12/05/2014
La clôture des merveilles de Lorette Nobécourt
La clôture des merveilles de Lorette Nobécourt, Grasset, 2013, 144p.
Depuis En nous la vie des morts en 2006, romans et récits de Lorette Nobécourt se dépouillent et quêtent l'absolu. La spiritualité y devient lumière, flamme, liberté ; l'écriture, son chemin privilégié. C'est avec ce style et cette foi que je l'ai découverte et aimée énormément. Malheureusement, le charme n'a déjà plus opéré avec son précédemment roman intitulé Grâce leur soit rendue, et voilà qu'il en est de même pour ce nouvel opus. J'avoue que la déception et la perplexité me gagnent doucement.
Dans La clôture des merveilles (quel titre délicieux, n'est-ce pas ?), l'auteure propose son regard sur l'existence d'Hildegarde de Bingen, la grande mystique médiévale. En 1106, à huit ans, elle rentre au couvent des bénédictines comme dernière fille de sa fratrie et y prend le voile monastique à quatorze ans. Hildegarde ; que Lorette Nobécourt appelle H. car elle pourrait être nous tous, car elle est surtout cette spirante magnifique qui va et vient perpétuellement vers le divin ; H., donc, vit au quotidien son attachement au souffle suprême à travers des visions qui l'habitent depuis l'âge de trois ans. Ce sont ces visions qui lui feront prendre la plume à l'âge mûr car il lui faut répondre à l'appel de Dieu de transmettre, de mettre à nu. La foi de H. est avant tout sensation, émotion pure et parfois violent qu'il s'agit d'éprouver dans son corps bien plus qu'obéissance aveugle aux dogmes.
Par ailleurs, son savoir et sa sagesse s'étendent à l'art musical, la connaissance des plantes et des remèdes et à la divination. Dans La clôture des merveilles, H. apparaît comme l'être libre par excellence malgré le carcan de l'ordre religieux. En prise directe avec Dieu, elle n'a que faire des lois humaines. Sa foi l'affranchit des contingences, des exigences, des servitudes volontaires à l'égard de ce qui n'est pas divin et qui est, par conséquent, négligeable. H. tutoie les puissants, brave les interdictions, exige et recueille. A travers le personnage d'Hildegarde de Bingen, Lorette Nobécourt nous invite donc à une méditation mais une méditation exaltée. Non seulement sur une vie de cette grande mystique chrétienne - le déterminant indéfini dans le sous-titre est précieux : vous ne trouverez pas ici de biographie ou de souci de fouilles historiques - mais aussi de manière plus générale sur la nécessité toujours contemporaine d'être habité, conscient, exalté, dans la joie et la foi immense, quelles qu'elles soient. Pour Lorette Nobécourt, l'écriture semble être l'expression privilégiée de cette nécessité en même temps que son accomplissement.
Pourtant, après un début de lecture très enthousiaste où il me semblait retrouver la Lorette Nobécourt que j'aime tant, mon engouement s'est progressivement tari jusqu'à toucher à l'ennui puis à l'agacement. Je n'ai tout d'abord pas clairement identifié pourquoi. Après tout, je retrouvais effectivement les ingrédients poétiques et spirituels qui me l'ont faite apprécier dans En nous la vie des morts et L'Usure des jours. Ici, l'écriture se fait de plus en plus elliptique ; il s'agit de saisir en une fulgurance verbale, comme une urgence, un essentiel vibratoire. Et je reconnais amplement à Lorette Nobécourt cette envie palpable sous sa plume. Elle résonne d'une sincérité, d'une soif particulières. On peut y saisir ce mélange étrange et pénétrant d'organique et de transcendant. Sauf que plusieurs éléments m'ont tranquillement gâché le voyage.
Sur la forme tout d'abord. Si bien des morceaux restent d'une grande beauté poétique, beaucoup d'autres - une majorité pour moi, ceci expliquant ma déception - me semblent pécher par excès de béatitude un peu convenue et un peu niaise. Entre des comparaisons éculées et des tournures ampoulées, parfois archaïsantes, réutilisées à de nombreuses reprises parce que quand on en a trouvé une bonne, il faut la rentabiliser (spéciale dédicace à la fameuse viridité dont l'auteure fait son leitmotiv. On a pigé hein, pas besoin de le ressortir toutes les trois pages.), j'ai très rapidement eu l'impression de tourner en rond. Encore une fois, l'idée de départ de son livre me séduisait énormément. Mais au lieu d'en déployer une œuvre magistrale, quelque chose de puissant, de nouveau, d'inspiré, j'ai lu un énième verbiage d'exaltée ravie de la crèche, le tout soutenu par une poésie qui n'invente décidément pas le fil à couper le beurre. Soyons clairs, cet avis extrêmement tranché n'engage que moi et est à contre-courant de toutes les chroniques et critiques que j'ai pu lire sur le livre. Tout le monde (y compris Télérama, c'est vous dire) loue sa lumière, sa force, sa poésie. Voui.
L'autre élément de forme que j'ai, pour le coup, détesté consiste en la pirouette de nous copier/coller des passages entiers d'Hildegarde de Bingen (et quand je dis entier, je veux dire par là qu'ils tiennent facilement les 3/4 d'une page voire la page entière) en permanence ; et l'auteure de se contenter de glisser entre chaque c/c deux ou trois simples lignes de paraphrases aphorisantes ni vu ni connu je t'embrouille. Heu, c'est quoi l'enjeu du livre en fin de compte ? Faire un cadavre exquis avec les meilleurs morceaux d'Hildegarde et puis les compléter en pompant son style ? C'est clairement à ce moment là que de simplement déçue, je suis devenue franchement agacée.
Enfin, sur le fond. Lorette Nobécourt admire Hildegarde de Bingen, tant pour sa vie que pour ce qu'elle incarne : un archétype de l'être libre, engagé, lumineux. Je ne peux que la comprendre. Pourtant d'un point de vue de lecteur, je regrette que cette admiration se soit exprimée sous un angle un peu trop lisse, un peu trop univoque. Bien sûr, comme je le disais, c'est Une vie d'Hildegarde de Bingen et non une biographie. L'auteure ne nous ment pas du tout sur ses intentions. C'est tout simplement moi qui ne me sens pas rassasiée d'un parti pris trop superficiel, trop béat. Je crois que j'aurai apprécié plus de profondeur - encore une fois, le sujet me semblait pourtant l'appeler -, plus de complexité, plus de relief. Ici, il semble que la lumière soit tombée sur Lorette Nobécourt, qu'elle a levé les yeux au ciel et a vu Hildegarde dans un halo avec des petits anges autour. Encore une fois, voui. Mais bon, on s'en fout un peu en fait.
Je viens de relire cette chronique avant de la conclure et je me rends compte, malgré mon avis d'être pondérée, de bien peser le pour et le contre, que j'y suis de plus en plus acerbe et à peine ironique... Hmm... Je m'excuse platement pour le ton un peu virulent que mes mains m'ont fait prendre malgré moi à la fin. Encore une fois, j'ai énormément aimé les précédents travaux de Lorette Nobécourt et ce sujet là me passionnait d'emblée. Je pense donc que je n'ai su rester calme compte tenu de ma flagrante déception. Mea Culpa. Pour autant, je fais le choix de ne pas la réécrire car j'y suis juste franche, après tout. Je vous laisserai vous faire votre propre idée sur ce titre si vous le croisez quelque part !
(Illustration : Hildegarde recevant l'inspiration divine, manuscrit médiéval)
07:51 Publié dans Littérature française et francophone | Lien permanent | Commentaires (6)
Commentaires
Le propos du bouquin me plaisait bien et j'avais noté le nom de l'auteure dans un coin de ma tête, mais du coup ton billet me fait hésiter (notamment pour le double reproche que tu apportes, le côté "cadavre exquis" et recyclé du livre et le côté halo sur Hildegarde). Virulente ou pas, je te sais assez juste dans tes retours : j'ai tellement de trucs à lire que je pense donc passer mon chemin sur ce bouquin ! Voilà ! :D (Mais si par hasard il me tombe dans les mains, je ne manquerai pas d'en lire un passage pour voir ça !)
Écrit par : Charline | 12/05/2014
C'est ça : si l'occasion fait le larron, ça vaut le coup d'y jeter un coup d’œil, mais ce n'est pas la peine de le chercher exprès. Son style tourne en rond et son propos est trop peu nuancé, sans recul ni esprit critique. Même si elle prend le parti d'écrire "Une" vie d'Hildegarde, ça ne la dispensait pas d'en écrire quelque chose de complexe et de pertinent ^^
Écrit par : Lili | 12/05/2014
Ce n'est de toute façon pas pour moi, le mot médiéval me fait prendre mes jambes à mon cou !
Écrit par : Manu | 14/05/2014
N'y pense même pas, du coup :D
Écrit par : Lili | 14/05/2014
Je n'arrive pas à commenter sur le billet poésie (comme souvent , je ne sais pas si ça vient de moi ou H&F !!!) enfin... J'ai lu ta réponse à mon comm, pour Masson, donc pour l'instant je vais me contenter de des "Onzains...", j'attendrais que tu l'aies lu pour me lancer !
En ce qui concerne Lorette Nobécourt, j'avais adoré En nous la vie des morts, que je soupçonne d'être à l'origine d'une grosse panne de lecture après...^^... Toujours est-il que j'avais donné envie de lire cette auteure à Lydia, une spécialiste du Moyen-Âge et qu'elle avait été très très déçue par cette vision d'Hildegarde donc depuis j'y vais à pas menus ayant peur moi aussi d'être déçue par un autre de ses livres, je vais suivre ton conseil, tu es toujours de bon conseil !!! :) Je continuerai par l'Usure des jours...Bises Lili !
Écrit par : Asphodèle | 16/05/2014
Merci Aspho !
Je vais essayer de pas trop faire attendre la prose de Masson dans ma PAL et de les lire bientôt. Cet été, j'espère !
Je suis sûre que "L'usure des jours" te plaira. En tout cas, ça avait été un enchantement pour moi avec "En nous la vie des morts". Clairement, pour l'instant, je n'aime pas le virage qu'elle prend depuis. Autant l'ouverture à une lumière plus spirituelle était belle et profonde, autant ça commence franchement à virer à la caricature. Je suis heureuse pour elle qu'elle ait trouvé la joie mais ça ne l'arrange visiblement pas en tant qu'écrivain hmm...
Bises douces et belle journée !
PS : H&F bugge effectivement souvent pour les commentaires... Ce n'est pas faute de me plaindre mais je n'ai jamais aucune réponse :/
Écrit par : Lili | 16/05/2014
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