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02/12/2016

Mémoires d'une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir

Mémoires d'une jeune fille rangée.jpgMémoires d'une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir, Folio, 2016 [1958], 473p. 

"Pour de vrai, je ne me soumettais à personne : j'étais, et je demeurerais toujours mon propre maître" p.79

Je n'ai jamais beaucoup versé dans les autobiographies. Je crois que je me représente ce genre comme trop mêlé d'impudeur et d'égo ; ce qu'il est, certes - mais seulement en partie, pour les bons ouvrages. Certains d'ailleurs, dans cette catégorie, m'ont régulièrement taquinée et je n'ai jamais trop cessé de leur tourner autour. Mais il faut  toujours attendre LE bon moment pour plonger dans telle ou telle vie, le bon angle pour comprendre, le bon temps pour savourer. Et puis un jour, qui ressemble pourtant à tous les autres, sans trop savoir pourquoi, on empoigne le livre et on est prêt à voyager. 

Un beau jour, donc, j'ai fini par ouvrir ces Mémoires d'une jeune fille rangée, dont tout le monde parle c'est-à-dire cite le titre, et dont la plupart des littéraires ont étudié un extrait ou deux. Il se peut même qu'une fois prof devenus, nous ayons resservi les dit-extraits à nos ados souvent ennuyés : car il y a, dans ce premier volume des mémoires de Simone, toute une époque révolue ou, plus justement, une époque ET un milieu. Elle naît à peu de choses près avec le vingtième siècle (en 1908 pour être précise), dans une famille tout ce qu'il y a de plus bourgeois parisien. Son père, particulièrement, cristallise cette caste conservatrice, conventionnelle, très comme il faut en politique comme en littérature. A propos de sa passion pour le théâtre, Simone affirme d'ailleurs : "Dans cette passion têtue se résumait sa singularité. Par ses opinions, mon père appartenait à son époque et à sa classe." (p. 49). On pourrait d'ailleurs reprocher à Simone de Beauvoir d'être elle-même un produit de sa classe : sans trop de souffrances ni de préoccupations matérielles de première nécessité, même un fois la faillite familiale survenue, Simone évolue de caprices sensationnels en réflexions métaphysiques alambiquées avant de devenir première de la classe en tous points. Certes, Simone n'a pas trop souffert - du moins matériellement, c'est indéniable. Elle n'a pas non plus essuyé d'horribles pertes - à cet égard, la Première Guerre Mondiale est très lointainement évoquée, il faut donc croire que peu de membres de la famille s'y sont abîmés - ou une éducation misérable. 

"Quand j'évoquais mon avenir, ces servitudes me parurent si pesantes que je renonçai à avoir des enfants à moi : ce qui m'importait, c'était de former des esprits et des âmes : "je me ferai professeur", décidai-je" p. 76

Toutefois, à force de lire, on se rend compte que le carcan bourgeois se révèle de façon insidieuse particulièrement oppressant, notamment pour la femme qui aspire - qui aspire, déjà : quelle drôle d'idée pour une femme d'aspirer à quelque chose, pourrait répondre le parfait bourgeois de l'époque - à une vie différente, singulière et, disons-le indépendante. La notion même d'indépendance pour la femme du début du vingtième siècle est inexistante. La femme reste pure et vierge, sert de décoration élégante lors d'un déjeuner, d'un thé ou d'une soirée, doit se montrer intelligente mais surtout pas trop (poser trop de questions est l'apanage des anarchistes), croit en Dieu, se marie, pond et finit par se taire dans toute la sainteté de son destin tracé. Cette tacite obligation, dont tout dépassement est vécu comme une honte, une insulte, une bravade, est particulièrement sensible à travers l'existence manquée de Zaza, la meilleure amie de Simone, qui ne saura jamais tout-à-fait prendre son envol, avoir le cran de se révolter contre les normes oppressives de son milieu. Encore une fois, on pourra dire que Simone de Beauvoir y est parvenue parce qu'une brèche, finalement, lui était offerte. Néanmoins, elle offre là une incroyable leçon de vie : la liberté comme choix douloureux mais assumé, comme responsabilité, comme travail de chaque instant et jouissance conquise. Car, on aurait tort de l'oublier, évoquant peut-être trop la bourgeoisie de Simone de Beauvoir, qu'elle était avant tout un incroyable génie, une besogneuse de première classe qui a décroché l'agrégation de philosophie du premier coup et de quelques années plus jeune que Sartre. Toute l'exigence qu'elle exprime à l'égard du monde, de l'existence, de son entourage, elle se l'applique à elle-même : elle montre l'exemple d'une philosophie qui passe par le philosophe, qui se doit d'être vécue. 

Je n'ai pu m'empêcher de me rappeler régulièrement au fil de ma lecture les mots de George Sand qui développait, dans Histoire de ma vie, l'idée que l'écriture de soi est aussi, et peut-être avant tout, un enseignement fraternel qui aurait pour vocation de stimuler le lecteur. C'est cette inspiration stimulante qui m'a semblé parcourir chaque page de ces Mémoires d'une jeune fille rangée. Choix, exigence, liberté : tels sont les trois mots que je retiendrais des premiers pas déjà hors du commun, d'une incroyable richesse d'enseignement, et à la franchise exemplaire, de Simone de Beauvoir. On le dit de bien des classiques mais celui-ci, absolument, doit être lu. 

"Je veux la vie, toute la vie. Je me sens curieuse, avide de brûler plus ardemment que toute autre, fût-ce à n'importe quelle flamme" p. 406

 

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Challenge femmes de lettres.jpgChallenge Femmes de Lettres chez George

2ème participation pour une auteure du XXème siècle

 

 

 

25/11/2016

Paris est une fête d'Ernest Hemingway

IMG_20161112_093723.jpgParis est une fête d'Ernest Hemingway, Folio, 2015 [1964], 345p. 

Comme beaucoup, je suppose, j'ai découvert l'existence de ce livre d'Hemingway à la suite des attentats de Paris l'an dernier. Comme beaucoup, évidemment, j'ai voulu le lire dans la foulée (Eliza avait même organisé une LC pour le 13 décembre) et me suis retrouvée le bec dans l'eau, rupture de stock oblige (la dure vie d'être un mouton, à l'occasion). Il n'a rejoint ma PAL que plusieurs semaines plus tard, attendant depuis le bon moment pour moi de plonger dans ce Paris révolu, palpitant - à l'image du Midnight in Paris de Woody Allen - et quoi de mieux qu'un voyage dans les mêmes quartiers de cette merveilleuse capitale pour en savourer les délices doublement ?

D'autant que Paris est une fête n'a rien d'un copieux roman qu'il faudrait suivre religieusement de chapitre en chapitre. Il se rapproche plutôt d'une idée du voyage - ce qui pourrait en être le pendant littéraire. Pas vraiment carnet de voyage : tel que je me le représente, ce genre littéraire là, bien particulier, se caractérise par une écriture sur le vif du paysage et de ses découvertes. Paris est une fête est un voyage tout court, dans l'espace du Paris de la génération perdue, post-première guerre mondiale - peuplade d'artistes de tous poils ultra motivés, travailleurs assidus et passionnés, décadents aussi, avinés souvent - et dans le temps d'un écrivain qui se remémore longtemps après avoir vécu. Hemingway écrit ces vignettes plusieurs dizaines d'années après avoir quitté cette ville et cette vie. De nombreux comparses de cafés sont morts. Hemingway retourne en arrière avec un brin de nostalgie, point trop n'en faut, une lucidité très acérée, sans fioriture. En somme, ouvrir ce livre, c'est un peu mettre les pieds dans le Tardis. 

Il nous semble croiser des figures toujours connues parce que toujours présentes sur les étagères des bibliothèques - et voici qu'elles prennent vie, respirent, boivent, s'ennuient ou se questionnent. Francis Scott Fitzgerald détient indéniablement la palme de l'écrivain ahurissant, totalement alcoolique, en dehors des réalités. A se demander quels neurones encore en état de fonctionnement lui permettaient d'écrire. Il y a quelque chose d'étrange à pénétrer dans cet univers à la fois inconnu et toujours savouré par les mots de ces œuvres passées. 

Et puis, ce à quoi je ne m'attendais pas : on découvre un art poétique brut, simple comme une gifle - qui ne conviendra pas à tous mais qui frappe par son effort vigoureux d'atteindre la nudité de la vie. L'auteur vieillissant ne peut s'empêcher de glisser les conseils de la maturité entre les tâtonnements de sa jeunesse passée - ô combien éclairés, évidemment, et presque émouvants aussi. Je ne sais si c'est la coïncidence de mon propre voyage à Paris au moment de la lecture qui a fait de mon cœur une guimauve à  la violette mais je me suis particulièrement fondue dans ce voyage.

Quelques ultimes conseils, toutefois : surtout, ne pas tout lire d'affilée, ne pas s'y astreindre au risque de se dégoûter d'une certaine redondance des faits et des visages. Prendre une vignette comme une balade, et puis laisser la suivante attendre son tour. Mettre du temps, donc, à tout lire, et s'en réjouir : Paris est toujours une fête

"Ne t'en fais pas. Tu as toujours écrit jusqu'à présent, et tu continueras. Ce qu'il faut, c'est écrire une seule phrase vraie. Écris la phrase la plus vraie que tu connaisses." Ainsi, finalement, j'écrivais une phrase vraie et continuais à partir de là. p. 51

18/05/2016

D'autres vies que la mienne d'Emmanuel Carrère

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D'autres vies que la mienne d'Emmanuel Carrière, P.O.L., 2009, 310p.

 

Au départ, le couple d'Emmanuel Carrère et d'Hélène bat de l'aile, malgré des vacances paradisiaques au Sri Lanka. Tous s'ennuient et s'engluent dans la frustration jusqu'à ce que le tsunami de 2004 vienne tout dévaster. Emmanuel et Hélène sortent de leur marasme sentimental pour apporter de l'aide à un autre couple, Delphine et Jérôme, qui vient de perdre leur petite fille Juliette. De fil en aiguille, on suit à travers les yeux de l'auteur ces quelques jours infernaux où le deuil s'accompagne de la nécessité de retrouver le corps, de retrouver la paix.
De retour en France et quelques mois plus tard, c'est une autre Juliette qui se prépare à mourir, la soeur d'Hélène cette fois, d'un cancer du sein. Juliette est/était juge d'instruction, mère de trois fillettes. A sa mort, avec le concours du mari de Juliette et de son collègue juge également, Emmanuel va reconstituer la vie de la jeune femme par le menu : l'avant, le pendant et l'après maladie, comme l'envie de saisir rétrospectivement tout de cette Juliette qu'il ne connaissait quasiment pas.

Et là, j'en arrive à la partie où je suis censée développer mon avis critique et je sens se dérouler une monumentale tarte à la crème. Parce qu'autant le dire tout de suite : je n'ai pas goûté mon plaisir, loin de là. Entendons-nous bien : Emmanuel Carrère sait fort bien manier les mots pour promener son lecteur jusque dans les méandres - parfois limites - de sa vie et de la vie des autres (parce qu'il n'est pas seulement question d'autres vies que la sienne dans ce livre) et ses mots savent toucher la plupart du temps. De tout cela, je suis aujourd'hui certaine comme tous les autres lecteurs de Carrère avant moi. Mais manier et toucher comment, pourquoi ? Son style est loin de m'avoir éblouie et l'émotion qu'il a fini par me susciter à l'endroit de Juliette, je l'aurais tout autant ressentie en regardant un téléfilm sur M6. Dans l'ensemble (parce que je ne vais pas y passer la journée non plus), j'ai trouvé Carrère prétentieux, peu inventif, peu subtil, d'un égocentrisme et d'une impudeur parfaitement détestables. Cette façon de se toucher la nouille sur le dos des autres (cette tournure inspire d'amusantes images, tiens, aha) est une tendance qui m'irrite particulièrement dans la littérature contemporaine. Bon, vous l'aurez compris : je ne goûte pas du tout à l'autofiction en général et si certains auteurs/titres font parfois exception, ce n'est clairement pas le cas de Carrère. Et quand je lis que c'est ici un de ses livres les moins narcissiques, je n'ai aucunement envie d'aller voir ailleurs si j'y suis, au risque de chopper de l'urticaire.

Voilà, c'est court, c'est lapidaire mais il vaut mieux couper net au lieu de tourner autour du pot. Un petit mot seulement sur le juge et les méandres juridiques du surendettement que j'ai trouvés particulièrement intéressants. Mais à ce compte-là, sur le même sujet, je lirai autre chose la prochaine fois.