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13/12/2011

Vie de Joseph Roulin de Pierre Michon

Il n'y a pas que des culs terreux, des vaches et du néant dans la Creuse, je vous jure. Il y aussi des artistes de talents et un silence propice à la paix et à la création fébrile. En l'occurrence, il y a Pierre Michon, écrivain génial de Vies Minuscules et Rimbaud le fils, dont Les Onze a reçu le Grand Prix du roman de l'Académie Française en 2009 et dont l'oeuvre est étudiée à l'université.*

 

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Vie de Joseph Roulin de Pierre Michon, ed. Verdier, 1988, 67p.

 

Ce Joseph Roulin, illustre inconnu, était modeste employé des postes à Arles puis à Marseille à la fin du XIXe. Il était cet homme d'âge mûr, porté sur la boisson et fervent républicain que Van Gogh devait peindre plusieurs fois ainsi que sa femme Augustine et ses trois enfants. Tous, ces petites gens, ont été les témoins d'un des plus grands peintres du XIXe, de son quotidien, de ses motifs ; en somme témoins de l'Histoire, n'ayant pourtant pas de voix dans tout cela.

Ce qu'il y a chez Michon, c'est ce talent de la digression et de la phrase poétique qui vole. Chaque fois que je le lis, il me semble qu'il est peintre. Car, au fond, il ne raconte pas, il tatonne, il pose une touche puis une autre jusqu'à former des rubans de phrases tournicotés à la lumière ; chacune de ses touches, exactement, a sa raison d'être là. Le verbe est précis et tendre jusqu'à élever de modestes figures en mythes étonnants - archétypes d'une vie mystérieuse.

Il faut aimer la langue indéniablement. Si tel est le cas, alors s'assoir confortablement, prendre le temps qu'il faut et boire les mots de Michon avec un extatique recueillement.
Je relisais une interview qu'il a donné au Matricule des Anges à la sortie de l'ouvrage où il dit :


"Ecrire, ce n'est pas aller vraiment vers quelque chose de toujours plus enfoui, c'est danser autour, c'est chanter autour, mais chaque fois sans doute, cette chose que l'on cherche, on la creuse un peu plus..."


Alors, tout simplement, il suffit de le laisser nous faire danser.

 

 

*

 

Incipit :

 

"L'un fut nommé là par la Compagnie des postes, arbitrairement ou selon ses voeux ; l'autre y vint parce qu'il avait lu des livres ; parce que c'était le Sud où il croyait que l'argent était moins rare, les femmes plus clémentes et les ciels excessifs, japonais. Parce qu'il fuyait. Des hasard les jetèrent dans la ville d'Arles, en 1888. Ces deux hommes si dissemblables se plurent ; en tout cas l'apparence de l'un, l'aîné, plus assez à l'autre pour la peignît quatre ou cinq fois : on croit donc connaître les traits qu'il avait cette année-là, à quarante-sept ans, comme on connaît ceux de Louis XIV dans tous ses âges ou ceux d'Innocent X en 1650 ; et sur ses portraits en effet, il reste couvert comme un roi, il est assis comme un pape, cela suffit."

 

 

 

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Portrait de Joseph Roulin, Van Gogh

 

 

*Ah, puis il y a moi aussi dans la Creuse, mais bon, ça c'est une autre histoire.