass est conquis et s'installe pour passer un hiver aux températures glaciales.
Winter est rédigé sous forme de journal, de septembre à mars. Au jour le jour, l'auteur confie ses pensées et des considérations quotidiennes de manière plus ou moins détaillée. Après avoir visionné un reportage particulièrement passionnant sur l'état du Montana, je voulais me plonger dans un récit qui en raconterait la vie âpre et splendide. Comme le livre que voilà a reçu des éloges à la pelle sur la blogosphère, je l'ai immédiatement choisi. Malheureusement, je n'y ai absolument pas trouvé l'intérêt de mes consœurs blogueuses. Le début est plutôt prenant, presque drôle : Rick Bass avoue non sans une pointe d'humour être un néophyte aux allures de hippie dans sa vieille camionnette, en compagnie de ses deux chiens. L'emménagement dans le nord du Montana est pour eux une aventure de vie. Ils n'ont ni eau courante, ni électricité et les températures tombent jusqu'à moins quarante. Il ne s'agit donc pas d'une petite promenade de santé pour des citadins en mal de nature sauvage. Mais très rapidement, j'ai complètement décroché et je pense que cela tient à la forme du journal. Bass écrit dans l'immédiateté de l'expérience et vire rapidement à l'anecdotique. Fait 1 : il coupe du bois. Fait 2 : il coupe du bois. Fait 3 : il attend la neige. Et avec ces quelques éléments, on tourne rapidement en rond. Je n'ai rien trouvé de littéraire dans son écriture, ni aucune considération pouvant élevé le débat d'un journal de bord stricto sensu sans doute très utile pour celui qui vit l'expérience mais très ennuyeuse pour le lecteur.
La vallée de Yaak
Fort heureusement, le Nature Writing peut faire bien mieux que ça et je l'ai trouvé dans l'excellent Indian Creek de Pete Fromm sous titré Un hiver au coeur des Rocheuses.
Gallmeister, en matière de Nature Writing, est une maison d'édition de référence. On ne compte plus les nombreux titres passionnants traduits dans cette collection.
Dans le fond d'Indian Creek, rien de si différent par rapport à Winter, à part quelques faits finalement anecdotiques. Pete Fromm est maître nageur estival lorsqu'il entend parler d'un boulot saisonnier qui le fait rêver : partir pendant les sept mois d'hiver dans un coin paumé de l'Idaho (à 80 miles de la frontière d'avec Montana) pour surveiller des œufs de saumon en réintroduction pour la pêche. Il a une vingtaine d'années et est étudiant en biologie animale à Missoula. Il veut vivre quelque chose qui mériterait d'être raconté - et il part donc plein de récits d'aventure, très à l'arrache, sans trop savoir ce qui l'attend. Contrairement à Rick Bass, Pete Fromm est seul, n'a qu'une tente un peu moisie et un vieux poêle en guise d'habitation, aucun moyen de transport dès les premières neiges tombées et pour couronner le tout, le téléphone le plus proche ne fonctionne pas. Les conditions sont particulièrement extrêmes, presque folles même (j'ai trouvé les rangers qui l'emploient complètement inconscients de le préparer si peu à une telle expérience !!) mais on retrouve le même objectif que dans Winter : Témoigner de son expérience de presque néophyte au plus proche d'une nature hostile et pourtant parfaite.
Là où Pete Fromm est pourtant bien plus intelligent que Rick Bass, c'est qu'il laisse maturer l'expérience avant de la coucher sur papier. Comme il le dit à la fin du livre, cette fameuse histoire à raconter, il a finalement mis plusieurs années avant d'en trouver quelque chose à dire. Il n'est pas évident de se détacher d'un quotidien répétitif, basique pour livrer une expérience enrichissante, universelle, propre à intéresser le plus grand nombre. Fromm attend donc, devient ranger et rédige des nouvelles. Indian Creek prendra d'abord la forme de cinq épisodes commandés avant de devenir le récit que voilà. Cette forme narrative favorise les mouvements temporels et les aspects réflexifs. Et d'un coup, ces mois aux côtés de Pete Fromm sont passionnants et émouvants, se lisent comme une véritable aventure à la Jack London. Je le conseille vivement à tous les aficionados de Nature Writing comme à ceux qui souhaitent découvrir ce genre.
Indian Creek
09:00 Publié dans Challenge, Littérature anglophone, Nature Writing/Récit de voyage | Lien permanent | Commentaires (14)
Commentaires
J'aurais pensé que Rick Bass pouvait être un auteur intéressant et je relève la phrase qu'il n'y a pas de qualité littéraire
le 2e est plus intéressant à ce que tu en as ressenti
je découvre la notion de nature writing tout en connaissant Thoreau, un des précurseurs de la non-violence
Écrit par : denis | 07/10/2013
Rick Bass est sans doute intéressant : Pour ma part, je n'ai jamais lu ses nouvelles ni ses romans donc je ne peux pas juger. Mais il est clair que, pour moi, ce "Winter" n'a rien de décoiffant. Le propos comme le style ne cassent vraiment pas trois pattes à un canard. "Indian Creek" de Pete Fromm est supérieur à tous points de vue en matière de Nature Writing.
Écrit par : Lili | 07/10/2013
J'avais aussi entendu du bien de Bass, mais là tu refroidis (sans jeux de mots!) mon enthousiasme. Fromm me fait aussi très envie. As-tu lu Rites d'automne de Dan O'Brien? c'est du nature writing aussi et c'est passionnant. c'était ma première lecture pour ce challenge.
Écrit par : choupynette | 07/10/2013
Je n'ai pas lu "Rites d'automne" mais je l'ai dans ma PAL ! Je vais voir de ce pas ton billet !
Écrit par : Lili | 07/10/2013
Si je me décide pour le nature writing, ce sera avec le deuxième alors :-)
Écrit par : Manu | 07/10/2013
Indéniablement ^^
Écrit par : Lili | 07/10/2013
Je ne sais pas si je me laisserai tenter par Indian, mais je trouve que ces romans de "nature writing" très beaux dans le symbole qu'ils laissent. J'avais beaucoup aimé étudier Walden, même si je reconnais avoir trouvé certains passages un peu longs!
Écrit par : Tiphanie | 07/10/2013
Oui, lorsqu'ils discourent sur des problématiques techniques, ça peut vite devenir fastidieux pour le lecteur ! Mais globalement, il y a une belle philosophie de vie à en retirer :)
Écrit par : Lili | 08/10/2013
Venant du pays de l'hiver, je n'étais pas certaine de souhaiter lire un récit là-dessus... Il semble que ce ne soit pas nécessaire. Je me replongerai plutôt encore dans Thoreau, toujours actuel.
Écrit par : Lucie | 08/10/2013
Concernant cette oeuvre précise de Rick Bass, non, ça ne me semble pas nécessaire en effet...
Écrit par : Lili | 08/10/2013
Je ne connaissais pas et je dois dire que je comprends pourquoi : ça ne me tente pas des masses. Mais j'aurais au moins ouvert les yeux sur son existence !
Écrit par : Shelbylee | 08/10/2013
Héhé, à l'occasion, il y a quand même de très bons livres de Nature Writing ^^
Écrit par : Lili | 08/10/2013
Indian creek à été un big coup de coeur pour moi ! je dois lire prochainement Winter ! j’espère qu"il me plaira
Écrit par : chinoukl | 08/11/2013
J'espère qu'il sera à la hauteur de tes attentes (ce qui n'a pas été mon cas^^) après le superbe "Indian Creek" !
Écrit par : Lili | 10/11/2013
Les commentaires sont fermés.