12/09/2013
Le Violon noir de Maxence Fermine
Le Violon noir de Maxence Fermine, ed. Arléa, 2001, 129p.
La jeunesse de Johannes Karelski commence comme celle de Mozart. Jeune prodige de la musique, il tombe amoureux du violon et se produit dans toutes les cours d'Europe. Son rêve est d'écrire un opéra qu'il veut grandiose. Que le violon parvienne à exprimer la musique céleste. Mais l'Histoire contrarie ses plans et le voilà appeler à grossir les rangs de l'armée napoléonienne contre l'Italie. Ses camarades soldats dénigrent sa musique : il ne s'agit pas d'être ému la veille de combattre. Un matin, Johannes retrouve son violon détruit au pied de sa couche. Après plusieurs semaines de campagne, il est laissé en garnison à Venise et est hébergé par le meilleur luthier de la ville. Ce dernier a créé un mystérieux violon noir aux pouvoirs puissants. En jouer, c'est tomber amoureux et se briser le cœur en même temps. Johannes confie à Erasmus son rêve d'une femme en noir dont il est épris. Elle lui inspire l'écriture de son opéra mais il s'efface au fur et à mesure qu'il le compose. Erasmus prend alors le relai du récit et lui raconte l'histoire du violon noir, lui aussi lié à cette femme.
J'ai découvert Maxence Fermine il y a un an et demi avec son premier récit, Neige dont j'avais apprécié l'écriture et la thématique. Dans Le violon noir, j'ai retrouvé cette même poésie et une destinée initiatique. Il s'agit plutôt d'un conte que d'un roman. Les chapitres sont très courts et le style embarque par des formulations délicates, aériennes. Il me fait l'effet de petites perles brillantes. Nulle place pour la description ou les péripéties d'une vie entière. Il s'agit plutôt de retranscrire une vie étonnante avec une poésie simple et lumineuse. Les vies croisées de Karelski, musicien virtuose embarqué malgré lui dans l'Histoire, et d'Erasmus, luthier également virtuose sont émouvantes. Tous deux sont animés par cet amour inconditionnel du violon qui se matérialise sous les traits d'une femme à la voix d'or. Le violon inspire un amour tellement divin qu'il semble inatteignable, si ce n'est dans la perte.
Le violon noir est une ode à la musique et aux passions artistiques. Un très beau conte qui ravira ceux qui ont gardé une âme de rêveur et qui donne envie de réécouter un bon concerto pour violon.
Grâce à cette lecture, je participe pour la première fois au challenge Des notes et des mots chez Anne !
Le violoniste joyeux de Gerrit van Honthorst (1592-1656)
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09/09/2013
Ourse bleue de Virginia Pésémapéo Bordeleau
Ourse bleue de Virginia Pésémapéo Bordeleau, ed. Pleine Lune, 2007 / Litté, 2008, 195p.
Victoria est une poétesse métisse d'origine cree. Elle entame un voyage initiatique avec son mari Daniel vers la baie James, terre de ses ancêtres amérindiens. Peu à peu, à l'envie de retrouver les lieux et des membres éloignés de sa famille, se développe une quête chamanique mystérieuse qui apparaît à Victoria dans ses rêves. Elle apprend grâce à ces rencontres diverses la destinée de son grand-oncle George. Trappeur, il est parti jadis pour chasser et n'est jamais revenu. Le doute subsiste sur les causes et l'emplacement de sa mort. Seuls deux os ont été retrouvés loin de son territoire de chasse. Les rêves intiment à Victoria de le retrouver pour lui permettre de trouver la paix de l'âme.
Ce beau roman sincère se construit en deux parties. La première est centrée sur le voyage physique de Victoria et Daniel dans le Québec cree. Aux chapitres qui suivent leur progression et leurs échanges avec de lointains cousins et un vieux sage au totem du corbeau, s'alternent des séquences souvenirs de l'enfance de Victoria. Le lecteur plonge dans le quotidien difficile marqué par l'alcool et la précarité violente des familles métisses. Plusieurs membres de la famille de Victoria sont soumis aux ravages de la boisson et ce triste atavisme se transmet de générations en générations. La quête identitaire de la protagoniste semble trouver ses sources dans l'histoire personnelle comme dans l'histoire collective tant son passé familial est celui du peuple cree. Il s'agit de se retrouver pour continuer à vivre sans s'autodétruire.
Tandis que Victoria est appelée sur la voie de son grand-oncle George, le vieux sage lui fait comprendre qu'il s'agit avant tout d'une quête intérieure qui lui sera compliquée. Dès lors, la deuxième partie est beaucoup plus intime, poignante, resserrée et chamanique. Il sera révélé que Victoria possède un pouvoir de chamane longtemps brimé par sa mère - celui de l'ourse bleue, parfait syncrétisme des croyances spirituelles crees et blanches. Lorsqu'elle aura cheminé sur les parois escarpées des sentiments douloureux, il sera permis à Victoria de ressentir la compassion et d'ouvrir son esprit à une plus grande vision.
J'ai beaucoup aimé la lecture de ce court roman au style direct, simple et surtout très touchant. Qui va en somme droit au but avec une désarmante sobriété. Virginia Pésémapéo Bordeleau actualise les croyances et les récits de ses ancêtres crees. L'histoire du grand-oncle disparu lors d'une chasse, probablement dévoré par les loups, était déja présente dans Le Chemin des âmes de Boyden. De même le problème des windigos par temps de famine. Ce roman est un cri de survivance amérindienne au coeur de la modernité. Il y ait question de l'apprentissage d'une profonde humanité et d'unifier ses racines enfouies. Je vous le conseille vivement !
"Ma fille, le chemin vers ta réalité, celle que tu as entrevue ce matin, ce chemin sera difficile. Tu as déjà beaucoup souffert, apprends à accueillir cette souffrance. Libère-toi d'elle ; ce faisant, elle te rendra de plus en plus forte. Tu portes en toi ta famille mais aussi deux peuples : le rouge et le blanc. Quoi que tu en penses, ton côté blanc est aussi dévasté que ton côté rouge. Tu dois guérir ces deux parties de toi-même et les réunir. En opposition, elles t'affaiblissent. Unies, tu seras comme le roc face à toutes les tempêtes."
Vous trouverez ci-après un lien vers un extrait lu par la poétesse Sylvie-Anne Sioui-Trudel (ahhh l'accent québécois^^) et une vidéo où l'auteur explique en quelques mots le propos de son roman.
http://www.nativelynx.qc.ca/fr/litterature/bordeleau.html
Challenge Amérindiens
7eme lecture
Québec en septembre chez Karine :)
2eme lecture
09:00 Publié dans Challenge, Littérature amérindienne, Littérature française et francophone | Lien permanent | Commentaires (4)
05/09/2013
La Transcendante de Patricia Reznikov
La Transcendante de Patricia Reznikov, ed. Albin Michel, Août 2013, 276p.
La transcendante est cette route intérieure qui mène à l'accomplissement - celle que l'on parcourt souvent dans la nuit, à tâtons et dans l'espoir. A la suite de l'incendie de son appartement, Pauline s'engage sur ce chemin en direction des États-Unis. Dans cet incendie, elle a perdu son frère, sa joie de vivre, ses repères et toute sa bibliothèque à l'exception de La Lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne. Interpelée par ce seul survivant, elle décide d'en suivre les traces près de Boston. Tout d'abord seule et un brin paumée, elle fait la rencontre de Georgia, une fantasque ancienne professeure de littérature. Avec elle, elle retrace pas à pas le vie de Hawthorne, tente de revivre et découvre ce lien ténu qui la lie à La Lettre écarlate.
Telle que se présente cette nouvelle lecture de la rentrée littéraire, tout y est pour me séduire. Je trouve l'idée de mêler cheminement intérieur et quête littéraire particulièrement passionnante. Malheureusement, le roman n'a pas du tout fonctionné sur moi. Je m'attendais à un récit profond, intense, érudit (oui, tout de même un peu lorsqu'on se place sous la tutelle de Hawthorne et de la littérature pour cheminer) et je n'ai trouvé qu'un guide de voyage dialogué entre deux personnages plutôt creux. Pauline est vidée après son expérience dévastatrice de l'incendie, certes. Mais elle apparaît carrément ici sans consistance : elle se laisse mener par l'enthousiasme de son improbable acolyte et ses réflexions sur la littérature sont inexistantes. Elle sait très bien citer, paraphraser et résumer (en 10 pages, accrochez-vous!) La Lettre - ce qui, somme toute, ne fait que grossir la masse des pages, ne représente aucun intérêt, et ne fait que passer l'envie de lire l’œuvre originale puisqu'elle nous a déjà tout raconter par le menu. C'est à peu près tout ce que vous trouverez sur la littérature. A noter que vous trouverez la même profondeur de champ concernant la philosophie à l'entrée d'un sympathique professeur-corbeau dans les 70 dernières pages. Ce qu'il dit n'est pas inintéressant mais cela souffre un peu trop de lieux communs et d'une superficialité criante. Il parviendra à redonner goût et motivation à Pauline mais d'une manière qui ressemble trop à une thérapie pour les nuls. Quant à Georgia, je crois qu'elle tient le haut du pompon. On apprend à la fin le pourquoi de ses déguisements sans queue ni tête mais.... tout cela est trop simple, trop gros, trop moralisant, trop ras la pelouse. Si je devais résumer mon impression sur ce livre, je dirais qu'il s'est donné de grands objectifs passionnants et qu'il n'a pas été à la hauteur du tout.
J'ai repensé à Gracq, découvert récemment, au cours de ma lecture. Il s'était lancé le projet progressif de déconstruire la récit pour aboutir à un travail littéraire poétique soutenu par la virtuosité de la langue (et je n'irai pas plus loin car je ne suis pas une grande connaisseuse de Gracq). Dans un roman comme celui de Patricia Reznikov qui s'envisageait comme une quête intérieure au gré des Lettres, c'est aussi le domaine qui pêche : la langue, la poésie, le style. Quand il ne se passe "rien" a priori, tout doit être dans les mots. Mais le style est inexistant (encore une chose inexistante, tiens.). A la décharge de l'auteur, celle-ci est américaine et l'exercice d'écrire dans une langue qui n'est pas sa langue maternelle est audacieux et périlleux. A ce niveau là, il est indéniable qu'elle écrit le français comme peu de français de souche sauraient le faire. Mais la littérature va au delà de bien écrire une langue. C'est savoir en créer une partition, une incantation, un chant puissant pour dire l'indicible et la profondeur d'une pensée à la fois unique et universelle. Aucun point ne m'a paru rempli dans La Transcendante.
Je pourrais soulever encore un certain nombre de déceptions (notamment les dialogues insipides mi-anglais, mi-traduits en français derrière : sérieusement?!! Comment un truc pareil a pu paraître une bonne idée?!) mais je pense que vous avez saisi le principe. J'aurai préféré vous offrir un deuxième coup de coeur ; nous en sommes malheureusement loin. Néanmoins, aux vues de ce que j'ai lu sur la blogo, ce roman a recueilli des avis contrastés : certains déçus comme moi, d'autres séduits par une sérénité apaisante. Peut-être fonctionnera-t-il donc mieux sur vous, qui sait !
Je remercie encore beaucoup les éditions Albin Michel pour ce partenariat !
Challenge de la rentrée littéraire chez Hérisson
2/6
09:00 Publié dans Challenge, Littérature française et francophone | Lien permanent | Commentaires (8)