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03/10/2016

Le chat noir d'Edgar Allan Poe

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Le chat noir d'Edgar Allan Poe dans Nouvelles histoires extraordinaires, 1843

Livre audio en ligne

 

Piocher dans la littérature fantastique aussitôt octobre arrivé est devenu une tradition dans mes pénates, par plaisir d'accompagner l'automne, les nuits qui tombent fraîchement, le vent et la pluie de quelques frissons littéraires : c'est tout de suite beaucoup plus drôle. Pour une fois, je raccroche mon accointance personnelle au challenge Halloween de Lou et Hilde parce que plus on est de fous, plus on rit et parce que les rendez-vous qu'elles proposent cette année sont franchement savoureux. Je ne pouvais pas résister au premier d'entre eux, amour félin oblige : celui du mystérieux chat noir. 

Je ne suis pas allée chercher loin : j'ai lancé le livre audio gratuit en ligne de la nouvelle d'Edgar Allan Poe (joie des livres audio gratuits !) qui s'intègre normalement au sein de Nouvelles histoires extraordinaires. Point de dépaysement à l'écoute des premières pages de la nouvelle : nous nous trouvons plongés dans le récit à la première personne d'un être qui ne sait trop s'il rêve, s'il est fou ou si quelque chose de pas très catholique rôde bel et bien autour de lui. En somme, on sent le narrateur pas frais du neurone. Pas de doute : on a bien mis les pieds dans une nouvelle fantastique du dix-neuvième siècle, classique à souhait - dont les ficelles marchent décidément toujours pour qui aime ce genre. Et cela ne se démentira pas par la suite : usage d'un vocabulaire volontairement hyperbolique et emprunté au démoniaque pour marquer la descente progressive du narrateur dans les limbes jusqu'à l'apothéose finale et donner avec saveur l'allure d'un surnaturel de maison hantée. 

Dans cette nouvelle, Poe entretient une ambivalence assez intelligente entre le narrateur et l'objet de sa folie qui donne au propos un caractère universel et révèle au lecteur toute la monstruosité de la nature humaine. 
Le chat noir, chez Poe n'est pas tant métaphore que catalyseur de la folie inhérente à tout homme : cette capacité que nous avons tous de glisser doucement vers le démoniaque, le vil, l'honteux, quelle qu'en soit la raison. On ne doute pas tellement, dans Le chat noir, de la folie du narrateur tant elle est flagrante, accentuée par l'alcool. Ce qui devient par contre glaçant à la longue, ce qui gifle bientôt le lecteur, c'est de s'apercevoir que cet être si détestable pourrait être au fond n'importe qui. N'était-il pas un homme aimable et délicat avant de glisser dans la boisson ? C'est une leçon pour tous, une alerte à la face de la nature humaine. 
Dans ces conditions, bien sûr, le chat noir devient insupportable à notre narrateur aviné : il ne le supporte plus, il doit disparaître. Quelle pire horreur que de contempler sa propre déchéance ? 
Et tandis que le corps de la nouvelle met en garde l'homme contre son penchant monstrueux, la fin lui renvoie au visage la tentation suprême de l'orgueil, comme s'il n'était pas suffisant de se complaire dans l'opprobre : il fallait aussi en être fier. 

Finalement, Poe donne à l'animal sa juste place dans cette nouvelle et peut-être, malheureusement aussi, sa juste place à l'homme. 

PS : Au vu de la thématique du jour, je ne peux pas m'empêcher de conclure avec un clin d'oeil à ma vieille chatte noire, dite affectueusement le vieux slip. Antédiluvienne certes, mais toujours de fort belle prestance. 

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Challenge Halloween 2016.jpgChallenge Halloween 2016 chez Lou et Hilde

Rendez-vous autour du chat noir 

08/08/2016

En attendant Bojangles d'Olivier Bourdeaut

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En attendant Bojangles d'Olivier Bourdeaut, Finitude, 2016, 159p.

 

"Certains ne deviennent jamais fous... Leurs vies doivent être bien ennuyeuses." Ainsi parlait Charles Bukowski qui n'était pas loin d'avoir raison si l'on s'en tient à la vie superfétatoire du trio familial que voilà : un jeune narrateur et ses parents totalement hallucinés, pour qui la vie n'est que fêtes grandioses, cocktails et danses au son de "Mr. Bojangles" sans jamais travailler ni ouvrir le courrier. Au diable les conventions quand on peut affubler l'être aimé d'un prénom différent chaque jour ou apprendre les mathématiques dans son bain ! C'est indéniablement la mère, le point névralgique de cette folie familiale, toujours pleine d'idées saugrenues, mais le père ne se fait pas tellement prier non plus, lorsqu'il raconte comment il chassait les mouches au harpon. Et pourquoi pas acheter un château en Espagne, tant qu'on y est ? Parce qu'il n'existe rien de tel que des métaphores ou des expressions. Que nenni ! Tout cela est fait pour devenir réalité ! En attendant Bojangles est fait ainsi : d'une folie glissante, dont on sent dès le départ qu'elle emballe, puis qu'elle s'emballe et l'on ne sait plus trop si ce sont les personnages qui la crée ou si c'est elle qui les mène par le bout du museau.

En attendant Bojangles a la saveur d'un petit bonbon sucré qu'on suçote avec le sourire. La voix du narrateur, pleine de la clairvoyance ignorée de l'enfance, est joliment agréable et l'on s'amuse fréquemment de trouvailles imagées qui font mouche. On sourit, on se dit que c'est bien vu, bien senti, même émouvant. La voix du père, en contre-point n'est pas en reste, et l'on comprend très vite qu'il n'est pas si fou, finalement. Il a la folie amoureuse, une sorte de folie compatissante et moelleuse pour aimer cette femme qui ne sait pas faire autrement que de vivre dans un rêve en tourbillon. Depuis toujours il sait que le tourbillon l'emportera. Il a la folie du sursis : que chaque jour soit un jour de gagné. 
Mais peut-être parce que je connaissais déjà l'histoire de A à Z à force de blogs, peut-être parce qu'on me l'a vendu comme un chef d’œuvre d'émotions et de poésie (?), je n'ai pas décollé de mon bonbon sucré, qui a fini par me coller un poil aux dents, pour y trouver la saveur inégalée d'un mets de grand chef étoilé. C'est charmant et pas mal du tout mais ce n'est pas non plus à se pâmer. L'évolution est très attendue, tout de même, et tout le récit tient essentiellement à une certaine folie des grandeurs dans ses réalisations quotidiennes. On est jamais très loin de tomber dans le cliché, même si ce n'est certes pas celui du pathos - plutôt celui du fantasme - et ça ne s'arrange pas, dès lors que la folie devient pathologique. A partir de là, les ficelles frisent carrément le ridicule pas totalement assumé. Et puis, on m'avait parlé de poésie, de musicalité du style. Alors là, je n'ai pas compris du tout. Il y a un ton original, c'est certain mais de là à parler de poésie, c'est peut-être un peu trop s'emballer.

Alors voilà, j'ai refermé En attendant Bojangles mi figue mi-raisin, partagée entre le sentiment d'une lecture de vacances sympathique et la déception d'une attente décoiffante pas du tout comblée. J'ai même réussi à trouver les 159 pages un peu longues : ça résume à peu près tout.

 

16/02/2012

Du suicide de Léon Tolstoï

[Les inscriptions pour le swap du printemps, c'est par ici. N'hésitez pas!]


Voilà, je vous avais prévenu : On est dans du macabre de haut vol avec le livre que j'ai demandé à Babelio pour les Masses Critiques. Avec un titre pareil, j'ai du être la seule à le demander d'ailleurs... Je sais, je sais, j'ai des goûts littéraires douteux. Bref. Heureusement que la célébrité de l'auteur me sauve un peu la mise, je peux toujours arguer que c'est pour parfaire ma culture le concernant que je me suis lancée là-dedans. Lalala...

 

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Du suicide de Léon Tolstoï, ed. de l'Herne, 2012, 65p.

 

Rédigé peu de temps avant sa mort en 1910, cet essai inachevé sera le dernier écrit de Tolstoï. Le point de départ en est le courrier qu'il reçoit abondamment - des confidences de lecteurs qui envisagent de se suicider - à partir duquel il organise une analyse pour tenter de comprendre l'extrêmité d'un tel acte. Et très rapidement, Tolstoï relie l'être à la société dans laquelle il évolue. Il ne saurait être question de restreindre le penchant suicidaire à un problème purement personnel, surtout lorsqu'il y en a des recrudescences alarmantes en un même temps et au sein d'une même société. L'environnement dans lequel évolue l'être l'influence, le conditionne, le formate, le met à mal. Et Tolstoï de donner alors libre court à son profond désaccord avec la politique de son pays, et avec l'Eglise, instrument de contrition et d'asservissement. Tolstoï prône, à travers ce réquisitoire acerbe, une spiritualité incarnée, vivante et intelligente et une société non-violente - un discours, me semble-t-il, résolument en avance sur son époque.

En bref, un petit essai tout à fait intéressant et original - loin d'être ce que à quoi je m'attendais. Peu d'évocation de la mort et du suicide à proprement parlé dans ces pages, bien plutôt une prise de distance, un portrait global d'une situation qui ne se restreint pas à la Russie du début de siècle.

 

 

 

suicide,folie,société,tolstoïUn grand merci aux éditions de l'Herne et à Babelio pour cet ouvrage reçu pour la première Masse Critique de l'année !