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10/10/2013

Home de Toni Morrison

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Home de Toni Morrison, ed. Christian Bourgois, 2012, 150p.

 

Puisque le roman est court, le plus court à ce jour de Toni Morrison, le lecteur est immédiatement embarqué sans plus de préambule dans une scène brûlante, âpre ; subliminale. Des chevaux se battent - se dressent comme des hommes - tandis que deux jeunes enfants noirs assistent à un enterrement clandestin. Cette scène-là cristallise le souvenir et les blessures du passé qu'il faudra conjurer après l'épreuve originelle du retour chez soi.

Ces deux jeunes enfants sont Franck Money et sa sœur Cee. Ils grandissent dans une bourgade de Géorgie, affublés de parents débordés et d'une grand-mère tyrannique. Les perspectives d'avenir sont minces et la violence baigne déjà leur univers. Franck s'engage dans l'armée et perd ses deux amis en Corée ; Cee épouse un bellâtre qui la quitte aussitôt et se retrouve seule comme employée chez un médecin douteux. Tous deux sont partis et n'ont pas trouvé le bonheur. Au début du roman, Franck s'échappe d'un asile et court pieds nus dans la neige. Un mot, un seul, pouvait le décider à quitter son refuse d'après-guerre et sa petite-amie : Sauver sa sœur. Au fil de sa course, plusieurs voix émergent qui prennent l'ampleur d'un chapitre. Elles se racontent sans complaisance mais avec une plume bienveillante. Il ne s'agit pas de juger : dire est l'essentiel.

Je n'ai jamais lu Toni Morrison, aussi ne puis-je pas donner un avis à la lumière de son œuvre. Home est pour moi une découverte fascinante et délicieuse. Le retour aux sources éminemment personnel de Franck et Cee tinte comme la mise à nu de toute une communauté. Le cycle du livre est l'occasion de découvrir l'effrayante vie de ses anciens combattants laissés pour compte, souffrant dans l'indifférence et la ségrégation raciale, une forme d'esclavage qui n'en porte plus le nom mais encore les stigmates. Le sentiment d'impuissance, de honte et de culpabilité draine ici les pages avec la perspective de l'espoir : car la roue tourne. Le roman, à mesure des chapitres, s'enroule vers une fin qui reprendra exactement la première vision du livre pour l'emmener vers la verticalité d'un retour en humanité. 

Outre le thème, j'ai aimé la langue imagée et vivante de Toni Morrison. Les scènes et les pensées des personnages se vivent à la lecture. On est embarqué dans un univers prosaïque et pourtant féérique à la fois. Après réflexion, l'auteure me fait beaucoup penser à Louise Erdrich pour cette même faculté à dénoncer, mettre à jour, tout en poétisant le réel.

Pour résumer, Home est un roman pur, rédempteur, aux allures de conte déchirant. Un roman que l'on peut, je crois, lire sans trop se tromper. 

 

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challenge US.jpgChallenge Américain chez Noctenbule
3eme lecture





challenge-des-100-livres-chez-bianca.jpgChallenge Les 100 livres à avoir lu chez Bianca

7eme participation

07/10/2013

Battle de Nature Writing ou l'appel de la forêt

challenge US.jpgAujourd'hui : deux livres pour le prix d'un ! C'est l'occasion de fêter l'entrer dans le challenge US organisé par Noctenbule et dont on attendait tous et toutes le top départ.

Un des courants littéraires qui symbolisent pour moi l'esprit nord-américain par excellence est le Nature Writing. Savant mélange d'autobiographie, de philosophie et de grandes balades dans la nature, il trouve ses racines chez Henry David Thoreau et son Walden ou la vie dans les bois. Dignes de leur illustre père, les écrivains de Nature Writing se retrouveront engagés, d'une manière ou d'une autre, à vivre autrement avec la nature. Il y a de aussi l'écologie dans ses récits de grands espaces ; sans donner de leçons, mais plutôt en apportant l'exemple qu'une autre manière de vivre est possible par le truchement de la littérature.

J'ai lu dernièrement deux livres dans cette veine - à la fois tellement proches et tellement différents que j'ai souhaité les chroniquer dans le même billet. L'un m'a totalement emportée, l'autre m'a énormément déçue. Je commencerai par le premier pour ne pas y passer trop longtemps.

Winter.jpgIl s'agit de Winter de Rick Bass, publié en poche aux éditions Folio.

A la fin des années 80, Rick Bass et sa femme ont des envies de retraite artistique. Ils entament un périple de plusieurs mois à travers plusieurs états pour trouver le refuge de leurs rêves, suffisamment éloigné et pittoresque pour vivre la création dans la quiétude et la solitude. Mais ni l'Utah ni le Nouveau-Mexique ne trouvent grâce à leurs yeux. C'est fortuitement qu'ils finissent par dénicher une maison au fin fond du Montana dans la vallée de Yaak. Il s'agit d'en assurer le gardiennage durant l'hiver et d'accueillir le propriétaire lorsque celui-ci viendra chasser. Le village de Yaak est à plusieurs kilomètres et n'offre qu'un saloon et un magasin de premières nécessités. La "ville" la plus proche est à 60 kilomètres. Le couple Bass est conquis et s'installe pour passer un hiver aux températures glaciales.

Winter est rédigé sous forme de journal, de septembre à mars. Au jour le jour, l'auteur confie ses pensées et des considérations quotidiennes de manière plus ou moins détaillée. Après avoir visionné un reportage particulièrement passionnant sur l'état du Montana, je voulais me plonger dans un récit qui en raconterait la vie âpre et splendide. Comme le livre que voilà a reçu des éloges à la pelle sur la blogosphère, je l'ai immédiatement choisi. Malheureusement, je n'y ai absolument pas trouvé l'intérêt de mes consœurs blogueuses. Le début est plutôt prenant, presque drôle : Rick Bass avoue non sans une pointe d'humour être un néophyte aux allures de hippie dans sa vieille camionnette, en compagnie de ses deux chiens. L'emménagement dans le nord du Montana est pour eux une aventure de vie. Ils n'ont ni eau courante, ni électricité et les températures tombent jusqu'à moins quarante. Il ne s'agit donc pas d'une petite promenade de santé pour des citadins en mal de nature sauvage. Mais très rapidement, j'ai complètement décroché et je pense que cela tient à la forme du journal. Bass écrit dans l'immédiateté de l'expérience et vire rapidement à l'anecdotique. Fait 1 : il coupe du bois. Fait 2 : il coupe du bois. Fait 3 : il attend la neige. Et avec ces quelques éléments, on tourne rapidement en rond. Je n'ai rien trouvé de littéraire dans son écriture, ni aucune considération pouvant élevé le débat d'un journal de bord stricto sensu sans doute très utile pour celui qui vit l'expérience mais très ennuyeuse pour le lecteur.

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La vallée de Yaak


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Fort heureusement, le Nature Writing peut faire bien mieux que ça et je l'ai trouvé dans l'excellent Indian Creek de Pete Fromm sous titré Un hiver au coeur des Rocheuses.
Gallmeister, en matière de Nature Writing, est une maison d'édition de référence. On ne compte plus les nombreux titres passionnants traduits dans cette collection.
Dans le fond d'Indian Creek, rien de si différent par rapport à Winter, à part quelques faits finalement anecdotiques. Pete Fromm est maître nageur estival lorsqu'il entend parler d'un boulot saisonnier qui le fait rêver : partir pendant les sept mois d'hiver dans un coin paumé de l'Idaho (à 80 miles de la frontière d'avec Montana) pour surveiller des œufs de saumon en réintroduction pour la pêche. Il a une vingtaine d'années et est étudiant en biologie animale à Missoula. Il veut vivre quelque chose qui mériterait d'être raconté - et il part donc plein de récits d'aventure, très à l'arrache, sans trop savoir ce qui l'attend. Contrairement à Rick Bass, Pete Fromm est seul, n'a qu'une tente un peu moisie et un vieux poêle en guise d'habitation, aucun moyen de transport dès les premières neiges tombées et pour couronner le tout, le téléphone le plus proche ne fonctionne pas. Les conditions sont particulièrement extrêmes, presque folles même (j'ai trouvé les rangers qui l'emploient complètement inconscients de le préparer si peu à une telle expérience !!) mais on retrouve le même objectif que dans Winter : Témoigner de son expérience de presque néophyte au plus proche d'une nature hostile et pourtant parfaite.

Là où Pete Fromm est pourtant bien plus intelligent que Rick Bass, c'est qu'il laisse maturer l'expérience avant de la coucher sur papier. Comme il le dit à la fin du livre, cette fameuse histoire à raconter, il a finalement mis plusieurs années avant d'en trouver quelque chose à dire. Il n'est pas évident de se détacher d'un quotidien répétitif, basique pour livrer une expérience enrichissante, universelle, propre à intéresser le plus grand nombre. Fromm attend donc, devient ranger et rédige des nouvelles. Indian Creek prendra d'abord la forme de cinq épisodes commandés avant de devenir le récit que voilà. Cette forme narrative favorise les mouvements temporels et les aspects réflexifs. Et d'un coup, ces mois aux côtés de Pete Fromm sont passionnants et émouvants, se lisent comme une véritable aventure à la Jack London. Je le conseille vivement à tous les aficionados de Nature Writing comme à ceux qui souhaitent découvrir ce genre.

 

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Indian Creek

 

 

03/10/2013

Au temps du roi Edouard de Vita Sackville West

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Au temps du roi Édouard de Vita Sackville-West, ed. Le Livre de Poche, 1930, 253p.

 

Le règne d’Édouard VII du Royaume-Uni, né Albert-Édouard, s'écoule de 1901 à 1910. Après la fin de règne austère de sa mère, la reine Victoria, Édouard ouvre de nouvelles perspectives. A la fois très engagé dans la politique extérieure et connu pour son goût des plaisirs, il symbolise brillamment l'entrée de son pays dans le vingtième siècle avec tout ce cela implique de bouleversements militaires, technologiques et sociaux. L'Angleterre de ce siècle tout neuf est optimiste et hédoniste, riche de son histoire et tournée vers l'avenir.

C'est dans ce contexte foisonnant que Vita Sackville-West place son roman et découvre pour nous les méandres de la noblesse britannique. On y suit plusieurs personnages au gré des chapitres, eux-mêmes découpés en fragments d'épisodes et de pensées. Tous tournent autour de l'illustre famille ducale de Chevron composée de la duchesse Lucie, veuve parfaitement superficielle, et de ses deux enfants d'une vingtaine d'années, Sébastien et Viola. Ils symbolisent en somme la charnière entre l'Angleterre victorienne pleine des principes antiques que confèrent le haut lignage et entre un nouveau monde plus libre et moderne. Ils s'évertuent chacun à leur manière, et sous l'impulsion de l'aventurier Léonard Anquetil, à découvrir leur voie, leur vie dans toute cette tradition astreignante. Ce cheminement n'est pas chose facile lorsque l'apparence passe avant tout. Sous le vernis de la tradition, se cache bien des attitudes peu scrupuleuses, surtout lorsque l'on touche aux passions amoureuses. Rien ne semble problématique tant que rien n'est su car tel est le véritable maître : la réputation. Il s'agit en tout point d'être comme il sied dans le monde, qu'importe les secrets d'alcôve. Il importe également de suivre la voie tracée depuis des temps immémoriaux car la rançon de la noblesse, bien que riche, est de ne pas être libre. Une cage dorée, certes, mais une cage quand même.

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Soyons francs : ce ne sont pas tant les commentaires abondants produits récemment sur les blogs qui m'ont décidé à lire ce roman mais mon coup de foudre aussi récent que fulgurant pour Downton Abbey. Devant maintenant attendre à chaque fois une semaine pour goûter un nouvel épisode, il me fallait un petit palliatif pour le manque (Non mais c'est dingue comme on peut devenir ridiculement accro à une série. Bref). Je l'ai tout trouvé dans ce roman qui est, évidemment, bien plus que cela.
Le premier chapitre m'a immédiatement transportée. L'auteure y décrit avec finesse et un ton élevé le quotidien de vie à Chevron : les soirées habillées, les discussions d'apparat et le fourmillement des domestiques. Tout est parfaitement imagée et limpide. Pour rester dans ce qui m'a motivée à entamer l'ouvrage, j'étais exactement à Downton Abbey : déjà conquise. J'attendais néanmoins de voir la suite des évènements.
A partir du second chapitre, nous rentrons plus avant dans le quotidien de Sébastien et dans ses tentatives pour concilier cet héritage auquel il tient, dans lequel il a été moulé qu'il le veuille ou non, et sa volonté d'émancipation. A cet égard, la psychologie dont use Vita Sackville-West (elle-même d'unefamille noble britannique) est extrêmement pertinent. Car loin de jouer la facilité de la dichotomie, elle met en place toute une gamme d'émotions et de contradictions qui rendent compte avec justesse de la complexité du dilemme. Viola s'en sort avec plus de facilité même si elle prend le temps de son envol mais Sébastien, porteur du titre et héritier de la demeure ancestrale, jongle avec des problématiques plus nombreuses et un tempérament plus mélancolique. Il égraine les maîtresses très différentes pour trouver une échappatoire. Ainsi, l'auteure offre une non seulement une satire des bonnes manières de façade de la société huppée mais en questionne aussi les perspectives d'évolution. Éduquée de tous temps dans l'idée que leur monde est immuable, les bouleversements du XXeme siècle vont mettre à mal cette certitude.

Virginia Woolf, ce génie de la littérature mais néanmoins vieille pie à ses heures, disait de l'écriture de Vita qu'elle ne vibrait pas, que quelque chose était réservé, étouffé. Elle n'a certes pas la poésie évocatoire de son illustre amie mais je trouve le jugement un peu dur. Vita Sackville-West parvient à retranscrire le début de siècle avec un savant mélange de permanence et de frivolité. Je ne suis pas sûre qu'un tel dessein appelait de toute façon le flux de conscience. Ici, on oscille, on surnage, on hésite, on est éblouit. On est parfaitement dans l'époque !

Voilà donc un premier voyage réussi au pays de Vita Sackville-West - que je renouvellerai prochainement avec le plus grand plaisir.

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