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01/09/2011

Nelly Sachs : l'Etoile dans la nuit

Il y a des écrivains que l'Histoire fait passer à la trappe ; et quand il s'agit de poètes, on en parle même pas.

Qu'à cela ne tienne ! Aujourd'hui, un petit billet sur Nelly Sachs.

 

 

Née à Berlin en 1891, elle est issue d'une famille de la petite bourgeoisie juive. Bonne élève, instable psychologiquement, elle écrit très tôt de la poésie et ne se mariera jamais, inséparable de sa mère bien-aimée. Elles fuient toutes deux l'Allemagne en 1940 et se réfugient en Suède grâce au soutien de Selma Lagerlöf (prix Nobel de littérature 1909) avec qui Nelly Sachs entretenait une correspondance. Elle y résidera jusqu'à sa mort solitaire en 1970. 
 

Nelly Sachs tardera à trouver sa voie poétique. Ce n'est qu'à une cinquantaine d'années avec la rencontre du judaïsme hassidique (branche mystique et joyeuse où la danse et le chant sont célébration du divin) qu'elle va déployer une langue exaltée, à la fois emprunte de mort, de poussière, de la fumée des camps et lumineuse, légère, extraordinairement habitée. Une intimité torturée entre une foi vivante et la nostalgie de mourir. Une étoile brûlante suspendue dans le chaos du monde.

Elle a entretenu longtemps une correspondance avec Paul Celan avec qui elle a eu en commun d'exprimer par une poésie profondément sacrée qu'il était encore possible de créer et de croire après la seconde guerre mondiale. Elle décèdera le jour de l'enterrement de cet ami suicidé.

Reconnue par ses pairs dans les vingt dernières années de sa vie, elle recevra le Prix Nobel de Littérature en 1966

 

J'ai terminé il y a quelque temps Lettres en provenance de la nuit. J'ai été tout simplement bouleversée par cet hymne à la mère où le manque déchirant se déroule sur chaque page et où les mots tentent de révéler encore l'éclat de la vie.

 

Je ne préfère rien vous dire de technique sur cette poésie. D'une part parce que je ne m'en sens pas capable, d'autre part parce que je n'en ai pas envie. Il est vrai, on pourrait y passer des heures à disséquer la moindre métaphore. En l'occurence, cela me paraît totalement inutile. La poésie de Nelly Sachs est faite pour être vécue et ressentie par qui la lit, non disséquer sous le microscope universitaire. Il faut simplement la lire dans le songe pénétrant d'une nuit, au calme, l'esprit grand ouvert au silence. Tout est là.

 

*

 

 

Tandis que
     sous ton pied
     naissait la constellation de l’Exode aux ailes de poussière,
     une main jeta du feu dans ta bouche.

 

     Ô parole d’amour enclose
     ô toi soleil embrasé
     dans la roue de la nuit –

 

     Ô mon soleil
     sur le tour je te façonne : tu pénètres
     les oubliettes de mon amour où meurent les étoiles,
     l’asile de mon souffle,
     cohorte de suicidés silencieuse entre toutes.

 

     Érode ma lumière
     avec le sel des fuites océanes sans refuge –
     et des paysages de l’âme en leur éclosion
     rapporte le message du vent.

 

     Les lèvres contre la pierre de la prière
     toute ma vie j’embrasserai la mort,
     jusqu’à ce que le chant de la semence d’or
     brise le roc de la séparation.


 

Extrait de Exode et métamorphose, Verdier, 2002, 176p.
 

 

*
 

 

Entre nous, quel silence parlant, bienheureuse âme bien-aimée de ma mère. Quel silence parlant. 

 

Tout est balayé sauf notre destination. La mort est le dissipateur du superflu. Souffle, sang, chair, ossements, cervelle, dents, yeux, viscères - consumés- reste le "silence parlant", la "nostalgie". Ô mort, qui paies pour affranchir la nostalgie. Ô mort, qui accouches les âmes. Ô âme, enveloppe de la nostalgie apaisée. Apaisée dans l'éternité. 

 

Nostalgie, combien de constellations ont langui de tes voiles de premier-né ; combien d'yeux de chevreuil, combien de violettes pour les mains des amants. Bienheureuse âme bien-aimée de ma mère, apaisée, après tant de marques d'amour!

 

Ta souriante bénédiction sur ma tête. La mienne baissait, baissait, et la tienne montait, montait. Dans la nostalgie apaisée elle montait. 

 

A présent je fais partie des suivants. Sans plus. Qui doivent suivre à travers sel, plongés dans l'eau précréatrice du deuil. Nul ne sait si les étoiles de mer, les méduses et les poissons et tout ce qui souffre dans l'aveugle, n'en sont encore qu'à aller ou sont déjà sur le chemin du retour. 

 

Extrait de Lettres en provenance de la nuit, Allia, 2010, 86p.

 

*