26/07/2014
Théorie générale de l'oubli de José Eduardo Agualusa
Théorie générale de l'oubli de José Eduardo Agualusa, traduit du portugais (Angola) par Geneviève Leibrich, Métailié, 2014, 173p.
Le noyau du dernier roman d'Agualusa s'incarne en la personne de Ludovica Fernandes Mano dite Ludo. La personne, et non le personnage, puisque cette agoraphobe pleine de poésie a réellement existé et ce que relate l'auteur est inspiré de ses nombreux carnets. Si la vie de Ludo était jusqu'ici plutôt fade, elle était aussi plutôt sereine, en compagnie de sa soeur et de son beau-frère Orlando. La révolution angolaise de 1975 met à mal cet équilibre et brise en Ludo le maigre fil qui la rattachait au monde des hommes. Un beau matin, elle construit un mur qui la coupera pour trente années de leur sombre folie et engage alors une vie de recluse dans son propre appartement.
Ludo vit seule et n'a pour seule compagnie que la radio - tant que l'électricité marche encore, son chien bien aimé et de quoi écrire. Ses textes jalonnent le récit et l'éclaire d'une douce beauté et de lucidité. Son quotidien consiste principalement à survivre comme le lui permet le maigre espace d'un appartement avec terrasse. Elle n'est pourtant pas tant coupée du monde qu'elle le pense. Agualusa use de la fiction pour tisser autour de cette femme isolée toute la toile d'un espace humain riche de coïncidences, de drames et d'humour. Ainsi, sa tentative d'attraper des pigeons ou la construction d'un échafaudage sur la façade de l'immeuble seront l'occasion de tisser des liens que tous ignorent pendant longtemps. Tout convergera vers ce point focal qu'il s'agira de percer dans le mur de Ludo.
Je m'attendais à trouver dans ce court roman le monologue intérieur de Ludo ; tout du moins l'espace ouvert de ses pensées et de son étrange phobie. Rien de tout cela puisque la narration externe nous offre exclusivement le tableau, et non l'âme, des êtres et des évènements. Je n'ai pas échappé à un brin de déception au début. Si le ton était léger - sans doute trop à mon goût vu ce que j'imaginais du propos - et tout à fait plaisant, il me semblait manquer d'un ingrédient qui ferait prendre la mayonnaise. A mesure de la lecture, pourtant, mon ressenti a évolué de concert avec l'oubli progressif de mes attentes préalables erronées. Dépouillée de celles-ci, j'ai goûté avec un peu d'émotion et un sourire ravi au talent d'Agualusa qui construit un univers à la fois réel et pourtant plein de fantaisie et parvient à imprimer à une existence - et une période historique - tragiques l'allure brillante des contes.
Comme beaucoup de courts romans, il faut savoir ne pas le dévorer. Au contraire, chaque court chapitre mérite une lecture lente et appliquée (comme on dégusterait un macaron au jasmin de Pierre Hermé) afin de ne rater aucune subtilité et afin d'être rassasié(e) d'une douce atmosphère et non de kilomètres de pages. L'univers que tisse Agualusa, c'est celui d'une Angola en pleine mutation - qui passe de la colonisation à une tentative de régime communiste pour mieux retomber dans le capitalisme le plus éhonté. Comment les êtres évoluent-ils durant ces années cruciales, violentes et enthousiastes ? Il y a une certaine poésie à réunir ces existences en la personne d'une recluse qui observe tout avec le recul d'une position en hauteur. Ne serait-ce pas, au fond, un peu la position de l'écrivain ?
08:33 Publié dans Littérature lusophone | Lien permanent | Commentaires (2)
18/07/2014
Le Père Goriot de Balzac
Le Père Goriot de Balzac, Le livre de poche, 2004 [1835], 443p.
"Rappelle-toi Rastignac !" dit Deslauriers à Frédéric Moreau dans L'éducation sentimentale de Flaubert. C'est que Rastignac est le parangon de l'arriviste en littérature, à l'aune duquel s'évaluent les autres jeunes premiers de roman d'apprentissage. Il y a quelques mois, j'y comparais d'ailleurs brièvement le personnage de Bel-Ami. Pourtant, si je connaissais l'illustre Rastignac grâce à La peau de chagrin, dans laquelle il est déjà adulte, dandy un poil désenchanté et grinçant, je ne connaissais pas encore sa genèse. Pour remédier à cela, j'ai empoigné fièrement Le père Goriot, forte de mon récent coup de cœur pour Le colonel Chabert, me disant qu'enfin Balzac et moi serions peut-être réconciliés.
A l'automne 1819, Eugène de Rastignac a vingt-et-un ans. Comme bon nombre de jeunes provinciaux, il est officiellement à Paris pour faire son droit et habite dans la pension de madame Vauquer une chambre médiocre - c'est encore tout ce que sa famille peut lui payer. Officieusement, il ambitionne de croquer Paris. La ville et sa société brille d'un faste qu'il dévore des yeux, qu'il aspire à pénétrer pour se faire une place au soleil. Grâce à une lointaine parente, la vicomtesse de Bauséant, il y glisse un orteil mais se montre bien maladroit. C'est surtout sa bévue chez la Comtesse de Restaud qui lui vaut quelques frayeurs et un regain d'orgueil. Cette dernière n'est autre qu'une des filles du Père Goriot, son pauvre voisin à la maison Vauquer. Rastignac découvre avec circonspection que le vieux vermicellier avait jadis quelque argent et une bonne situation qu'il a progressivement grignotée pour l'amour de ces filles. Grâce à lui et à sa cousine, Rastignac entreprend de séduire la seconde fille de Goriot, Delphine de Nuncigen, y parvient, et glisse alors plus d'un orteil dans ce monde qui deviendra bientôt le sien. Ainsi se clôt le roman, comme un cri de défi à l'adresse de Paris : "A nous deux maintenant!"
J'ai découvert dans ces pages un personnage particulièrement savoureux. Rastignac est complexe et ambigu, bien plus que ne le sera Bel-Ami. Il est certes animé d'une ambition et d'un arrivisme décapant mais il se montre néanmoins terriblement humain. Il nourrit quelques scrupules à réclamer de l'argent supplémentaire à sa famille, il rechigne à ce pacte criminel auquel l'invite Vautrin, enfin il montre bien plus de pitié et d'intérêt pour Goriot mourant que ses propres filles, déjà trop imprégnées de Paris. Le Père Goriot est le roman charnière. Il dépeint le passage du jeune homme aimable, aimant, sincère et naïf à celui d'homme du monde que plus rien n'émeut que sa propre ambition. La mort du père Goriot éteint les dernières "saintes émotions d'un cœur pur" et livre Rastignac à son destin. Il ne reculera plus dès lors devant aucune bassesse pour déployer ses ailes : travaillera pour le mari de sa maîtresse et finira même par épouser sa fille, comme le fera Bel-Ami après lui.
Si l'on sent déjà à travers ce jeune Rastignac une critique de la société parisienne, elle est d'autant plus prégnante dans le contraste entre le père Goriot, généreux, dévoué à ses filles tant aimées et ces deux parvenues égoïstes qui n'ont pas le moindre scrupule à dépouiller leur père à coup de larmes et de plaintes. Si leurs mariages leur ont ouvert la porte de la bonne société, elles se fourrent encore dans des affaires de cœur ou de coquetterie qui les obligent à des dépenses que les maris refusent de payer. C'est pour cette seule raison qu'elle font appel à Goriot. Le jour de son agonie, d'autres affaires les occuperont et elles se déplaceront trop tard. A une autre échelle, l'appât du gain de madame Vauquer, dénuée de la moindre empathie, n'est pas non plus en reste. A la lecture de ce roman et après Le colonel Chabert, j'avoue me demander ce que Balzac pensait des femmes. Assurément, il ne tenait pas la gente féminine en grande estime puisque c'est elle, encore une fois, qui cristallise les pires défauts d'une société hypocrite, égocentrique et vénale.
Enfin, un petit mot du style de Balzac qui m'a ravie dès les premières pages : une ironie délicieusement cinglante, non sans une certaine émotion au moment opportun et quelques interventions du narrateur pour mettre à mal l'illusion romanesque. Autant de style et de manœuvres littéraires pour mettre en lumière un talent explosif. J'ai longtemps trouvé Balzac fort ennuyeux. Je le découvre petit à petit poignant et subtil, amer ou sur le fil d'un humour déguisé. Comme quoi, il ne faut décidément jamais s'arrêter à ses détestations de jeunesse. La maturité, parfois, découvre les lectures sous un tout autre jour, souvent passionnant. Et puisque je ne suis pas à une facilité près face à l'ampleur démentielle de La comédie humaine, un "A nous deux, maintenant !" semble s'imposer !
6eme lecture
Challenge les 100 livres à avoir lus chez Bianca
14eme lecture
09:14 Publié dans Challenge, Classiques, Littérature française et francophone | Lien permanent | Commentaires (14)
15/07/2014
Tag ma vie en images
J'ai demandé voilà quelques jours à Bianca de me proposer 5 mots pour ce joli tag qui circule depuis un petit moment sur les blogs. Il s'agit d'illustrer (initialement avec des gif, me semble-t-il ; pour ma part, ce sera des images comme l'a fait Bianca) les 5 mots donnés et d'en dire quelques mots. Une belle manière d'ouvrir une porte sur son univers sans trop en dévoiler.
Livre
Espace d'exploration infini ; territoire de toutes les découvertes, de toutes les rencontres, de toutes les aventures.
Bonheur
Plonger dans un livre, évidemment
Gourmandise
Cakes 'n' Tea sans modération (non sans ajouter un livre qui, à lui seul, peut constituer la plus délicieuse des gourmandises)
Voyage
De nature plutôt casanière, je n'éprouve pas souvent le besoin de me déplacer pour voyager. Mon voyage préféré est celui qui se conduit dans les petits détails de l'existence où j'aime voir tout un monde.
Tendresse
Étreinte ; douceur ; silence.
15:32 Publié dans Tag | Lien permanent | Commentaires (13)