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14/10/2013

Petites scènes capitales de Sylvie Germain

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Petites scènes capitales de Sylvie Germain, ed. Albin Michel, Août 2013, 250p.

 

C'est toute une vie que brosse ce roman elliptique, tout en instantanés photographiques. Une vie minuscule et pourtant poignante, jalonnée d'Histoire et de poésie. Au début du livre, Lili est une petite fille unique et orpheline de mère. D'elle, elle ne connait rien - n'a qu'une photo prise après sa naissance. Tout le reste a été effacé par celle-là même qui s'est enfuie. Du cocon restreint formé par sa grand-mère et son père, elle est projetée dans une grande famille recomposée, dans un nouvel appartement sans oiseau, dans une vaste chambre avec trois nouvelles sœurs. Le quotidien s'émaille du sentiment profond de solitude que ressent Lili, d'incompréhension face au manque et de difficulté à trouver sa propre identité. Est-elle Lili comme l'a toujours appelée sa famille ou cette Barbara qu'elle découvre à l'école ? Cette schizophrénie du nom est à l'image des lacunes que ressent la petite fille devenue jeune fille puis femme. Elle se persuade longtemps que le remède serait dans la mise à nu d'un secret. Mais y en a-t-il vraiment? Est-ce jamais le bon moment de le savoir ?

J'ai retrouvé avec plaisir l'écriture gracieuse de Sylvie Germain dans cet opus. Point de grande fresque ici, plutôt de courtes évocations (les chapitres ne font jamais plus de quatre ou cinq pages) qui composent, à la manière de photographies, le cheminement de Lili/Barbarba jusqu'à l'âge mûr et au lâcher-prise. Néanmoins, on retrouve ce souci de mêler une quête intérieure - la recherche de soi et de son identité - et l'Histoire comme le décor nécessaire de cette quête. Tantôt déclencheur, révélateur, exutoire, le grand évènement est toujours le corollaire de l'intime. Ainsi, les rafles et les camps de la seconde guerre mondiale puis mai 68 apparaissent à la lumière des uns et des autres.
La poésie, la musicalité de Sylvie Germain est toujours magnifiquement présente. Ce sont dans les passages sans action, lorsqu'elle saisit un ciel ou une lumière qu'elle s'épanouit le mieux.

Malgré tout ces points très positifs, car j'ai effectivement aimé ce roman, je n'ai pas été autant emballée qu'avec Le Livre des nuits. Je n'ai pas ressenti le même pouvoir de fascination, de saisissement. C'est un très beau roman, touchant et à l'écriture indéniablement maîtrisée mais je n'ai pas été scotchée. Le propos et la manière de le traiter m'ont semblé, je pense, un peu moins originaux. Sans doute que l'écriture en courtes scènes est moins propice aussi à embarquer furieusement.En tout état de cause, j'ai aimé mais je n'ai été électrisée. Je vous conseille tout de même la lecture de cette tranche de vie qui mérite bien quelques soirées d'attention en cette auguste rentrée.

 

rentrée littéraire 2013.jpgChallenge Rentrée Littéraire 2013

3/6

10/10/2013

Home de Toni Morrison

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Home de Toni Morrison, ed. Christian Bourgois, 2012, 150p.

 

Puisque le roman est court, le plus court à ce jour de Toni Morrison, le lecteur est immédiatement embarqué sans plus de préambule dans une scène brûlante, âpre ; subliminale. Des chevaux se battent - se dressent comme des hommes - tandis que deux jeunes enfants noirs assistent à un enterrement clandestin. Cette scène-là cristallise le souvenir et les blessures du passé qu'il faudra conjurer après l'épreuve originelle du retour chez soi.

Ces deux jeunes enfants sont Franck Money et sa sœur Cee. Ils grandissent dans une bourgade de Géorgie, affublés de parents débordés et d'une grand-mère tyrannique. Les perspectives d'avenir sont minces et la violence baigne déjà leur univers. Franck s'engage dans l'armée et perd ses deux amis en Corée ; Cee épouse un bellâtre qui la quitte aussitôt et se retrouve seule comme employée chez un médecin douteux. Tous deux sont partis et n'ont pas trouvé le bonheur. Au début du roman, Franck s'échappe d'un asile et court pieds nus dans la neige. Un mot, un seul, pouvait le décider à quitter son refuse d'après-guerre et sa petite-amie : Sauver sa sœur. Au fil de sa course, plusieurs voix émergent qui prennent l'ampleur d'un chapitre. Elles se racontent sans complaisance mais avec une plume bienveillante. Il ne s'agit pas de juger : dire est l'essentiel.

Je n'ai jamais lu Toni Morrison, aussi ne puis-je pas donner un avis à la lumière de son œuvre. Home est pour moi une découverte fascinante et délicieuse. Le retour aux sources éminemment personnel de Franck et Cee tinte comme la mise à nu de toute une communauté. Le cycle du livre est l'occasion de découvrir l'effrayante vie de ses anciens combattants laissés pour compte, souffrant dans l'indifférence et la ségrégation raciale, une forme d'esclavage qui n'en porte plus le nom mais encore les stigmates. Le sentiment d'impuissance, de honte et de culpabilité draine ici les pages avec la perspective de l'espoir : car la roue tourne. Le roman, à mesure des chapitres, s'enroule vers une fin qui reprendra exactement la première vision du livre pour l'emmener vers la verticalité d'un retour en humanité. 

Outre le thème, j'ai aimé la langue imagée et vivante de Toni Morrison. Les scènes et les pensées des personnages se vivent à la lecture. On est embarqué dans un univers prosaïque et pourtant féérique à la fois. Après réflexion, l'auteure me fait beaucoup penser à Louise Erdrich pour cette même faculté à dénoncer, mettre à jour, tout en poétisant le réel.

Pour résumer, Home est un roman pur, rédempteur, aux allures de conte déchirant. Un roman que l'on peut, je crois, lire sans trop se tromper. 

 

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challenge US.jpgChallenge Américain chez Noctenbule
3eme lecture





challenge-des-100-livres-chez-bianca.jpgChallenge Les 100 livres à avoir lu chez Bianca

7eme participation

07/10/2013

Battle de Nature Writing ou l'appel de la forêt

challenge US.jpgAujourd'hui : deux livres pour le prix d'un ! C'est l'occasion de fêter l'entrer dans le challenge US organisé par Noctenbule et dont on attendait tous et toutes le top départ.

Un des courants littéraires qui symbolisent pour moi l'esprit nord-américain par excellence est le Nature Writing. Savant mélange d'autobiographie, de philosophie et de grandes balades dans la nature, il trouve ses racines chez Henry David Thoreau et son Walden ou la vie dans les bois. Dignes de leur illustre père, les écrivains de Nature Writing se retrouveront engagés, d'une manière ou d'une autre, à vivre autrement avec la nature. Il y a de aussi l'écologie dans ses récits de grands espaces ; sans donner de leçons, mais plutôt en apportant l'exemple qu'une autre manière de vivre est possible par le truchement de la littérature.

J'ai lu dernièrement deux livres dans cette veine - à la fois tellement proches et tellement différents que j'ai souhaité les chroniquer dans le même billet. L'un m'a totalement emportée, l'autre m'a énormément déçue. Je commencerai par le premier pour ne pas y passer trop longtemps.

Winter.jpgIl s'agit de Winter de Rick Bass, publié en poche aux éditions Folio.

A la fin des années 80, Rick Bass et sa femme ont des envies de retraite artistique. Ils entament un périple de plusieurs mois à travers plusieurs états pour trouver le refuge de leurs rêves, suffisamment éloigné et pittoresque pour vivre la création dans la quiétude et la solitude. Mais ni l'Utah ni le Nouveau-Mexique ne trouvent grâce à leurs yeux. C'est fortuitement qu'ils finissent par dénicher une maison au fin fond du Montana dans la vallée de Yaak. Il s'agit d'en assurer le gardiennage durant l'hiver et d'accueillir le propriétaire lorsque celui-ci viendra chasser. Le village de Yaak est à plusieurs kilomètres et n'offre qu'un saloon et un magasin de premières nécessités. La "ville" la plus proche est à 60 kilomètres. Le couple Bass est conquis et s'installe pour passer un hiver aux températures glaciales.

Winter est rédigé sous forme de journal, de septembre à mars. Au jour le jour, l'auteur confie ses pensées et des considérations quotidiennes de manière plus ou moins détaillée. Après avoir visionné un reportage particulièrement passionnant sur l'état du Montana, je voulais me plonger dans un récit qui en raconterait la vie âpre et splendide. Comme le livre que voilà a reçu des éloges à la pelle sur la blogosphère, je l'ai immédiatement choisi. Malheureusement, je n'y ai absolument pas trouvé l'intérêt de mes consœurs blogueuses. Le début est plutôt prenant, presque drôle : Rick Bass avoue non sans une pointe d'humour être un néophyte aux allures de hippie dans sa vieille camionnette, en compagnie de ses deux chiens. L'emménagement dans le nord du Montana est pour eux une aventure de vie. Ils n'ont ni eau courante, ni électricité et les températures tombent jusqu'à moins quarante. Il ne s'agit donc pas d'une petite promenade de santé pour des citadins en mal de nature sauvage. Mais très rapidement, j'ai complètement décroché et je pense que cela tient à la forme du journal. Bass écrit dans l'immédiateté de l'expérience et vire rapidement à l'anecdotique. Fait 1 : il coupe du bois. Fait 2 : il coupe du bois. Fait 3 : il attend la neige. Et avec ces quelques éléments, on tourne rapidement en rond. Je n'ai rien trouvé de littéraire dans son écriture, ni aucune considération pouvant élevé le débat d'un journal de bord stricto sensu sans doute très utile pour celui qui vit l'expérience mais très ennuyeuse pour le lecteur.

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La vallée de Yaak


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Fort heureusement, le Nature Writing peut faire bien mieux que ça et je l'ai trouvé dans l'excellent Indian Creek de Pete Fromm sous titré Un hiver au coeur des Rocheuses.
Gallmeister, en matière de Nature Writing, est une maison d'édition de référence. On ne compte plus les nombreux titres passionnants traduits dans cette collection.
Dans le fond d'Indian Creek, rien de si différent par rapport à Winter, à part quelques faits finalement anecdotiques. Pete Fromm est maître nageur estival lorsqu'il entend parler d'un boulot saisonnier qui le fait rêver : partir pendant les sept mois d'hiver dans un coin paumé de l'Idaho (à 80 miles de la frontière d'avec Montana) pour surveiller des œufs de saumon en réintroduction pour la pêche. Il a une vingtaine d'années et est étudiant en biologie animale à Missoula. Il veut vivre quelque chose qui mériterait d'être raconté - et il part donc plein de récits d'aventure, très à l'arrache, sans trop savoir ce qui l'attend. Contrairement à Rick Bass, Pete Fromm est seul, n'a qu'une tente un peu moisie et un vieux poêle en guise d'habitation, aucun moyen de transport dès les premières neiges tombées et pour couronner le tout, le téléphone le plus proche ne fonctionne pas. Les conditions sont particulièrement extrêmes, presque folles même (j'ai trouvé les rangers qui l'emploient complètement inconscients de le préparer si peu à une telle expérience !!) mais on retrouve le même objectif que dans Winter : Témoigner de son expérience de presque néophyte au plus proche d'une nature hostile et pourtant parfaite.

Là où Pete Fromm est pourtant bien plus intelligent que Rick Bass, c'est qu'il laisse maturer l'expérience avant de la coucher sur papier. Comme il le dit à la fin du livre, cette fameuse histoire à raconter, il a finalement mis plusieurs années avant d'en trouver quelque chose à dire. Il n'est pas évident de se détacher d'un quotidien répétitif, basique pour livrer une expérience enrichissante, universelle, propre à intéresser le plus grand nombre. Fromm attend donc, devient ranger et rédige des nouvelles. Indian Creek prendra d'abord la forme de cinq épisodes commandés avant de devenir le récit que voilà. Cette forme narrative favorise les mouvements temporels et les aspects réflexifs. Et d'un coup, ces mois aux côtés de Pete Fromm sont passionnants et émouvants, se lisent comme une véritable aventure à la Jack London. Je le conseille vivement à tous les aficionados de Nature Writing comme à ceux qui souhaitent découvrir ce genre.

 

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Indian Creek