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10/07/2014

Black-Out de Connie Willis

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Black-Out - Blitz, tome 1 de Connie Willis, J'ai Lu, 2014, 796p.

 

On ne présente plus Connie Willis qui a obtenu de nombreuses fois les prix de SF les plus prestigieux. Elle se plait à projeter régulièrement une bande de jeunes historiens dans des périodes passées improbables et c'est avec délice qu'on aime à les y suivre. Après Sans parler du chien qui naviguait avec humour entre 1940 et le XIXeme siècle, c'est ici en pleine seconde guerre mondiale que sont envoyés Merope, Polly et Mickael. Tous trois voient leurs plans de sauts contrariés par le chef des historiens, l'inamovible M. Dunworthy, et les voilà tous à des endroits différents d'Angleterre sensiblement à la même période de 1940. Merope, alias Eileen, observe les enfants évacués dans le Warwickshire, Mike doit étudier les héros lors de la bataille de Dunkerque et Polly le blitz londodien. Si les débuts en situation sont plus ou moins confortables pour les uns et les autres, l'angoisse commence franchement à monter quand les fenêtres de sauts ne fonctionnent plus correctement. La seconde guerre mondiale glisse alors progressivement de l'aventure scientifique à l'expérience de survie.

Black-Out saura séduire les lecteurs assidus de Connie Willis en ce qu'il reprend les ingrédients de ses précédents voyages dans le temps. En 2060, c'est toujours la folie. L'équipe technique est totalement dépassée, Dunworthy est tellement dépassé qu'il en est absent et les jeunes historiens vadrouillent dans une course labyrinthique pour obtenir un formulaire, un costume ou tout simplement des explications. Personne ne sait pourquoi les plans de vol de tous sont chamboulés mais tout le monde en est furieux ! Cet imbroglio couvre bien les 150 premières pages en alternance avec quelques cours chapitres en 1940. D'aucuns trouveront ce début un peu trop long - comme j'avais pu le trouver dans les 70 premières pages de Sans parler du chien - mais pour le coup, il m'a ravie. J'ai aimé plonger avec lenteur et amusement dans cette ambiance totalement improbable. Il faut avouer que la possibilité de voyager dans le temps me fait rêver.

 

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En 1940 ensuite, c'est l'immersion totale. A l'exception d'une fenêtre de saut à proximité qui s'ouvre à certains moments précis, les jeunes historiens sont livrés à eux-mêmes. Contrairement à Sans parler du chien, Connie Willis laisse un peu moins place à l'humour. Le sujet sans doute s'y prête moins. Encore une fois dans ce titre, l'auteure fait montre d'une incroyable culture historique. Il est franchement passionnant de lire la seconde guerre mondiale par le petit bout de la lorgnette. Tel Fabrice à Waterloo, les évènements historiques sont vus par monsieur et madame tout le monde. Pas de grandes vues d'ensemble, de fresques impressionnantes, mais des faits de tous les jours qui saisissent d'autant plus qu'on croirait être dans le tableau.

J'émettrais néanmoins un nouveau bémol : la narration souffre d'un certain nombre de longueurs. Autant je ne les ai pas senties au début qui a su au contraire me mettre doucement dans l'ambiance, autant elles m'ont ennuyée au cours de ma lecture. A partir de la moitié, lorsque tout se met progressivement en place (ou devrais-je dire, se casse la gueule), les chapitres et les considérations des personnages s'étalent de manière beaucoup trop redondante. Malgré tout, arrivée dans la dernière centaine de pages, j'ai tout dévoré avidement. Enfin, les éléments commencent à avancer ! Ce tome 1 se clôt sur un cliffhanger habile - suffisamment logique pour qu'on ait des idées, suffisamment énigmatique pour qu'il nous laisse la langue pendue. Autant dire que je frétille à l'idée que sorte le second tome en poche (encore quelques mois à attendre probablement). Je croise seulement les bouclettes pour qu'il n'ait pas autant de longueurs que celui-ci.

 

 

challenge-un-pave-par-mois.jpgChallenge un pavé par mois chez Bianca

Hop, première participation pour juillet !

 

 

 

 

challenge melange des genres.jpgChallenge mélange des genres chez Miss Léo

Catégorie SF

 

 

 

 

 

10/06/2014

Waterloo Necropolis de Mary Hooper

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Waterloo Necropolis de Mary Hooper, Les Grandes Personnes, 2011, 314p.

 

coup de coeur.jpgGrace, 16 ans et sa soeur Lily, d'un an son aînée mais d'une simplicité d'esprit qui en fait sa cadette, vivent dans les bas-fonds du Londres victorien. Orphelines, elles subsistent en vendant du cresson dans la rue et rentrent le soir dans leur chambre miteuse de Seven Dials. Comment en sont-elles arrivées là ? Elles se destinaient pourtant à un avenir honorable, si ce n'est prestigieux, grâce aux formations de femme de chambre et d'institutrice dispensées dans un pensionnat. Elles s'en sont pourtant enfuies et le roman s'ouvre sur Grace, fille-mère d'un bébé mort-né, sur le quai du Waterloo Necropolis. Cet express mortuaire menait alors au nouveau cimetière en bord de ville. Sans argent pour payer un enterrement correct, Grace glisse son petit paquet dans le cercueil de Suzanna Solent. C'est lors de cet épisode qu'elle rencontre deux personnes cruciales pour son avenir, sans le savoir encore : James Solent, le frère de Suzanna. Jeune avocat ému par sa peine, il lui propose de l'aider si besoin. Grace gardera toujours sa carte et n'hésitera pas à se tourner vers James. Puis les Unwin, entrepreneurs de pompes funèbres véreux. Mrs Unwin propose à Grace une place de pleureuse d'enterrement, que celle-ci décline sur l'instant, terrifiée à l'idée côtoyer la mort comme un vautour. Mais de même, la carte de ce contact se révèlera salvateur sur bien des points...

Tout comme dans La messagère de l'au-delà, Mary Hooper ne donne décidément pas dans le sujet décontracté et très abordable. Après l'infanticide et la peine de mort, il est ici question de la misère terrible des londoniens à l'époque victorienne et de la corruption malsaine qui s'étalait à tous les étages de la société. Mary Hooper n'y va pas avec le dos de la cuillère, ne ménage pas son lecteur. A tel point que, si ce roman saura séduire un public adulte indulgent à l'égard des gentillesses de l'intrigue pour apprécier la pertinence historique et la crudité de certains faits, on peut se demander ce qu'en penserait un public plus jeune. Ce n'est tout de même pas évident à 12-13 ans de se retrouver plonger in medias res dans le récit d'une jeune fille de 16 ans tout juste accouchée, miséreuse, dans un train funéraire entourée du cercueils. Et encore, le récit ne va pas en s'arrangeant sur sa première moitié. Et pourtant, malgré ces incertitudes quant à l'adhésion du public auquel le roman est destiné, je me dis qu'il est justement bon de proposer des lectures de ce type. Des lectures qui ne sont pas là pour caresser dans le sens du poil ou pour faire croire encore au prince charmant (avec ou sans crocs). Merci, très franchement, à Mary Hooper de proposer une littérature ado de qualité, bouleversante, violente mais terriblement sensible et qui fait la part belle à l'Histoire.

 

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Car c'est peut-être bien la période victorienne la véritable protagoniste de ce titre, outre la douce et courageuse Grace et son attachante soeur. En lisant, il m'a semblé parcourir à nouveau les rues d'un roman de Dickens. Odeurs, bruits, couleurs dégagent une atmosphère fantomatique, grise et angoissante. Le brouillard plane bien souvent et le froid se fait mordant dans la chambre sans vitre ni couverture. Le carrosse vient même à passer en ville et Grace, éblouie, trouve le prince Albert si beau. Nous assistons également au deuil national qui envahit l'Angleterre après la mort du prince consort. Dans une affliction fortement invitée par la reine, le peuple s'habille de noir et plombe un peu plus l'hiver 1861.

Tout comme je l'avais déjà dit à la fin de La messagère de l'au-delà, indéniablement, on ressort un brin frustré en tant qu'adulte. On aimerait plus de consistance dans une intrigue qui s'avance cousue de fil blanc. Mais en même temps, le début du roman est si sombre ; je crois qu'il faut bien ce brin de happy end pour égayer le jeune public et ne pas le rebuter totalement. Après tout, Dickens lui-même n'a pas fait différemment dans son Oliver Twist.
Bref, encore emballée, encore un coup de coeur pour Mary Hooper, dont j'aime l'audace, la crudité sans concession et avec qui j'aime plonger dans des périodes historiques passionnantes. Foi de lectrice qui n'aime d'habitude pas la littérature jeunesse : c'est vraiment excellent !

 

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Le cimetière de Brookwood

 

 

Logo mois anglais2.jpgC'est parti pour le mois anglais de Lou, Titine et Cryssilda

1ere participation


LC Mary Hooper avec Titine, Malice, Mirontaine, Syl., Novelenn, Anne et George.

 

 

26/05/2014

Le Colonel Chabert de Balzac

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Le Colonel Chabert de Balzac, 1844
Lecture numérique

 

coup de coeur.jpgUn soir, un être étrange en guenilles ; à qui Balzac donne une figure presque fantastique ; débarque dans le cabinet de l'avoué Derville. Celui-ci lui confie être le Colonel Chabert, pourtant déclaré mort à la bataille d'Eylau. Sa survie tient à quelques détails exceptionnels qui font néanmoins aujourd'hui son malheur : bien qu'il soit parvenu à faire reconnaître son identité outre-Rhin, il n'est rien en France, considéré comme un revenant ou un usurpateur. Plus que tout, sa femme refuse tout contact. Celle qui s'est remariée avec le comte Ferraud dont elle a deux enfants ne tient pas à faire une croix sur son actuel prestige social. L'avoué Derville, qui est aussi l'avoué de la comtesse, croit Chabert et l'encourage à poursuivre les démarches. En attendant, il lui verse quelque argent sur celui, espère-t-il, que recevra Chabert de sa femme - elle a en effet touché une importante somme lors de la succession. Malheureusement, cet ancien soldat qui n'aspire qu'à la justice et à retrouver son identité se heurte à la bassesse et à l'arrivisme de la société parisienne. Les procédures sont d'une complexité qu'il ne comprend pas, les motivations d'autrui sont bien souvent l'égoïste ou l'appât du gain. Dans tous les cas, Chabert prend progressivement conscience qu'il n'a rien à voir avec cette société sans ces valeurs militaires - honneur, courage, loyauté, franchise - qu'il portait fièrement sur le champ de bataille à la gloire de Napoléon Ier. Il prendra dès lors la décision qui s'impose.

Jusqu'ici, mes rencontres avec Balzac - et elles étaient peu nombreuses, il n'y en a eu que deux - n'ont pas été très chaleureuses. Si j'ai apprécié La Peau de chagrin tout en m'y ennuyant cordialement à plusieurs reprises, je suis carrément morte d'ennui avec Le Lys dans la vallée. Je l'ai lu jeune, certes, mais ce titre reste malgré tout comme l'un de mes pires souvenirs de lecture. Et puis bon, il n'y a que les cons qui ne changent pas d'avis comme on dit ; j'ai donc entamé Le Colonel Chabert "pour voir" et j'ai tellement bien vu que j'ai adoré ! Le roman est très court (aux alentours d'une centaine de pages pour les éditions papier), on peut donc s'y lancer sans trop retenir son souffle.

colonel Chabert.jpgBalzac se pose à la fois en historien et en psychologue. Dans ce roman, il est avant tout question de rendre hommage à travers le personnage de Chabert - du moins, c'est ainsi que je l'ai lu - aux anciens combattants de l'armée napoléonienne (qui n'est plus d'actualité puisque nous sommes sous Louis-Philippe).
Ceux qui reviennent amoindris, mutilés, malades après avoir fait preuve d'un courage sans borne lors des batailles les plus épiques de l'Histoire ne sont plus considérés que comme gênants par la société. Ils se retrouvent confrontés à une société qu'ils ne comprennent plus à tous points de vue, en laquelle ils ne reconnaissent plus aucune valeur ; une société qui veut continuer à avancer sans trainer les boulets de son passé. On retrouve en différents personnages ces fameuses valeurs qui ne conviennent pas à Chabert, et principalement en sa femme : la cupidité, l'égoïsme et l'arrivisme d'un être de basse extraction qui tâche de conserver à tous prix sa place au soleil.

Balzac fait de la comtesse Ferraud l'archétype de la femme sans cœur. En effet, il n'est pas seulement question, chez elle, de conserver une position sociétale. Si telle était sa seule ambition et que, pour cette raison, elle refusait de reconnaître Chabert comme son époux, on pourrait le comprendre. Après tout, les femmes n'avaient pas mille cordes à leur arc à cette époque pour agir. Mais sa dureté va au-delà. Elle le manipule, se joue de lui et de ses sentiments à son égard. Elle lui refuse même une maigre rente qui lui permettrait de vivre décemment bien que caché. L'auteur nous place en face de types parfaitement opposés : l'ancien soldat plein d'honneur et sans déguisement ; la femme cupide et machiavélique. Grâce à ce miroir inversé, le pathétique est évidemment accentué, le lecteur est tantôt indigné, tantôt profondément ému et il forme à l'endroit de Chabert une grande empathie.

 


(un extrait de l'adaptation ciné du roman de 1994 qui met en scène la fameuse charge d'Eylau (la plus grande charge de cavalerie de l'histoire du monde) et la magnifique sonate de Schubert en fond. Tout simplement terrifiant)

 

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Il faut avouer que sa réaction finale n'est pas toujours bien comprise et moi-même je ne peux qu'évoquer mon sentiment de lecture. Je ne crois pas que son abandon des poursuites soit un ultime sacrifice, bien au contraire. La découverte des manigances indignes et iniques de sa femme lui dévoile de manière flagrante la bassesse des valeurs sur lesquelles se base la société d'alors (ceci étant toujours d'actualité, d'ailleurs). Il ne peut supporter une telle société ; il choisit donc d'en prendre congé. De se retirer du jeu. Et puisqu'il ne peut plus être soldat, ce qui restera sa plus grande peine, il choisit de ne plus rien être du tout. Sa démarche procèderait donc d'une misanthropie désespérée. Et c'est ce congé d'un monde qui est à l'encontre de ses valeurs qui me touchent particulièrement. Chabert le vit bien sûr à l'extrême mais il y a là, pour moi, l'expression exacerbée d'un courage et d'une loyauté impressionnante. Chabert n'est pas âme à faire des concessions et c'est ce qui le distingue de tous les autres personnages du roman (y compris l'avoué Derville qui, bien qu'a priori un peu plus honnête que la comtesse Ferraud, n'agit malgré tout que par appât du gain)

Très franchement, même si vous n'aimez pas Balzac, il vous faut lire ce roman. Il est touchant, vrai, violent, plein de mille réflexions passionnantes sur l'être humain et la société qu'il crée, et instructif sur le plan historique. Il me fait personnellement revenir sur le jugement sans appel que j'avais à l'égard de l'auteur, tiens. Pour la peine, je tâcherai prochainement de lire un autre de ses romans - j'ai Le père Goriot et Les Chouans dans ma PAL - pour voir si je l'apprécie à nouveau sur un format plus long.

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Challenge XIX.jpgChallenge XIXeme chez Fanny

5eme lecture