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31/05/2012

Le poisson-scorpion de Nicolas Bouvier

 

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Le poisson-scorpion de Nicolas Bouvier, ed. Gallimard, 1982/Folio, 2006, 173p.

 

Il était plutôt du genre bougeon, Nicolas Bouvier. Le genre à ne pas rester en place, à considérer que l'on voyage pour "que la route vous plume, vous rince, vous essore, vous rende comme ces serviettes élimées par les lessives qu'on vous tend avec un éclat de savon dans les bordels. "
Pourtant, tout comme je l'ai fait avec Sylvain Tesson, autre écrivain voyageur invétéré, ce n'est pas par le récit d'un de ces voyages physiques que j'ai abordé le sieur Bouvier - ç'aurait été trop évident, n'est-ce pas ? J'ai plutôt choisi de l'attaquer (avec quelques autres acolytes lecteurs) à travers les mots d'un périple différent, étrange et pénétrant pour qui a l'habitude de se réveiller perpétuellement à un endroit et se coucher à un autre : le voyage immobile.

Au milieu des années 50, Nicolas Bouvier vient de gambader durant deux ans dans toute l'Asie. Il en a soupé, il en a chié, il a les semelles qui collent aux cailloux mais il s'en est mis plein la tête et les yeux. Le poisson scorpion s'ouvre sur le jour de son départ de l'Inde, qu'il quitte pour le Sri Lanka, autrefois appelé Ceylan. Très peu par envie et fortement par nécessité médicale, il y restera plusieurs mois et en profitera, malgré la chaleur démoniaque, pour mener à bien divers travaux d'écriture dont ce journal qu'il publiera plusieurs décennies plus tard.

De son départ enlevé et plein d'une clairvoyance de connaisseur, le récit glisse progressivement vers une version tropicale du spleen baudelairien, assorti de quelques hallucinations maladives. Souffrant de ces affections locales que sont le paludisme et l'amibiase, Bouvier nous livre ses observations maniaques de la pléthore d'insectes qui peuplent sa chambre et ses rencontres avec un prêtre fantôme. Lui qui a toujours bougé, il semble vivre cette immobilité dans un douleureux état de prisonnier possédé.
Qu'à cela ne tienne, il décortique, il passe au scalpel de l'humour et du regard aiguisé ces facétieuses aventures hallucinatoires (qui ne devaient, néanmoins, par être une partie de plaisir). Il les presse jsqu'à la moëlle et tant qu'à faire, vit cette traversée du désert à fond les ballons. C'est précisément avec cet instinct de promeneur qu'il parviendra à dépasser cette étape (qui le conduira ensuite au Japon) et dans le tourbillon, il saisit la substantifique moëlle de l'existence - un voyage que le mouvement, peut-être, ne permet pas de comprendre aussi bien que l'immobilité et la solitude :

"Derrière ce dénuement terrifiant, au-delà de ce point zéro de l'existence et du bout de la route il doit encore y avoir quelque chose. Quelque chose de pas ordinaire, un vrai Koh-i-Nor, c'est certain pour être à ce point gardé et défendu. Peut-être cette allégresse originelle que nous avons connue, perdue, retrouvée par instants, mais toujours cherchée à tâtons dans le colin-maillard de nos vies."

J'ajouterai qu'outre un récit enrichissant et décoiffant pour le lecteur, cet ouvrage est également un pur bijou littéraire où le style, nom de Dieu, est tout simplement extraordinaire ! Une parfait syncrétisme ciselé de drôlerie, de perspicacité, d'érudition et de sagesse profane. Il m'est arrivé à de nombreuses reprises de relire plusieurs fois un même paragraphe tant la langue était délicieuse (et un tel blocage d'admiration m'arrive rarement).
A l'instar de l'auteur lui-même qui disait que "fainéanter dans un monde neuf est la plus absorbante des occupations", j'ai sacrément fainéanter dans son monde à lui et je confirme que c'était un de mes plus beaux voyages. 





28/05/2012

Lundi graphique

 

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A boire et à manger de Guillaume Long, ed. Gallimard, 2912, 144p.

 

Guillaume Long publie un nouvel ouvrage et en plus, c'est sur la bouffe ? Bingo ! Je prends !

Que trouve-t-on dans cet opus ? Et bien des morceaux initialement publiés sur son blog. Plus concrètement, pleins de trucs essentiels comme des recettes de cuisine rigolotes, ses sessions piscines avec son nouveau pote cuisto et son mode d'emploi pour le meilleur café du monde (Note à l'adresse de l'auteur : La prochaine fois, fais la même avec le thé :D). Mais surtt, ces récits de voyages culinaires et c'est pour ça que l'ouvrage vaut vraiment le détour : C'est à faire saliver un tabouret tellement ça donne envie ! Raaaaahhhh le voyage à Venise, j'en ai même fait des rêves ! C'est décidé, moi aussi, je vais me lancer dans les voyages gastronomiques !

 

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La conversion de Matthias Gnehm, ed. Atrabile, 2012, 300p.

 

Kurt est architecte et est surtout en train de courir sur un quai de gare pour attraper son train. Dans cette course, il croise un vieil ami d'enfance qui ravive en lui un souvenir douloureux. Souvenir qui va défiler au rythme du voyage en train.
Il se remémore son amour adolescent pour Patrizia, une jeune fille profondément pieuse, pour qui il se convertit contre l'avis de sa famille et qui connaitra une fin tragique.

De même que dans Quelque part les étoiles lu et chroniqué il y a peu, je ne suis pas particulièrement fan de ses flash-back de love story ado... Il faut malgré tout reconnaître à celle-là qu'elle soulève un questionnement sur la frontière entre religion et secte, entre foi et aveuglement. Je m'attendais cependant à le trouver plus abouti, plus consistant et pas seulement comme toile de fond d'une histoire d'amour un peu mièvre...
Par contre, coup de coeur total pour le graphisme de Matthias Gnehm ! Qu'il s'agisse des plans d'ensemble, des paysages ou des mouvements rapprochés, un crayon tout simplement impeccable !

 

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25/05/2012

Ce qui a dévoré nos coeurs de Louise Erdrich

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Ce qui a dévoré nos coeurs de Louise Erdrich, Albin Michel, 2007/Le Livre de poche, 2010, 343p.

 

Entendez-là chanter, cette voix qui appelle à la communion des âmes à travers les ans et les plaines. Entendez-là secrètement murmurer au rythme du tambour ancestral et laissez-là pénétrer en vous comme doit pénétrer tout chant qui porte le coeur de l'humanité. Fermez les yeux et laissez-vous transporter.

Ce chant jadis oublié dans un sombre grenier, c'est Faye Travers qui lui redonne lumière. Tandis qu'elle procéde à l'inventaire des biens de feu John Jewett Tatro, ancien agent du Bureau des Affaires Indiennes, elle découvre un tambour peint parmi une collection d'anciens objets ojibwés. Et ce tambour de lui souffler à l'oreille son chant magnétique dès lors que le regard de Faye se pose sur lui. Allant contre son éthique professionnelle, elle entend sa supplique : Ce tambour doit être rendu à son propriétaire véritable.
L'histoire glisse alors jusqu'à la voix de Bernard Shaawano et vers les limbes du temps jadis, dans le silence d'une veillée improbable. Où l'on nous conte l'histoire que porte le tambour et tout cet amour à la fois puissant et douloureux qu'il véhicule avec les années.

Comme beaucoup de très belles histoires, il faut être patient. La véritable douceur n'arrive pas tout de suite et il faut, dans ce cas précis, en passer par une première partie un peu longuette et anecdotique, qui nous gratifie de détails sur la vie sentimentale de Faye Travers qui n'apportent rien et dont on se fout éperduement. Mais une fois cela fait, si tu as suffisamment de foi en le talent de Louise Erdrich pour t'accrocher sur ces 120 pages, chers lecteurs, tu prends enfin le large du temps, entend la mélodie si délicate de l'auteur et rejoins les lointaines légendes ojibwés. Entre la modernité et les racines ancestrales, elle tisse de sa voix de conteuse, le pont des êtres, le corps des âmes et redonne aux passions toutes leur universalité poétique. Un monde toujours aussi riche et profondément touchant, un chant qui s'écoute et se boit sans mot dire, sans voir passer les heures avec l'impression émue de toucher quelque chose de juste.

 

"La vie te brisera. Personne ne peut t’en protéger, et vivre seule n’y réussira pas davantage, car la solitude, et son attente, te brisera aussi. Tu dois aimer. Tu dois ressentir. C’est la raison pour laquelle tu es ici sur terre. Tu es ici pour mettre ton coeur en danger. Tu es ici pour être engloutie. Et quand il adviendra que tu sois brisée, trahie, abandonnée, blessée, ou que la mort te frôle, autorise-toi à t’asseoir au pied d’un pommier et écoute les pommes tomber en tas tout autour de toi, gaspillant leur goût sucré. Dis-toi que tu en as goûté autant que tu as pu."

 

 

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