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27/02/2014

L'hiver dans le sang de James Welch

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L'hiver dans le sang de James Welch, Albin Michel, coll. Terres d'Amérique, 2008 [1974], 213p.

 

On ne va pas se mentir : oui, encore du roman amérindien, et même le 3eme de James Welch depuis l'automne. D'aucuns pourraient penser que ça frise la monomanie cette année et ils n'auraient pas tort. Entre cette littérature en particulier et les classiques français, voilà deux orientations plus ou moins imposées par mon travail, auxquelles je goûte néanmoins avec plaisir la plupart du temps, mais qui, j'en conviens, peuvent devenir un peu omniprésentes sur ce blog et le faire souffrir d'un manque de diversité. J'espère que vous ne m'en tiendrez pas rigueur et que vous y glanerez quand même quelques belles idées de lectures !

L'hiver dans le sang, donc, est le premier roman de James Welch que je m'amuse à lire dans le désordre. Publié en 1974 aux USA, il est premièrement paru en France en 1992, deux ans plus tard en poche, pour finir par ne plus l'être du tout comme beaucoup de littérature amérindienne (et sa version 10/18 n'est donc trouvable que d'occasion). Bien heureusement, Albin Michel en a lancé une seconde édition courante en 2008, assortie d'une préface de Louise Erdrich - très connue en France donc... On fait ce qu'on peut pour appâter le chaland sur une lecture qui vaut le coup mais qui, pour une raison que j'ignore, passionne peu.

Avec ce roman, James Welch s'inscrit dans la droite ligne de N. Scott Momaday et sa Maison de l'Aube parue en 1968 (qu'il faut définitivement que je me procure et lise grmbl) ; ligne dans laquelle s'inscrira également Leslie Marmon Silko avec sa géniale Cérémonie en 1977 : la fameuse "renaissance amérindienne", où une voie nouvelle, celle de la littérature, est prise par ceux qui ont longtemps été forcés au silence. Ils y disent à la fois toute l'aliénation personnelle et culturelle dont ils souffrent et leur volonté de renaître, de réconcilier leurs racines ancestrales et la possibilité d'aller vers une évolution constructive.

Le héros de L'hiver dans le sang, qui en est aussi le narrateur, nous reste inconnu. Nous ne connaitrons jamais son nom. Nous savons seulement qu'il est un jeune Blackfeet d'une trentaine d'années entre les années 60 et 70 et qu'il habite une réserve du Montana. Il vit avec sa mère, son beau-père Lame Bull et sa grand-mère antédiluvienne, jadis épouse du dernier grand chef Blackfeet, aujourd'hui mutique. D'après ce que l'on comprend, il est cowboy : sa vie est rythmée, lorsqu'il ne boit pas, par les veaux et le travail des champs. Le roman brosse quelques jours de ce quotidien fait d'errances alcooliques, de rencontres improbables, de travail aux champs et avec les bêtes et de souvenirs hypnotiques de son frère aîné et de son père décédés.

En chapitres très courts, Welch alterne les épisodes sans forcément de transitions. A l'image de Leslie Marmon Silko dans Cérémonie mais avec beaucoup moins de complexité dans la construction et une plus grande simplicité stylistique, ce parti pris narratif métaphorise la fragmentation de l'être qui ne se reconnait plus dans un passé qu'il n'a pas connu et qui ne lui a pas été transmis, un présent sans racine et un avenir flou voire impossible. La perte des deux figures majeures du narrateur, le père et le grand frère exprime d'ailleurs cette perte de repères essentiels. L'un mort violemment à cheval, l'autre gelé au fond d'un ravin ne sont pas sans rappeler une Histoire qui reste ainsi gravée même si sa souvenance n'apparaît pas consciemment. Comme ce passé qui ne peut plus se dire ni s'entendre, les deux anciens du roman souffrent de lacunes sensorielles : la grand-mère est muette et le vieux Yellow Calf est aveugle. Beaucoup les pensaient d'ailleurs déjà morts mais c'est seulement dans la solitude et l'indifférence qu'ils vieillissent. Ils n'appartiennent déjà plus à ce monde.

L'aliénation se traduit également dans l'absence totale d'émotions. Aucun affect n'est jamais accordé aux personnages - et qui plus, au personnage narrateur. Ils sont dans une distance perpétuelle à l'autre et à eux-mêmes et aucun sentiment ne semble les relier. Le narrateur l'exprime parfaitement dès la fin du premier chapitre :

"Rentrer chez ma mère et une vieille qui était ma grand-mère. Et la fille qu'on prenait pour ma femme. Mais elle ne comptait pas vraiment. D'ailleurs, aucune d'elles ne comptait ; elles n'étaient plus rien pour moi. Sans raison spéciale. Je n'éprouvais ni haine, ni amour, ni remords, ni mauvaise conscience, rien qu'une distance qui s'accroissait au fil des ans."

Louise Erdrich dit dans son introduction qu'elle comprend ce que veut dire le titre sans nous en dévoiler la signification mais c'est peut-être bien ça, "l'hiver dans le sang" : à la fois, un passé voilé, non pas absent mais recouvert et gelé comme un sol d'hiver, sur lequel ne peut rien pousser, ni présent, ni émotion.  Une image pleine de nature et d'une idée de la lignée, deux éléments si chers jadis aux amérindiens, pour en signifier précisément aujourd'hui l'impossibilité.

Quoique. L'impossibilité comme avant, certes. Mais il y a toujours une possibilité d'évolution. Après tout, le narrateur s'occupe de ses bêtes et de ses terres. C'est d'ailleurs dans leurs évocations que naissent les morceaux les plus poétiques du roman. A la fin, il va même au péril de sa vie pour sauver une vache prise dans un marécage. Et le livre se clôt sur l'envie de regarder en avant plus qu'en arrière. Une lueur alors point.

Je pourrais en dire encore beaucoup sur ce premier roman qui m'a touchée et dans lequel j'ai retrouvé énormément de thèmes de la littérature amérindienne. Welch a notamment un talent particulier pour brosser en peu de mots des portraits de personnages éphémères atypiques et pleins de sens. Mais je vais plutôt conclure en vous disant qu'il me semble être un livre parfait - pas trop long en plus - pour comprendre cette littérature. Il est simple, très abordable tout en étant riche et poétique.

 

Challenge améridiens.jpgChallenge Amérindiens

14eme lecture

 

 

 

 

challenge US.jpgChallenge américain chez Noctenbule

11eme lecture

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Commentaires

C'est bizarre, c'est une littérature qui m'attire peu sans que je sache dire pourquoi. Mais avec "Josey Wales hors-la-loi" j'ai eu une sacrée bonne surprise, alors pourquoi pas après tout ?

Écrit par : Natiora | 27/02/2014

En même temps, en y réfléchissant, cela peut se comprendre : Plusieurs d'éléments de la vie des Amérindiens contemporains n'ont rien de très joyeux... Du coup, ce n'est pas forcément une littérature dont on ressort dépaysé dans le sens "exotique" et "divertissant" du terme... Mais peut-être peux-tu tenter avec un roman amérindien plus historique ? :)

Écrit par : Lili | 27/02/2014

j'ai lu 2 livres de lui et un vrai bonheur de lecture.
J'espère lire celui-ci

Écrit par : denis | 27/02/2014

Il éclaire de manière intéressante la suite de son œuvre, je trouve !

Écrit par : Lili | 27/02/2014

Comme Natiora je t'avoue que j'ai pas le déclic pour cette littérature, je ne sais pas pourquoi non plus. Je lirai 1000 femmes blanches et un roman de Louise Erdrich, histoire de ne pas mourir idiote, et qui sais peut-être aurais-je le déclic à ce moment là ?

Écrit par : Bianca | 27/02/2014

Pour le coup, "Mille femmes blanches" m'attire moins à cause de l'absence de véracité historique. Mais un de ces 4, quand j'aurai épuisé d'autres auteurs, j'y viendrai sûrement aussi !
De Louise Erdrich, je pense que "Ce qui a dévoré nos coeurs" pourrait te plaire :)

Écrit par : Lili | 27/02/2014

J'avoue avoir déjà fait l'expérience d'un livre où le narrateur n'avait pas de nom. C'est assez difficile à lire selon moi. J'avoue ne pas avoir aimé du tout ce style. Donc, je te remercie pour cet article très intéressant, mais je n’achèterai pas ce livre.

Bises.

Écrit par : Laurent FUCHS | 27/02/2014

Je comprends tout à fait que l'absence d'identité claire du narrateur puisse dérouter.

Écrit par : Lili | 27/02/2014

Très bel article vraiment sur un auteur que j'apprécie, tu le sais. J'ai lu pas mal d'auteurs de cette mouvance de Welch à Ownes, de Momaday à Treuer, de Lesley à Alexie.

Écrit par : Eeguab | 27/02/2014

Merci Eeguab, et je suis contente de ne pas être la seule à apprécier ! Tu as clairement une longueur d'avance sur moi concernant cette littérature ! J'ai Treuer et Alexie dans ma PAL mais ne les ai pas encore lu ; quand à Momaday, il faut encore que je me le procure. Owens, je le lis surtout en théorie pour mes recherches. Rhalala, il y a temps à lire !!

Écrit par : Lili | 27/02/2014

Suite à mon billet, lorsque je suis allée à la médiathèque, il vendait un livre de James Welch à 50cts, je l'ai acheté sans réfléchir :)
Merci

Écrit par : Noctenbule | 28/02/2014

Avec plaisir ! De quel titre s'agit-il ? J'espère qu'il te plaira !

Écrit par : Lili | 28/02/2014

Je vais plutôt rester sur celui dont le titre parle de Marseille :-)

Écrit par : Manu | 01/03/2014

Tu as raison ;)

Écrit par : Lili | 02/03/2014

Les commentaires sont fermés.