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03/06/2016

La fascination de l'étang de Virginia Woolf

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La fascination de l'étang de Virginia Woolf, Points, 2013, 290p.

 

coup de coeur.jpgFemme indigne, peut-être, à sa manière et en son temps : Virginia Woolf a vécu plusieurs années en célibataire avec ses frères dans une maison qui rassemblait ce fameux cercle de Bloomsbury rempli d'hommes. D'une extrême sensibilité aux humeurs, perméable aux sensations et soumise aux aléas de la dépression, Virginia Woolf dénotait à plus d'un titre dans l'atmosphère encore bienséante du début du XXème siècle, sans parler de son génie hors norme et de son ironie aiguisée. Indignée, assurément, du sort des femmes, et de cette culture qui autorise à l'homme et non à la femme une chambre à soi. Tout cela, on le sait déjà : Virginia Woolf n'est plus à présenter, à tous points de vue. Pourtant, de ses œuvres romanesques magistrales nous manque peut-être une vue d'ensemble - à moins d'avoir déjà tout lu.

La fascination de l'étang nous offre cette possibilité d'un voyage à travers toutes ses années de création littéraire - en somme, le voyage express vers l'aperçu génial d'un devenir écrivain, d'une voix qui se cherche, d'un style qui s'affirme. Au tout début, en 1906, les marottes de Virginia Woolf sont déjà là : la féminité, la recherche d'une indépendance de l'être, la solitude au sein du bourdonnement des villes. "Phyllis et Rosamund" questionne déjà tout cela autour du mariage et de l'affirmation de ses propres décisions, mais dans un style encore emprunt d'une certaine neutralité. On est encore, en 1906, dans un récit à la troisième personne. C'était déjà très bon, évidemment, puisque c'est déjà Woolf, mais ce n'était pas encore la Woolf de Mrs Dalloway ou de La promenade au phare ; plutôt une Woolf en gestation, au sein du cocon des Lettres, mâchouillant déjà propos et idées qui ne la quitteront plus mais cherchant le bon mot, le bon angle, le bon flux. A cette époque, nous sommes quelques neuf ans avant la parution de son premier roman, The Voyage Out.

- Fuyons ! La lune est noire sur la lande. Partons à l'assaut de ces vagues d'obscurité, couronnées par les arbres, qui se soulèvent à jamais, solitaires et noires. Les lumières montent et chutent. L'eau est légère comme de l'air ; la lune luit derrière. Sombrer ? Rouler ? voir les îles ? Seul avec moi. p. 114 (in "La soirée")

Et puis, "La soirée". Génial tournant, claque magistrale : 1919, époque de Night and Day, ce deuxième roman dont on s'accorde à dire qu'il ne marque pas encore l'éclosion totale du style de Woolf, et pourtant, tout était déjà dans cette nouvelle ; il n'attendait plus que quelques années avant de s'épanouir sous la forme romanesque. Le flux de conscience fait son entrée délicate en l'esprit d'une jeune femme invitée à une réception et les pensées fusent entre les paroles au point de ne plus savoir exactement qui est quoi. Plus que de la littérature, la voix de Woolf émerge comme chant, comme incantation de l'instant présent et des êtres évanescents. Une pure merveille que j'ai relue plusieurs fois, presque d'affilée, puis à plus longs intervalles, avec un ravissement renouvelé. Chaque mot est poésie pure.

Progressivement, les nouvelles deviennent ainsi, à l'image des titres de deux d'entre elles, "Tableaux" et "Portraits". On glisse du factuel au vivant, au saisissement d'impressions et d'instants de vie fugaces. Une certaine fascination pour l'eau, tantôt stagnante de l'étang, tantôt flux et reflux des vagues, s'affirme peu à peu, à l'image du courant qui porte progressivement la vie et l'existence de Woolf. Mrs Dalloway, aussi, est déjà là, dans Bond Street en 1922, année de la parution de Jacob's room et trois ans avant le roman éponyme. A cette époque, ce sont des gants qu'elle s'en va acheter, traversant Londres et s'en laissant traverser. Les nouvelles qui suivent livreront au lecteur certains de ses invités croqués sur le vif, révélant du même coup d'autres visages de Mrs Dalloway.

Il est impossible de mettre des mots là-dessus, et puis c'est superflu. Sous les vibrations vacillantes de ces petites créatures, il y a toujours un réservoir profond, et la mélodie simple, sans le dire, lui fait quelque chose de curieux : elle en ride la surface, elle le liquéfie, elle y crée des remous, le fait rouler et palpiter dans les profondeurs de l'être jusqu'à ce que des idées surgissent de cette nappe d'eau et montent au cerveau faire des bulles. p. 205 (in "Mélodie simple")

Ainsi s'offre au lecteur le cabinet de création d'une des plus grandes auteures anglaises (et malgré le grincement de dents que peut susciter le féminin de cette auguste profession, je crois qu'il sied à Woolf d'affirmer son combat pour la reconnaissance des femmes de Lettres). Nous y voilà donc, au génie, au cheminement de l'alliance inespérée de la prose et de la poésie.

 

Le mois anglais 2016.jpgLe mois anglais 2016 chez Lou et Cryssilda

2ème participation

LC Femmes indignes et indignées

 

 

 

 

 

 

Challenge femmes de lettres.jpgChallenge Femmes de Lettres chez George

1ère participation pour une auteure du XXème siècle

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Commentaires

Quel beau billet, tout à l'image de ta sensibilité ! Et j'adore cette lecture mise dans le contexte de l'oeuvre entière. :-)

Écrit par : Charline | 03/06/2016

Merci ma douce ! Ça me paraissait intéressant de voir l'évolution de son style au regard de sa production romanesque. Du coup, on se rend compte que les nouvelles ont clairement été un laboratoire de style et personnages qu'elle a ensuite exploité dans ses romans.

Écrit par : Lili | 04/06/2016

Je rejoins Charline, c'est un billet superbe en hommage à ce livre et à Virginia Woolf. J'avais lu ce titre il y a longtemps et tu me donnes envie de m'y replonger. On est bien loin de "Virginia et Vita" que j'ai lu en avril mais qui manquait cruellement de subtilité.

Écrit par : Lou | 04/06/2016

Merci Lou ! Ahh, "Virginia et Vita", je n'en suis même pas allée au bout tant c'était en dessous de tout...

Écrit par : Lili | 04/06/2016

J'ai cru reconnaître des nouvelles de Virginia Woolf (j'ai en projet de continuer à les lire), celle dans la soirée, par exemple.

Écrit par : keisha | 04/06/2016

Il faut que tu mènes à bien ton projet alors ;)

Écrit par : Lili | 04/06/2016

Très beau billet, très sensible et qui analyse précisément ces nouvelles et l'évolution du style de Virginia Woolf. Une belle première participation.

Écrit par : George | 05/06/2016

Merci beaucoup George! Je suis ravie si je suis parvenue à rendre justement honneur à Woolf !

Écrit par : Lili | 05/06/2016

PAs encore lu ces nouvelles mais je lis de temps en temps, des oeuvres de V. Woolf... Celui-ci sera au programme !

Écrit par : maggie | 05/06/2016

L'avantage, c'est que ces nouvelles se lisent aussi bien pour découvrir Woolf qu'une fois qu'on connaît bien son oeuvre ! Elles se lisent bien tout court en fait !

Écrit par : Lili | 05/06/2016

waouh ça donne vraiment envie de me remettre à Woolf, moi qui n'ai même pas encore lu ses romans les plus fameux (juste les vagues pour le mois anglais de l'an passé...)

Écrit par : ellettres | 16/06/2016

"Les vagues" est déjà un de ses romans les plus fameux, et quel roman !!! Je suis ravie de te donner envie de poursuivre la découverte. Woolf est une auteure tellement merveilleuse !

Écrit par : Lili | 17/06/2016

Quelle belle analyse ! Je me plonge dans Une Chambre à soi très bientôt.

Écrit par : Pousse de Ginkgo | 06/08/2016

Les commentaires sont fermés.