14/08/2014
Les mille automnes de Jacob de Zoet de David Mitchell
Les mille automnes de Jacob de Zoet de David Mitchell, Points, 2013, 741p.
C'est en 1799 que David Mitchell nous embarque, dans un Orient mystérieux et féodal. A cette époque, la Compagnie Néerlandaise des Indes Orientales détient le comptoir de Dejima en face de Nagasaki. Seule porte ouverte sur l'empire du soleil levant, c'est ici que transitent cuivre, mercure et autres plumes rares. Jacob de Zoet y débarque en tant que clerc pour faire fortune avant de se marier. Il découvre des mœurs en tous points étrangères à son caractère, à la fois celles des japonais et celles de la hiérarchie néerlandaise sur l'île, si éloignée du reste du monde qu'elle n'en fait souvent qu'à sa tête. Jacob découvre en outre une énigmatique sage-femme au visage brûlé qui lui ferait presque oublier sa promise.
Jusque là, le démarrage se fait en douceur. L'auteur prend le temps de planter son décor exotique et méconnu ainsi qu'une flopée de personnages complexes et passionnants. La première partie nous embarque dans un quotidien dépaysant, en somme, et j'ai particulièrement aimé ça. Le style est en outre impeccable : poésie, humour, allant. Un vrai bonheur de lecture !
Et puis voilà la seconde partie ! Jacob de Zoet cède la place du protagoniste à Orito Aibagawa, la sage-femme et à l'interprète Ogawa. Mlle Aibagawa est enlevée par un obscur ordre religieux après la mort de son père. Elle doit y vivre recluse pendant une vingtaine d'années mais se heurte rapidement à des mœurs douteuses. En attendant de pouvoir y échapper, ses talents de sage-femme ne sont pas inutiles... Quant à Ogawa, son ancien fiancé et toujours amoureux, il part en quête pour la libérer. L'aventure ne sera pas de tout repos puisque l'ordre est dirigé par un des hommes les plus puissants du pays.
Si j'étais intéressée par la première partie, celle-là m'a totalement embarquée ! J'ai dévoré les pages, j'ai vibré avec les différents personnages, aimé et détesté les uns et les autres tour à tour. L'ordre sectaire crée par Mitchell - dont je n'ai pas réussi à savoir s'il était inspiré de faits réels ou non - est aussi intéressant que flippant. Je n'avais qu'une hâte à la fin de la partie : lire avidement la troisième pour creuser le sujet et savoir comment il allait être à nouveau mêlé avec le quotidien de Dejima et de Jacob de Zoet.
Et là, c'est le drame. Soyons clairs : si je m'étais arrêtée là dans ma lecture (ou si elle avait évolué comme je l'espérais), je l'aurai classé en coup de cœur sans l'ombre d'une hésitation et me serai précipitée sur les autres titres de l'auteur. Sauf que la troisième partie est d'un ennui sans nom. Ou plus justement, elle n'a rien à voir avec la choucroute et on peut franchement se demander ce qu'a voulu exprimer/transmettre David Mitchell à travers elle et, plus largement, à travers son roman. Dans cette partie, il n'est plus fait mention d'Orito Aibagawa, si ce n'est, quinze ans plus tard dans les dix dernières pages. Elle s'ouvre sur un navire anglais qui part à l'assaut de Dejima et prévoit de faire main mise sur elle. Il est question de stratégie militaire et de manœuvres politiques dans lesquelles Jacob de Zoet joue un rôle important. Je n'ai eu qu'une question à la lecture de cette partie que j'ai terminée en diagonale tant elle m'ennuyait : pourquoi ? Pourquoi nous avoir embarqué dans une histoire inachevée pour y substituer une autre inopinément ?
Pour finir, j'ai l'impression que David Mitchell s'était bien foutu de ma gueule. Il s'est fait plaisir en démontrant ses connaissances historiques gargantuesques sur le Japon du XVIIIe, et pour cela, m'a baladée gentiment vers nulle part, faisant fi d'attentes qu'il avait créées pour rien. C'est bien gentil de savoir écrire, de savoir parler une langue étrangère et de connaitre des dates par cœur mais si la littérature pouvait être autre chose qu'un prétexte à les étaler, ce serait pas mal non plus. En vous remerciant.
Challenge un pavé par mois chez Bianca
Août 2014
10:49 Publié dans Challenge, Histoire, Littérature anglophone | Lien permanent | Commentaires (10)
12/08/2014
Trois ans !
Et de trois !
Le temps passe vite mais, heureusement, l'envie et le plaisir de bloguer ne s'épuisent toujours pas. J'ai réussi à tenir un bon rythme de lectures et de chroniques pendant cette riche année de prépa concours et de reprise d'études. J'en suis plutôt contente. Étonnamment, c'est maintenant que j'ai le temps et la tête disponible que le moindre livre me tombe des mains. Il y a, je crois, des périodes où le cerveau déconnecte.
J'espère qu'avec la nouvelle année scolaire intense qui s'annonce, je trouverai encore le temps d'être aussi régulière et investie. Si tel n'est pas le cas, tant pis. Il faut bien que les choses évoluent à leur rythme. Une chose est sûre : je n'ai pas prévu d'arrêter de bloguer ! J'aime décidément garder une trace de mes lectures, exercer toujours un peu ma réflexion (même si ça ne vole pas toujours bien haut) et surtout, échanger avec pleins de blogueuses géniales dont j'ai fait la connaissance au fil des ans.
Merci à tous et toutes de me suivre et de rendre l'aventure passionnante !
Et c'est reparti pour une année dans la joie et la bonne humeur !
08:00 Publié dans Divers | Lien permanent | Commentaires (27)
04/08/2014
Rivière Mékiskan de Lucie Lachapelle
Rivière Mékiskan de Lucie Lachapelle, XYZ éditeur, 2011, 159p.
Alice a 25 ans et vient de perdre son père. Un père absent, un père alcoolique ; un père qui l'attache à des origines qu'elle préfère tenir à distance car elles sont pour elle synonymes de déchéance et de douleur : ses origines cries. Pourtant, elle décide de partir à 12h de train de Montréal pour ramener son père chez lui. C'est au cœur des forêts québécoises, près de la rivière Mékiskan qu'il doit reposer. Il ne s'agit, initialement, que de faire l'aller retour. Loin d'elle l'idée de s'attarder. Elle veut seulement laisser enfin la colère derrière elle, tourner une page. Mais l'on en finit pas si facilement avec le passé et avec une part de soi-même. Après tout, le sang cri coule dans ses veines. Près de cette rivière, ce n'est pas seulement son père qu'elle doit enterrer mais son ressentiment, tout ce mélange d'émotions néfastes qui la ronge comme bien des Amérindiens. Grâce à la vieille Lucy, une lointaine parente, et ses petits-enfants, elle va vivre un quotidien qui saura la guider vers l'apaisement.
Une fois n'est pas coutume, voici un roman sur les Amérindiens mais pas un roman amérindien. Lucie Lachapelle connait à merveille son sujet mais n'est pas elle-même native de la nation crie. Si le propos de son roman se rapproche beaucoup d'une trame typiquement autochtone : le retour physique du natif qui occasionne une réflexion plus profonde sur la nécessité de guérir une identité meurtrie, le regard distancié, extérieur de l'auteure me semble se ressentir en ce que la culture crie ne résonne pas d'une manière aussi prégnante que dans les titres d'homologues autochtones. Au fond, Alice ne retourne pas à ses origines mais fait la paix avec elle. L'idée n'est pas pour elle de recréer un lien perdu - souvent source du mal-être - mais simplement d'accepter qu'une part d'elle-même est crie. Cesser de le refouler, cesser de le voir d'une manière uniquement péjorative, dépréciative. Simplement accepter.
La langue de Lucie Lachapelle se fait neutre, douce, très simple pour relater ce chemin vers l'acceptation. D'aucuns la trouveront trop simple. Il faut avouer qu'elle ne fait pas dans la métaphore filée. Mais le propos n'est pas le style ; il est plutôt le mouvement positif qui porte Alice. Le voyage au fond ne sera que de courte durée. Elle repartira vers Montréal au bout d'une semaine pour se retrouver à l'endroit précis où son père est mort. On sent que ce récit n'est que l'ébauche d'un cheminement plus vaste, qui se fera loin des Cris (ou peut-être, plus tard, à nouveaux avec eux ?). En attendant, Rivière Mékiskan raconte avec délicatesse la nécessité de guérir les vieilles colères indigentes et démontre, en outre, que si certains clichés délétères sur les Amérindiens ne sont pas sans fondement, il y a toujours aussi un élan de vie.
Merci beaucoup à Anne pour ce livre voyageur !
Challenge Amérindiens
17eme participation
08:57 Publié dans Littérature amérindienne, Littérature française et francophone | Lien permanent | Commentaires (4)