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18/06/2012

Lundi graphique : Petites curiosités dix-neuvièmistes

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La Chambre de Lautréamont d'Edith et Corcal, ed Futuropolis, 2012, 126p.

 

Rien de tel pour créer une aura de mystère et annoncer la tonalité particulière d'une oeuvre que de la mythifier. C'est le parti qu'on pris Edith et Corcal pour cette excellente BD en montant de toute pièce un bobard délicieux sur sa prétendue redécouverte et son statut de premier roman graphique datant de 1874, avec préface d'éditeur et postface d'universitaire pour étayer le tout.
Vous l'aurez compris, La chambre de Lautréamont pose une ambiance particulière, fait voyager dans le temps et aux frontières du réel.

Il brosse le récit sensément autobiographie d'Auguste Bretagne, écrivaillon de romans feuilleton et membres de divers cercles littéraires parisiens dont les zutistes. Il y fréquente les frères Cros, Rimbaud, et Emily, une belle jeune poétesse avec qui il entretient une relation. Il collectionne tout un tas d'objets étranges voire macabres, qui ne sont d'ailleurs pas du goût de cette dernière. Ils sont pourtant son inspiration, son univers. Il confie un soir à Emily que la pièce majeure de ce cabinet de curiosité est la chambre elle-même : elle n'est autre que celle dans laquelle a vécu et est décédé Isidore Ducasse dit Comte de Lautréamont. S'y trouve encore son piano. Et cette chambre et ce piano recellent encore quelques secrets qui, mis à jour, participent à la légende de cet auteur fulgurant, maladif et ô combien talentueux.

J'ai beaucoup apprécié cette BD pleine d'originalité. Avec un dessin arrondi et crayonné à loisir et des coloris en demi-teintes, on a l'impression de dérouler un vieil album jauni et de se promener dans la brume parisienne des artistes maudits. Le scénario, quant à lui, d'une piquante originalité - des allers et venus dans le temps, le mélange entre autobiographie supposée et genèse d'une création - apporte une modernité décoiffante à toute cette ambiance surannée. Bref, j'ai aimé me promener entre le volontairement désuet et le parfaitement contemporain, avec toujours cette petite question en suspens jusqu'à la fin : était-ce donc vrai ? (Cette sensation étant appuyée par la véracité effective de certains éléments).

Je vous encourage vivement à la découvrir !

 

 

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Nietzsche - se créer liberté de M. Leroy et M. Onfray, ed. Le Lombard, 127p.

 

Décidément, Michel Onfray et Nietzsche, c'est la grosse histoire d'amour intellectuelle ! Non content d'en brasser la vie et la pensée dans ces ouvrages de philosophie, il collabore ici avec le jeune dessinateur Maximilien Le Roy pour nous en offrir une biographie graphique.
J'avoue avoir été très intriguée par cette BD tant le projet me semblait délicat ! Mettre La pensée d'un philosophe en dessin sans verser dans l'anecdotique de quelques évènements de sa vie n'était pas un pari gagné d'avance.

Et bien, force est de constater que j'ai été agréablement surprise! Les instants de vie relatés font sens dans la progression de pensée du philosophe et ne sont pas délayer arbitrairement. Les parties d'expositions théoriques sont mis en scène la plupart du temps sous forme de dialogues, ce qui rend l'ensemble interactif et des plus digestes. Onfray est parvenu à vulgariser suffisamment la chose pour nous la rendre aisément compréhensible (non parce que, sinon, Nietzsche, c'est un peu du japonais pour moi malgré mes efforts) sans pour autant trop simplifier le propos. Il passe notamment un certain temps à nous expliquer l'influence de Schopenhaeur sur sa pensée ainsi qu'à démêler l'idée fausse selon laquelle Nietzsche serait antisémite.

Dans la rubrique graphique (puisque nous parlons tout de même de BD, diantre), Le Roy est un dessinateur en herbe d'un sacré talent ! Des dessins léchés, vifs, surprenants, parfois sombres et surtout parfaitement maitrisés. J'ai vraiment adoré ! A suivre assurément.

 

 

 

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15/06/2012

1969 de Ryû Murakami

Dans la rubrique "pourquoi aborder un auteur par ses oeuvres les plus représentatives, je vous le demande ?!" initiée avec les écrivains voyageurs que je me plais à découvrir à travers les récits où ils ne voyagent pas (normal), voici la découverte d'un écrivain japonais connu pour être plutôt trashouille et sans complaisance, abordé à travers le seul récit où il ne l'est pas. J'aime bien cultiver une certaine rebellitude à trois sesterces, hmmmm 'voyez ? ©M. Mackey

(Non, plus sérieusement, ce livre là m'a juste inspirée sur l'étagère d'un libraire ; j'ai pas que ça à foutre de penser mes lectures en terme de rebellitude à trois sesterces.)

 

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1969 de Ryû Murakami, traduit du japonais par J-C Bouvier, ed. Philippe Picquier, coll. Picquier poche, 2004 (1987 pour l'édition originale), 253 p.

 

Printemps 1969, année un peu folle, où la musique rock explose et où un renouveau général semble poindre à l'horizon. C'est dans cet esprit qu'évoluent Ken Yasaki, notre narrateur - avatar de Murakami - et sa bande de joyeux drilles à Kyūshū, au Japon. Animés d'une révolte de carnaval et d'une culture en carton, ils sont avant tout obnubilés par les filles comme tout ado qui se respecte. C'est dans l'optique inavouée d'attirer ces demoiselles qu'ils vont monter une barricade révolutionnaire puis organiser un festival underground avec un amateurisme désopilant.

Je le disais en introduction, Ryû Murakami est connu pour ses ouvrages sombres et crus sur la jeunesse et société japonaise contemporaine. Rien de tout cela ici, où le maître mot est plutôt la cueillette du jour, avec toute l'éclatante insouciance de l'adolescence ! Murakami s'y raconte avec une écriture légère, enlevée et sincère maniée avec la tendresse et l'amusement de l'adulte qui regarde en arrière - mi moqueur, mi nostalgique. Où il nous brosse aussi, l'air de rien, la genèse de sa vocation d'écrivain et un Japon en pleine évolution. Un sympathique portrait de jeunesse qui se lit avec plaisir, qui respire si bien un esprit mêlé de foi, de joie et de grand n'importe quoi.

 

 

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6/5

12/06/2012

La stratégie Ender de Orson Scott Card

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La stratégie Ender (1er tome du Cycle Ender) d'Orson Scott Card, ed J'ai Lu, coll. Science-Fiction, 1994 (pour la traduction française) 383p.

 

 

Dans un temps indéfini, notre planère est en conflit avec les Doryphores - peuple d'insectes améliorés aux velléités de conquêtes terrestres (cliché SF dans toute sa splendeur, bonjour). Lors de la dernière attaque, il y a plusieurs dizaines d'années, les Doryphores ont été repoussés grâce aux talents stratégiques de Mazer Rackham. A présent, la menace d'une nouvelle invasion plane et il devient urgent de trouver un nouveau stratège de génie pour la contrer.
Ce génie-là pourrait bien être Andrew Wiggin, dit Ender, qui intègre l'Ecole de Guerre dès l'âge de six ans. Sensible, ambivalent, résistant, et extraordinairement supérieur à tous les autres élèves - eux-mêmes déjà surdoués-, on comprend rapidement qu'il est appelé à un grand destin qui semble justifier la manipulation incessante dont il est l'objet et les nombreuses souffrances à la fois physiques et morales qui lui dont infligées. Futur sauveur de la planète, oui, mais à titre de pion à qui il ne faut pas trop en dire sous peine de claquage dans la dernière ligne droite...


Non mais là, j'aime autant vous le dire tout de suite : je suis parfaitement outrée ! Qu'est-ce-que c'est que cette propagande de pensée judéo-chrétienne de m***e déguisée en SF ?!
Hmm, en fait, attendez. Avant de m'emballer comme un pou, je vais quand même calmer deux secondes mon courroux et tâcher d'en revenir à quelque chose de plus posé et de plus organisé pour vous exposer correctement mon point de vue (sinon, vous allez croire que je suis juste une excitée du bocal).

Ok, c'est plutôt agréable à lire. C'est pas mal écrit, les personnages sont sympas et comme pas mal de bouquins de SF (comme c'est également le cas avec les polar), on tourne les pages assez avidemment parce que, bordel, on veut connaître la suite. Sur ce point, je vais donc pas faire ma bégueule : j'ai tourné les pages comme tout le monde et je suis allée jusqu'au bout, sans bouder mon petit plaisir de lectrice.

Au-delà de ça, de quoi est-il question?
D'une part, de la négation totale de l'enfance. A peine six ans, et déjà les enfants sont conditionnés à vivre, à penser et à agir comme des adultes (et encore, je ne voudrais pas vivre, penser et agir comme ça pour tout l'or du monde, même pour la sauvegarde de ma planète). Quid du temps du jeu, de la gaité, de l'insouciance. Ben quedalle. Non mais tu crois quoi ? Qu'on est au pays des Bisounours?! Alors ouais, je sais, c'est de la SF, tout ça... Sauf que la portée du propos est tout de même lourde de sens quand elle est mise en corrélation avec le reste.

D'autre part, de la négation totale de la liberté individuelle. Dès le début les enfants sont surveillés avec des boitiers incrustés à la base du cou. Par la suite, ils le sont pas d'autres biais. Les familles ont un quota précis d'enfants à respecter. Tout acte doit rentrer dans un projet collectif bien rôdé et il n'est pas permis d'avoir quoique ce soit à y redire. Ca me rappelle étrangement un autre bouquin de SF qui, lui, avait au moins le mérite de dénoncer cet état de fait. Là, on nous le présente juste au premier degré, sans rien dénoncer du tout, et vu le succès du bouquin, j'en déduis que je suis la seule à y avoir trouver quelque chose à redire. Ce qui, en soit, fait franchement flipper.

Et enfin, de la négation totale du bonheur. Ah ben oui, quoi, tu croyais qu'on arrivait à quelque chose dans la vie en étant heureux toi ? Ben non, faut souffrir, faut se flageller mon coco, parce le succès ne se présente qu'à celui qui en aura suffisamment chié. La souffrance est nécessaire, mets-toi bien ça dans le crâne. Tu sais, c'est un peu comme dans la Bible : souffre bien pendant toute ton existence terrestre, et alors, tu auras peut-être droit au Paradis. Ben là, c'est le même topo, version excellence futuriste.

 

"- Je ne suis pas un homme heureux, Ender. L'Humanité ne nous demande pas d'être heureux, elle nous demande d'être intelligents afin de pouvoir la servir. D'abord la survie, puis le bonheur si nous y parvenons. Alors, Ender, j'espère que tu ne me raseras pas, pendant ton entraînement, de ne pas pouvoir d'amuser. Détends-toi, si tu le peux, quand tu ne travailles pas, mais le travail d'abord, l'apprentissage d'abord, gagner est tout parce que, sans cela, il n'y a rien."
p330

 

"- Nous devons partir. Je suis presque heureux, ici.
- Alors, reste.
- Je vis depuis trop longtemps avec la douleur. Sans elle, je ne saurais pas qui je suis." p383

 

Tout cela bien sûr est en prime en mettre en perspective du fait qu'Orson Scott Card est mormon. Et franchement, quand on le lit, ça se renifle à des kilomètres. De même que Stephenie Meyer qui a visiblement mal digéré sa Religion au point de nous faire un exposé déplorable de la sensualité à travers la figure du vampire dans sa série pour ado prépubères dont je tairai le nom, Card nous sert ici la même bouse flagellante sauce SF. Bon ben, j'ai envie de dire "à d'autres" hein. Perso, c'est pas ma came, ce genre de propagande.