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25/03/2013

Les tendres plaintes de Yoko Ogawa

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Les tendres plaintes de Yoko Ogawa, traduit du japonais par Rose-Marie Makino Fayolle et Yukari Kometani, ed. Actes Sud, 2010 (écrit en 1996), 237p.

 

Après avoir longtemps supporté le climat glacial de son couple en déshérence, Ruriko se retire. Elle part un beau jour, sans réflexion ni préméditation, s'isoler dans le vieux chalet familial au coeur des forêts. Il s'agit d'y retrouver la sérénité, le silence et surtout, de s'y retrouver soi.
Elle rencontrera rapidement deux voisins dans un chalet proche : Nitta et Kaoru, son assistante. Nitta pratique une profession particulièrement fascinante : facteur de clavecins. De ses mains, avec une infinie patience, il sculpte des sons invisibles pour leur donner la forme cristalline d'un rondo ou d'un menuet. Il accorde également ses instruments lors de concerts à travers le pays. Ruriko apprend par contre qu'il ne joue pas - ou plus en public. Un beau jour, une panique l'a saisi et ses doigts ont cessé de jouer. Lors de leurs veillées, c'est donc Kaoru qui prend place devant le clavecin.
Au fil des jours, une relation étrange et souvent silencieuse se noue entre ces trois personnages à la recherche d'une paix intérieure, au son envoûtant des Tendres Plaintes de Rameau.

J'ai retrouvé dans ce roman ces fameux éléments qui semblent caractériser la littérature japonaise - et plus largement sans doute l'esprit japonais : une profonde solitude, une économie de mots, une grande pudeur dans les relations humaines, et l'utilisation d'images poétiques pour exprimer le cheminement intérieur de l'être. Ici, il semble que Yoko Ogawa nous invite à une introspection personnelle à travers le personnage de Ruriko et sa rencontre avec l'étrange tandem musicien. Le lecteur, tout comme Ruriko dans sa forêt, est tout d'abord plongé dans une atmosphère silencieuse, cotonneuse. Le bruit de la ville s'est évanoui ; il n'y a plus que le chatouillement des feuilles alentours. Progressivement, comme on construit pas à pas les pièces d'un clavecin, il s'agit de descendre en soi, et de se reconstruire avec patience et attention. Faire table rase, parfois aussi, et détruire pour mieux avancer - comme Nitta a pulvérisé un clavecin défaillant.
En fait, Les tendres plaintes m'a vraiment fait l'impression d'un roman qu'il faut ressentir bien plus qu'interpréter - c'est pour cela que je vais arrêter là toute forme d'analyse littéraire. Il joue sur les cordes de la sensibilité et de l'indicible, l'esprit ne fait que tenter de formuler ensuite ce que le corps a d'abord senti.


"Alors qu'elle jouait juste sous mes yeux, j'avais l'impression que le son me parvenait d'un endroit extrêmement lointain. On aurait dit qu'il contenait la mémoire d'un temps illimité auquel personne n'avait touché. Le tranchant et la douceur, la magnificence et la grâce, la pureté et l'ombre, des impressions contradictoires jaillissaient ainsi en même temps pour se fondre aussitôt en une seule.
En tendant l'oreille encore plus, je pouvais discerner les imperceptibles résonances entre chaque son."

 

Je vous laisse savourer l'atmophère de ce roman avec la fameuse pièce éponyme de Rameau : (je me permets simplement de vous l'insérer au piano car l'éloge du clavecin a beau être délicieux sous la plume d'Ogawa, il a malheureusement la vertu de m'énerver au plus haut point)

Encore une très belle découverte japonaise grâce au challenge d'Adalana! Merci pour cette inspiration!

 

 

 

 

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Challenge Ecrivains japonais 2013 chez Adalana

Le mois de mars est consacré à Yoko Ogawa






1213775971.jpgChallenge Petit Bac 2013 chez Enna

Catégorie Sentiment

25/02/2013

1Q84 - Livre 2 de Haruki Murakami

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1Q84 - Livre 2 de Haruki Murakami, ed. Belfond, 2011, 526p.

 

- Attention, spoiler pour ceux qui n'ont pas lu le tome 1 -

 

Il y a un mois, je refermai dans un état de fébrilité cotonneuse le 1er livre d'1Q84. J'y avais goûté une atmosphère nouvelle, aérienne - entre la douceur et la mélancolie et y avais laissé Tengo et Aomamé a un tournant, semblait-il, déterminant : Lui n'avait plus de nouvelles de Fukaéri ; elle venait d'accepter un dernier contrat pour la vieille dame. Ce fameux contrat, dont le lecteur ignorait encore la date, devait consister à envoyer dans un autre monde le leader de la secte des précurseurs pour le punir d'actes pédophiles. Ainsi donc, la brèche d'un possible rapprochement entre Tengo et Aomamé s'ouvrait sur cette commande d'un genre particulier et nous, lecteurs, restions pendus à ses pages délicieuses.

Dans ce nouveau livre, Tengo et Aomamé vont faire face à un dépouillement de plus en plus minutieux, à l'exercice d'une solitude aride mais aussi et surtout, profondément lyrique.
Je l'avais dit dans ma chronique précédente, ce livre est typiquement japonais dans sa lenteur moite et sa pesanteur solitaire. Nos deux protagonistes ne sont ancrés à rien ni personne. Ils vaquent à leur quotidien, s'impliquent mais au fond, ils sont toujours seuls. Néanmoins, dans le livre 1, ils avaient quelques relations de surface qui leur donnaient le change de l'attachement : Tengo avait une maîtresse de dix ans son aînée, Kyôko, qui le visitait tous les vendredis et Aomamé avait fait la connaissance d'une jeune policière, Ayumi. Dans ce livre, ils vont tous deux perdre ses relations. On comprend rapidement que telle est la technique des Little People : ils ne peuvent pas atteindre directement mais ils peuvent creuser un fossé pour isoler. Ces actes sont sensés servir d'avertissement mais ni Tengo ni Aomamé ne quitteront la route sur laquelle ils se sont embarqués : parce qu'ils sont déjà allés trop loin et parce qu'ils fonctionnent l'un pour l'autre comme le plus puissant des aimants.

Ainsi, au-delà de ce contrat qu'Aomamé va honorer malgré quelques réticences et la surprise de découvrir un leader hors du commun, et le duo que vont à nouveau former Tengo et Fukaéri, c'est avant tout à une ballade lyrique que nous invite ce livre 2. Dans le premier, il fallait reconnaître le génie de mettre en place les ramifications d'une intrigue protéiforme ; ici, tout en poursuivant dans cette lignée, j'ai surtout été touchée par une montée en puissance de l'intériorité des personnages - chacun des deux se livrent à une introspection touchante et délicate et c'est en allant au fond d'eux-même que, progressivement, ils se rapprochent l'un de l'autre.

A la fin de deuxième livre, la rencontre n'a toujours pas eu lieu. Du moins, une rencontre physique. Car Tengo et Aomamé perçoivent à présent les deux lunes et se perçoivent l'un l'autre avec une brillante acuité.
Il n'en reste pas moins qu'après la suppression du leader par Aomamé et la colère des Little People face à l'échange entre Tengo et Fukaéri, la route est encore longue et périlleuse avant un renouveau.

Suite au prochain épisode !

 

Livre lu en lecture commune avec Manu et Shelbylee. Allons voir leurs avis !

 

logo-c3a9crivains-japonais_1.jpgEt ce billet participe au challenge Ecrivains japonais 2013 chez Adalana : ce mois est consacré à Haruki Murakami !








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copyright © Leonid Tishkov






28/01/2013

1Q84 - Livre 1 de Haruki Murakami

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1Q84 - Livre 1 de Haruki Murakami, traduit du japonais par Hélène Morita, ed. Belfond, 2011, 534p.

 

Bien qu'il s'agisse d'un auteur japonais majeur, je n'avais jamais lu Murakami - du moins, pas ce Murakami là - jusqu'à aujourd'hui. Il m'intriguait beaucoup et pourtant, il me semblait que ce n'était pas le moment de m'y plonger encore - vous comprenez cela, bien sûr. On le vit tous plus ou moins avec un grand nombre d'auteurs, et heureusement. Sinon, on aurait perpétuellement envie de tout lire en même temps.

J'ai donc attendu Noël et un très beau cadeau amical pour aborder Haruki Murakami avec le premier livre de sa récente trilogie. J'y ai tout d'abord rencontré le personnage principal féminin, Aomamé. Incroyablement énigmatique, Aomamé apparait comme un être musculeux, impassible et précis. Nulle expression ne trouble son visage à moins qu'elle ne le désire. Chez Aomamé, tout est dans le contrôle. De fait, on découvre bientôt qu'en plus de sa respectable profession de coach sportif, elle s'applique à supprimer - à déplacer dans un autre monde - des hommes violents, grâce à une technique très particulière maîtrisée d'elle seule.
J'ai ensuite rencontré Tengo, le personnage masculin avec lequel alterne le récit. Du même âge qu'Aomamé, il est un professeur de mathématiques respectable et particulièrement brillant et romancier à ses heures. Bien qu'il n'ait encore jamais été publié, sa plume semble être suffisamment intelligente pour que son mentor, l'éditeur Komatsu, lui réclame de jouer au nègre. Il s'agirait d'étoffer le manuscrit de la jeune adolescente Fukaéri, afin de lui faire gagner le prix des jeunes auteurs. Komatsu flaire un gros coup.
Ces deux personnages ont le point commun d'être étonnamment seuls - d'une solitude toute japonaise (je n'ai pu m'empêcher de penser à Lost in Translation de Sofia Coppola) où tout est minimaliste : la nourriture, les expressions, les sentiments, les extravagances - à part celles du sexe. Leurs vies respectives sont réglées, parfaitement en place et rien ne semble troubler le déroulement des jours, qu'on hésiterait d'un point de vue occidental à qualifier de zen ou d'ennuyeux.

D'ailleurs, en parlant d'hésitation, j'en ai beaucoup eu pendant la première moitié de l'ouvrage : où Murakami veut-il en venir ? On saisit le vacillement qui s'introduit dans la réalité d'Aomamé à travers un certain changement de tenue réglementaire mais sans savoir exactement où mène le roman. Les tableaux se succèdent avec étrangeté et surtout, lenteur. Ah! ça, il ne faut pas craindre la lenteur dans la littérature japonaise et notamment ici.

Et puis soudain, tout comme le fantastique s'incruste petit à petit avec subtilité, j'ai été hâppée sans même m'en apercevoir. Je me suis mise à tourner les pages pour une raison que j'ai très honnêtement eu du mal à identifier - et c'est encore le cas tandis que je rédige cette chronique. Ce n'est ni à cause d'un suspens mordant, ni à cause d'aventures rocambolesques. Bref, à cause de rien de tout ce qui peut hâpper follement dans un bouquin normalement. Je crois simplement que, tout comme Aomamé, j'ai basculé dans ce fameux univers parallèle qu'est 1Q84 - où tout semble presque identique à notre réalité sans l'être du tout.
Progressivement, on s'attache à nos deux personnages principaux qui dévoilent quelques souvenirs d'enfance, quelques blessures et des liens ténus entre eux. Ils ne se rencontrent jamais dans ce tome mais on sent comme un fil de soie se tendre et tricoter une onde invisible. On s'attache également à deux personnages secondaires : la vieille dame qui commandite les meurtres auprès d'Aomamé, étrange passionnée de papillons qui s'est donnée la mission de protéger les femmes et Fukaéri, l'auteur de La Chrysalide de l'air que Tengo doit récrire. On pense tout d'abord qu'il s'agit d'une adolescente drapé dans un personnage factice de diva précoce ; on se rend compte qu'il s'agit d'une enfant encore blessée par un passé trouble dans une secte si fermée au monde qu'elle est quasiment inconnue de tous.

Dans ce livre 1 de 1Q84, il m'a semblé que je glissais sans même m'en rendre compte - suffisamment doucement pour que cela m'échappe mais avec une sûreté telle que lorsque je m'en suis aperçue, je ne pouvais plus décrocher. Au fond, Murakami orchestre à merveille son ouvrage jusqu'à rendre pour le lecteur ce qu'opèrent les fameux Little People dans l'ombre de son monde fictionnel. Qui sont-ils ? : nous ne le savons pas - et c'est bien là le fait même. Tandis qu'Orwell créait un monde dirigé par une super puissance omnipotente dans 1984, Murakami crée des petits personnages impossibles à identifier, impossibles à repérer - si discrets que l'on n'y prend pas garde et qui, par conséquent, sont d'autant plus redoutables : On ne voit le ver que lorsqu'il est dans le fruit et que tout est déjà pourri. Ici, point de pouvoir suprême supérieur dont l'image est partout mais bien plutôt un serpent rampant et fourbe qui parvient à s'insinuer partout et surtout à l'intérieur des êtres pour les détruire de l'intérieur. Métaphore terrifiante d'un totalitarisme moderne, en somme...

Je me suis donc faite prendre comme la bleue que je suis à ce récit tout à la fois conte, fable fantastique, mise en abyme du travail littéraire, enquête, et satire de la société - et sans doute bien plus encore !
J'en ressors étonnée et complètement intriguée. Avec cette impression, vous savez, d'avoir fait une découverte littéraitre très, très particulière. Ce n'est pas seulement un coup de coeur - je ne sais même si ça en est vraiment un au sens où on se le dit habituellement entre lecteurs. C'est encore différent car le sentiment qui reste n'a pas grand chose à voir avec le plaisir mais avec un autre élément indéfini et bien délicat à expliquer en mots. En tous les cas, ce Murakami ne ressemble à rien de ce que je connaissais jusque là et cette parfaite nouveauté est un sentiment bien délicieux.

Suite au prochain numéro !

 

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copyright © David Keochkerian