26/04/2018
Pays de neige de Yasunari Kawabata
Le silence et la paix montaient comme un cantique.
Ce livre est une saison. La pudeur et la poésie de Kawabata, cette blancheur de style, ces cimes enneigées qui jamais ne fondent, le silence et la solitude d'une petit village japonais : tout invite à se délecter de ce texte court et terriblement profond dans la chaleur d'un cocon hivernal, regardant la neige au dehors. Je le chronique un peu tard, je sais. Je ne suis plus dans les clous de l'hiver. Mais le dépaysement a du bon, parfois, y compris le dépaysement des saisons. Il souffle des inspirations inattendues à la mémoire, et peut-être ressortiront-elles plus tard, au moment opportun.
Vous autres, à Tôkyô, vous compliquez tout. Votre vie n’est que bruit et désordre, dans une agitation qui vous brise le sentiment en menus morceaux.
Pourtant, ce n'est pas toujours l'hiver dans ce livre. Shimamura fait le voyage à trois reprises jusqu'à ce pays de neige mais jamais en pleine saison. Il fuit Tokyo, sa famille et sa vie aisée pour retrouver Komako, une jeune geisha. Nous sommes dans les années 30, dans un Japon rural fait de traditions, de rituels, de retenue. Tout y est à mille lieues de nous. Ce que Shimamura cherche au contact de la montagne - du sens, un espace purificateur auquel se livrer corps et âme : sortir de soi pour mieux y revenir -, c'est en Komako qu'il le trouve. Cela ne fait pas de lui un amoureux passionné, bien au contraire. Il est oublieux souvent, peu expressif, et laisse la jeune fille le séduire et revenir à lui constamment. Mais il s'imprègne de leurs échanges, s'y lave abondamment pour donner à son tour petit à petit. Il se questionne souvent. Il accepte, s'apaise, s'ouvre à la simplicité. Il vit : se fait écho du monde.
Telle une aurore infinie, la Voie Lactée l’inondait tout entier avant d’aller se perdre aux derniers confins du monde. Et cette froide sérénité courut en lui comme un frisson, comme une onde voluptueuse, qui le laissa tout ensemble étonné et émerveillé.
Kawabata a ciselé avec ce texte un diamant de perfection, terriblement éloigné de nos envolées occidentales, si diaphane que l'on pourrait le méjuger transparent, extrêmement impalpable, où le génie réside dans les interstices, dans ce qui ne se dit pas. A cet égard, je dois souligner l'extraordinaire travail des traducteurs, Bunkichi Fujimori et Armel Guerne, qui sont parvenus à restituer intacte la poésie réaliste et aérienne, d'une pureté étonnante, de l'auteur japonais. Lire Pays de neige est un voyage dans une contrée étrangère fascinante, du point de vue du fond comme de la forme ; et pourtant, il y a ce tintement génial de l'universalité qui vibre à l'oreille du lecteur fébrile. En s'ouvrant, comme Shimamura, à l'autre que soi, au différent, on désapprend, on inspire, on se tait. On goûte l'équilibre. Quelle expérience merveilleuse. Quelle plus belle leçon de celle-là ?
Il y avait une telle beauté dans cette voix qui s'en allait, haute et vibrante, rouler comme un écho sur la neige et dans la nuit ; elle possédait un charme si émouvant, qu'on en avait le cœur pénétré de tristesse.
19:41 Publié dans Classiques, Coups de coeur, Littérature asiatique, Poésie | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : pays de neige, neige, campagne, japon, kawabata, prix nobel de littérature, calme, geisha, amour, fragilité, blanc, blancheur, mort, sentiments, solitude, départ, train, incendie, sens
Commentaires
oh oui cela semble etre un excellent texte...en tout cas tu nous donnes envie de le lire...
Écrit par : rachel | 26/04/2018
Je te confirme qu'il est excellent. Kawabata n'a pas eu son Nobel dans une pochette surprise ! Je suis ravie si je te donne envie de le lire à ton tour !
Écrit par : Lili | 27/04/2018
il est note pour mon prochain passage en France...
Écrit par : rachel | 27/04/2018
Tu donnes envie de savourer cette prose élégante ! Mon père m'a prêté il y a bien trop longtemps "Le lac"... tu me rappelles qu'il serait grand temps de le lire !
Écrit par : Lou | 26/04/2018
Oh, ce serait l'occasion, ce mois-ci ! Encore 3 jours ;)
Écrit par : Lili | 27/04/2018
Je l'ai lu, un souvenir évanescent...
Écrit par : keisha | 27/04/2018
Évanescent, c'est exactement ça !
Écrit par : Lili | 27/04/2018
Ce livre a l'air d'être un petit bijou d'écriture. Je suis également plongée dans la littérature asiatique. Connais-tu le clan des Otoris? Je viens d'acheter le tome 1 en poche. Magnifique histoire d'amour prenant pour toile de fond le Japon féodal. A lire aussi pour la poésie du langage... Je vais acheter ce titre et le lirai prochainement, ça me donne envie de poursuivre mon exploration de cette littérature originale.
Écrit par : Missycornish | 27/04/2018
Je ne connais pas le clans des Otoris mais je vais immédiatement me renseigner dessus. Ce que tu en dis donne très envie ! Merci !
Écrit par : Lili | 27/04/2018
Rayon littérature japonaise, j'ai un retard monumental à combler. Pourtant les noms d'auteurs sont bien notés... faudrait que je m'y mette !
Écrit par : nathalie | 28/04/2018
En tout cas, si tu ne dois en lire qu'un pour X raisons, lis Kawabata !
Écrit par : Lili | 29/04/2018
Ah, lire Kawabata. Il m'a accompagné régulièrement il y a quelques années ( et tu me confirmes que ça fait trop longtemps que je n'ai pas lu japonais, déjà je m'en faisais la réflexion, trop de projets ^-^ ). Je crois que ma lecture la plus marquante a été " Tristesse et beauté ".
Écrit par : Marilyne | 29/04/2018
Je note ce titre immédiatement !
Écrit par : Lili | 29/04/2018
avec, évidemment, " Les belles endormies " :-)
Écrit par : Marilyne | 30/04/2018
Celui-là, je l'ai lu à la fac mais, franchement, je n'en ai aucun souvenir... Je le relirai forcément !
Écrit par : Lili | 30/04/2018
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