03/12/2018
Rendez-vous poétique avec René Char et Zao Wou-Ki
A la fin des années 70, René Char rédige les poèmes en prose d'Effilage du sac de jute qui intégreront le recueil Fenêtres dormantes et porte sur le toit paru en 1979. A cette époque, il entretient depuis plusieurs années une amitié avec le peintre Zao Wou-Ki. Le 8 avril 1980, ainsi qu'en atteste la correspondance en fin d'ouvrage, René Char propose à Zao Wou-Ki d'enluminer l'un de ses manuscrits. Parmi les propositions du poète, ce sont les poèmes publiés dans le présent recueil qui ont l'heur du peintre.
L'un comme l'autre nourrissent depuis longtemps un dialogue entre les arts : René Char avec George Braque, Nicolas de Staël, Joan Miró ou Vieira da Silva ; Zao Wou-Ki avec Henri Michaux ou Yves Bonnefoy. La circulation de l'expression ne connait pas de frontière artistique. Il n'est pas question pour l'un d'illustrer ou de mettre en mots la création de l'autre. Ils se répondent, créent des ponts et des échos, révèlent quelque facette, soulèvent un pan du rideau et font toute la lumière.
Ainsi se crée un espace de rencontre et de clarté où s'épanouissent les correspondances infinies.
Plus je lis René Char (et ça ne va pas en s'arrangeant à mesure des années), plus je sens vibrer chez lui cette liberté rimbaldienne, mélange d'exigence, de sensualité, d'enthousiasme et de lucidité. Il y a une véritable jouissance du mot qui craque comme un pépin de grenade sous la langue. L'essentiel est crypté. Il faut fouiller corps et esprit dans les mailles du verbe pour s'abreuver de son eau claire. Zao Wou-Ki y déploie les nuances du mouvement. Chez lui, les contraires n'ont plus cours. Ce qui semble fragilité n'est que puissance subtile, et la pâleur des roses, des verts, des bleus, est l'expression ténue du mystère de l'être. On serait tenté d'être désinvolte face aux aquarelles de Zao Wou-Ki, qui nous a longtemps habitués à la peinture à l'huile, or l'éclat du chaos y danse ardemment. L'un et l'autre, René Char et Zao Wou-Ki, avancent masqués, humbles, souriants mais ils sont la vague, toute la beauté du monde.
Bel Avent poétique à tous*
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Azurite
Nous aurons passé le plus clair de notre rivage à nous nier puis à nous donner comme sûrs. Une hécatombe n'est aux yeux de la nuée humaine qu'un os mal dénudé et tôt enfoui. Destin ganglionnaire à travers l'épanchement des techniques, qui paraît, tel le cuivre au contact de l'air, vert-de-grisé. Quelques météores réussissent à percer la barrière, parlant de court au bec jaunet d'un oisillon de feu qui pleurait à son ombre, quand tombait le marteau du roi chaudronnier.
Récit écourté
Tout ce qui illuminait à l'intérieur de nous gisait maintenant à nos pieds. Hors d'usage. L'intelligence que nous recevons du monde matériel, avec les multiples formes au dehors nous comblant de bienfaits, se détournait de nos besoins. Le miroir avait brisé tous ses sujets. On ne frète pas le vent ni ne descend le cours de la tempête.
Ne grandit pas la peur , n'augmente pas le courage. Nous allons derechef répéter le projet suivant jusqu’à la réalité du retour qui délivrera un nouveau départ de concert. Enserre de ta main le poignet de la main qui te tend le plus énigmatique des cadeaux; une riante flamme levée, éprise de sa souche au point de s'en séparer.
La poudrière des siècles
Sur une terre d'étrangleurs, nous n'utilisons, nous, que des bâtons sifflants. Notre gain de jeu, on sait, est irrationnel. Quel souffleur pour nous aider ? Par le bec d'une huppe coléreuse, nous entendons la montagne se plaindre du soi-disant abandon où nous la laisserions. c'est mensonge. Les nuages en archipel précipité, ne sont pas affilés par nos tournures sombres mais bien par notre amour. Nous rions. Nous divaguons. Une miette frileuse tombe de ma poche et trouve à l'instant preneur. On ne pend personne aujourd'hui.
Dans une enclave inachevée
Tout l'art sur l'épaule chargé,
Creuse son trou le soleil.
Est épongé le peu de sang.
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