Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

20/08/2011

Remonter l'Orénoque de Mathias Enard

J'avoue, en ce moment, je suis "un peu" sponsorisée par Actes Sud.
Non qu'ils n'aient découvert mon extraordinaire talent de critique et m'envoient des livres à chroniquer (hin hin) mais j'écoule tranquillement la masse de bouquins gratuits que j'avais choppé chez eux en service presse lors de mon passage en stage. C'est l'occasion ou jamais, j'en avais marre de les voir moisir sur mes étagères de livres non lus tandis que je louais frénétiquement en biblio. Là, hop, on abat les stocks et je verrai bien ce que j'en fais ensuite selon appréciation.

Et puis je viens d'avoir une fulgurante prise de conscience suite au tri de mes chroniques litt. : Mon univers de lecture, c'est un peu une pub en prose pour le Xanax.  Genre mort, deuil, suicide, absence de communication, solitude, tralala. J'ai de la chance que vous m'aimez bien quand même !

Ceci étant dit, voilà donc mon dernier bouquin pas drôle en date (On change pas une affaire qui roule) (pas plus d'un cacheton toutes les 6h, le Xanax hein) :

 

 


Remonter l'Orénoque de Mathias Enard, Actes Sud, 2005

 

Canicule de 2003, deux chirurgiens et une infirmière forme un triangle amoureux au bord de l'étouffement, engoncé dans un quotidien morbide et un mal-être existentiel. (Bon ok, un demi cacheton de Xanax en rab, pas plus)

Ignacio, la cinquantaine timide et rongée par la passion aime Joana, jeune et trop dévouée infirmière qui aime Youri, le fringant chirurgien plus jeune, plus beau, plus riche q'Ignacio et surtout beaucoup plus dépressif, noyé en permanence dans l'alcool . 
Las de ce quotidien en déliquescence, Joana entreprend un voyage initiatique lovée dans la cale d'un cargo et remonte l'Orénoque, ce fleuve sud-américain qui s'étire vers elle et la dépouille peu à peu. Elle s'y allonge en caressant son ventre et attend d'y retrouver un sens et son origine. 
Tandis que Paris rumine toujours la chaleur et les vapeurs d'alcools, que Youri se débat dans la vacuité, qu'Ignacio se consume d'un amour sans partage et que tous deux opèrent à la chaîne.

De cette situation vaudevillesque à se tirer une balle, le deuxième roman de Mathias Enard est, comme le premier (La perfection du tir, Actes Sud, 2003), une perle littéraire. Tout se passe dans le travail d'une langue habitée de flottements, de débordements, de mystères et de connivence où les personnages se débattent ou se noient. Où l'Orénoque se dessine comme un Achéron mythique et embarque le lecteur au côté de Joana pour le grand voyage.

J'avoue que, présenté comme ça, ce n'est pas des plus engageant, surtout lorsque l'été appelle des lectures rafraîchissantes. Mais VRAIMENT, c'est un très bon livre. Décidément, ce petit Mathias Enard en a sous la plume. Dommage qu'il se soit planté grossièrement dans son dernier ouvrage, fresque plate et insipide d'un Michel-Ange à Constantinople (Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants, Actes Sud, 2010). Vivement le prochain, avec des vrais morceaux de style dedans comme il sait si bien faire !

(Promis, le prochain coup, j'essaye de trouver un livre rafraîchissant)

 

*

 

Incipit :

 

"Assis sur ma chaise, je pensais il a raison, ce que l'on attend à présent des corps c'est la putréfaction en silence, l'oubli, et de l'âme la survie sr les rôles et les registres, les certificats et les papiers, les marbres, les images. L'embaumement n'est plus de mise, les cadavres doivent disparaître, ils sont confiés à des professionnels chargés de les dissimuler, responsables de leur entrepôt, de leur manutention, de leur stockage, de ler destruction dans la terre ou les flammes - entiers ou morcelés, jeunes accidentés ou vieux rongés de maladies il convient de les cacher ; plus de dépouilles charriées par le vent, les yeux cavés, la barbe pelée ; de cercueils ouverts, de morts à ciel ouvert, le regard fermé dans leur plus beau veston, leur robe noire, il n'y en a plus ; à présent enveloppés de chêne ou de sapin, éloignés sitôt l'agonie du regard des vivants, ils sont portés, poussés en hâte vers les coulisses, vers le sous-sol ù l'on ne les croisera pas, vidés et lavés, évacués du monde qui n'aime plus les voir, ennuyé de ne savoir qu'en penser, se rassurant de photographies, de témoignages digitaux ou celluloïd, autant de défunts immatériels que l'heure éloigne de la chair et pousse vers l'armée de spectres dont nous emplissons nos armoires."