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05/05/2014

Fahrenheit 451 de Ray Bradbury

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Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, Folio SF, 2000 [1953], 212p.

 

bruler_livres_incendie_feu_.jpgDans un futur indéterminé, les livres ne sont plus en odeur de sainteté. Bien au contraire, ils sont accusés d'empêcher le bonheur de la population ; un bonheur qui se veut nivelé par le bas, où la réflexion et la culture ne sont que des instruments néfastes. Il s'agit de se lover dans un bonheur immobile, douillet, lisse. Rien ne doit venir troubler cette quiétude. L'humanité est devenue une moule sur son rocher. Dans cette société de la bêtise heureuse, les pompiers ont changé de statut : ils n'éteignent plus les feux mais les allument et font s'envoler dans une folle autodafé livres et maisons qui les abritaient. C'est cette profession qu'exerce Guy Montag et il se croit pleinement heureux en compagnie de sa femme Mildred et de leur famille virtuelle retranscrite en permanence sur écrans. Jusqu'au jour où il rencontre la jeune Clarisse. Adolescente originale, elle se promène la nuit, regarde les étoiles et aime discuter avec autrui. Toute chose qui ne se fait plus au risque d'ouvrir une brèche dans la surface lisse de l'existence ; ce qui se passe exactement avec Montag. Cette rencontre et les entrevues informelles qui en découlent l'invitent à se poser la question de son propre bonheur. Est-il vraiment heureux, au fond ? La réponse est évidemment non. Sous la surface, c'est le vide qui s'y cache et cette prise de conscience crée une cassure chez Montag. Mais alors, les livres - ou plutôt le savoir qu'ils renferment - dans tout ça ? Sont-ils si dangereux comme on le lui a toujours inculqué ou bien sont-ils la possibilité d'une nouvelle société ?

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J'ai lu de tous les avis sur ce roman. Des chroniques dithyrambiques et de grosses déceptions. Pour faire le tri dans ces avis partagés, il faut faire un point sur son genre. SF certes mais SF sans monstres, sans martiens, sans aventures à tire l'arigot et sans divertissement particulier, c'est un fait. Tout simplement parce que, dans la lignée de George Orwell peu de temps avant lui, Ray Bradbury propose une dystopie qui, sous couvert de science-fiction, nous invite à une réflexion profonde et toujours d'actualité sur nos sociétés contemporaines. Le livre lui-même fustige le divertissement gratuit, sans conscience ni conséquence, où l'être ne rechercherait que l'abrutissement, l'évasion, le laisser-aller neuronal. Autant dire que si l'on recherche ici un bouquin de SF de ce type-là (comme ce pourrait être le cas pour n'importe quel genre littéraire d'ailleurs), c'est évidemment raté. Moi-même, j'avoue avoir trouvé quelques épisodes un peu longs mais il me semble que c'est typiquement le genre de livres avec lesquels il faut passer outre ces détails de surface car là n'est pas le propos fondamental. Puisque nous en somme néanmoins à la facture, il me faut souligner l'excellent style de Ray Bradbury qui fait preuve d'une poésie particulière - et les métaphores de s'enchaîner sans complexe dès les premiers chapitres du roman. A de nombreuses reprises, il fragmente son propos pour rendre compte des aspérités qui se créent chez son protagoniste. J'ai vraiment aimé retrouver ce souci du style qui ne cède pas à la facilité d'une progression accrocheuse mais peu exigeante. Au fond, je pense que ce roman plairait bien plus à des lecteurs habituellement peu voire pas fan du tout de SF et inversement parce que la forme n'est qu'un prétexte au fond.

small_390272.jpgEt ce fameux fond, d'ailleurs, est plutôt terrifiant par son actualité, bien que j'y vois un poil plus d'optimisme que dans 1984 d'Orwell. Certes, on ne brûle plus les livres en occident comme le souligne la préface. Mais derrière cette métaphore purificatrice plutôt ironique, l'auteur souligne notre tendance sociétale à glisser doucement vers la stupidité la plus déconcertante d'un pas décidé. L'avalanche des outils qui n'ont plus pour but de nous élever mais de nous conforter dans la médiocrité est particulièrement bien envisagée par Bradbury dès 1953. Le meilleur moyen de tuer les livres est de tuer chez l'homme l'envie de les lire, ni plus ni moins. Et rien de tel que quelques écrans allumés en permanence, quelques discours propagandistes sous couvert de bonheur altruiste et la crainte de l'incendie pour y parvenir. La quête démesurée d'un bonheur qui ne souffre pas la contradiction et la différence est devenue une dictature de la pensée unique. Si tout cela fait froid dans le dos et je réitère ma conviction que nous n'en sommes actuellement pas très loin, Fahrenheit 451 est aussi une merveilleuse déclaration d'amour aux livres et à la culture. Dans la troisième partie du roman, Montag fuit et rejoint une congrégation informelle et itinérante dont les membres résistent en retenant par coeur le contenu fabuleux des livres. Ici Les voyages de Gulliver, La République de Platon ou L'Ecclésiaste. Au fond, le livre n'est qu'un écrin. Ce qui compte, c'est le savoir et ce que l'on fait de ce savoir. Conscient de n'être à leur tour que des écrins, ils retournent à la civilisation récemment dévastée par une guerre pour distribuer ces éléments de réflexion aux hommes afin, espèrent-ils, d'enrayer notre tendance à la destruction perpétuelle. Quel beau message d'espoir ! J'ai trouvé cette fin excellente : suffisamment ouverte et soumise aux aléas des êtres et du monde pour ne pas être un happy end facile, mais suffisamment lumineuse pour nous donner envie de continuer à lire, à parler de nos lectures pour porter ce goût et ce pouvoir du savoir. J'avoue qu'en tant que prof, je n'ai pu qu'être touchée de me dire que là était pour moi l'essence même de mon métier.

Les livres intemporels et primordiaux ne sont pas légions dans tout ce qui nous tombe régulièrement sous les yeux. Souvent, on referme un livre en se disant qu'il est bien agréable mais il y a fort à parier, si on n'en rédige pas une chronique dans les jours qui suivent, qu'on en aura oublié les trois quarts rapidement. Et puis, il y a les autres livres, ceux que l'on oublie pas et auxquels on reviendra. Je peux ajouter Fahrenheit 451 à ces livres-là.

 

challenge-des-100-livres-chez-bianca.jpgChallenge des 100 livres à avoir lus chez Bianca

13eme lecture

 

 

 

 

challenge melange des genres.jpgChallenge Le mélange des genres chez Miss Léo

1ere participation catégorie SF

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Commentaires

"Fahrenheit 451 est aussi une merveilleuse déclaration d'amour aux livres et à la culture."
Tout à fait et je partage ton avis sur l'importance de ce livre.

Écrit par : Eeguab | 05/05/2014

C'est un livre à partager sans modération !

Écrit par : Lili | 06/05/2014

J'aime beaucoup ta réflexion sur ce livre que j'ai vraiment apprécié en son temps. On ne brûle plus les livres mais on peut tuer l'envie de les lire, certes! et l' on peut faire plus même à l'heure actuelle comme cette mairie du Fn qui les interdit (du moins ceux qui la dérangent)...

Écrit par : claudialucia ma librairie | 05/05/2014

C'est vrai qu'il y a également le risque d'un retour de la censure (effective ou détournée)... Dans tous les cas, l'objectif est d'éviter que les gens réfléchissent trop, posent des questions, remettent en question. Pour cela, une seule solution : continuer à réfléchir !

Écrit par : Lili | 06/05/2014

dire que je ne l'ai pas lu... tant de livres encore à découvrir! et heureusement!

Écrit par : Eimelle | 07/05/2014

Je ne l'avais pas encore lu il y a encore quelques semaines ! On ne peut pas avoir déjà lu tous les classiques et comme tu dis, heureusement ! C'est ce qui rend la perspective de continuer à lire si passionnante !

Écrit par : Lili | 07/05/2014

Ton avis est vraiment intelligent et bien réfléchi. J'hésite souvent à mettre ce livre dans mon panier, car j'ai peur de m'ennuyer ou de ne pas aimer. Mais je dois le lire, ton billet m'en convainc !

Écrit par : Manu | 07/05/2014

Hmm disons qu'il y a effectivement quelques passages un peu longs mais cela reste tout à fait lisible sans s'ennuyer des heures. Le bouquin lui-même est assez court donc en lisant un peu vite quelques 3-4 pages de-ci de-là, on n'a pas le temps de s’appesantir dessus et au final, la réflexion qui sous-tend l'histoire rachète ses épisodes !

Écrit par : Lili | 07/05/2014

Même mes livres fétiches, je finis toujours par oublier beaucoup de choses... Mais ce livre là, je l'avais apprécié pour son message malgré quelques longueurs...

Écrit par : maggie | 07/05/2014

Bon, j'ai été un peu hyperbolique dans ma conclusion. C'est vrai qu'on ne se rappelle jamais de l'entier d'un bouquin, même lorsqu'il nous a beaucoup marqué. Mais on s'en souvient toujours peu plus que des autres :D

Écrit par : Lili | 07/05/2014

Très beau billet, Lili ! Cette branche de la SF offrant une réflexion philosophique est celle qui m'intéresse le plus. C'est en effet bouleversant que ce livre écrit en 1953 soit aussi actuel.

Écrit par : Topinambulle | 09/05/2014

Je suis d'accord avec toi sur ces deux points ! J'ai d'ailleurs vu que tu lisais 1984 en ce moment ; j'ai hâte d'en lire ton avis ! Il m'avait fait un sacré électrochoc pour ma part, tout comme Fahrenheit 451 !

Écrit par : Lili | 09/05/2014

culte, j'en ai gardé de nombreuses citations.

Écrit par : Theoma | 10/05/2014

Pareil que toi ! J'ai pleins de petits signets au fil des pages ^^

Écrit par : Lili | 10/05/2014

Tout à fait d'accord avec toi. J'ai beaucoup aimé et été agréablement surprise!

Écrit par : Karine:) | 15/05/2014

Oui, il se lit très bien malgré le propos plutôt philosophique. Parfait donc !

Écrit par : Lili | 15/05/2014

Contrairement à toi, j'avais trouvé ce livre vieillot, beaucoup moins marquant qu'un "1984". Pourtant, comme tu le dis, le fond est riche.

Écrit par : Lilly | 15/06/2014

Oh. Pour ma part, je les range dans la même catégorie pour l'effet saisissant qu'ils ont eu sur moi !

Écrit par : Lili | 15/06/2014

Les commentaires sont fermés.