Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

12/09/2017

Tout sera oublié de Mathias Enard et Pierre Marquès

Tout sera oublié.jpg
Tout sera oublié de Mathias Enard et Pierre Marquès, Actes Sud BD, 2013, 137p. 

 

coup de coeur.jpgAprès que Serbes, Croates et Bosniaques eurent détruit leurs peuples et leurs paysages dans une guerre fratricide, on demande à un artiste contemporain de concevoir un monument commémoratif qui ne serait d'aucun peuple en particulier ; qui devrait seulement rappeler le souvenir et les souffrances de la guerre. Un monument, donc,  qui ne met en lumière ni une idée grandiose ni des êtres disparus : seulement une douleur qu'il faudrait dépasser, pour ne plus qu'elle se reproduise. L'artiste peine dans cette entreprise, sillonne plusieurs villes, se perd, fait des essais mais tout semble dérisoire face à des événements indicibles. 

Un sujet éminemment difficile que celui de l'après-guerre, l'idée d'une reconstruction sur les ruines physiques mais surtout morales d'une guerre intestine et, par là, doublement sanglante. Mathias Enard lui donne les mots justes à travers le regard d'un artiste désemparé, à la fois trop éloigné d'une certaine réalité quotidienne de l'après-guerre et en même temps terriblement concerné, marqué. L'entreprise artistique semble dérisoire et, pourtant, c'est précisément l'enjeu nécessaire : se rappeler et continuer quand même. Ces textes courts, percutants, offrent une poésie cinglante et subtile. Je n'avais pas lu Enard depuis un moment et j'ai ici retrouvé tout ce que j'aime chez lui, ce mélange d'audace et de tendresse. Je découvrais par contre Pierre Marquès et j'ai franchement été éblouie par ses photographies gouachées qui suintent la mélancolie, la solitude, le questionnement, la sidération et, étonnamment parfois, l'envie de vivre sous les décombres des êtres et des paysages. L'un et l'autre artistes ne pouvaient pas mieux se trouver tant leur travail commun se répond brillamment et exprime une force et un talent rares. Chapeau bas ! 

Tout sera oublié 1.jpg

Tout sera oublié 2.jpg

01/12/2011

Le philosophe et le loup de Mark Rowlands

 

1078404-gf.jpg

Le Philosophe et le loup de Mark Rowlands, ed. Belfond, 2010, 283p.

 

Jeune professeur de philosophie à l'université d'Alabama, Mark Rowlands adopte un louveteau sur un coup de tête (j'ai découvert par là qu'il était légal, du moins aux USA, d'adopter un loup, tant qu'il ne l'est qu'à 96% - comme si ça changeait fondamentalement la donne, aha). Il le prénomme Brenin, le roi en gallois.

Sa vie en est radicalement changée. Au quotidien tout d'abord, puisqu'il est tout à fait impossible de laisser Brenin seul à la maison ; son côté destructeur s'en donnerait trop à coeur joie. Il le traine donc partout, y compris en cours (un loup philosophe, n'est-ce-pas la classe?!). Et cette cohabitation sera l'occasion d'un nouvel apprentissage de la vie à travers une réévaluation de l'homme et de son rapport au monde.

Toutes les grandes questions y passent : l'amour, la mort, le bonheur, notre prétendue intelligence de singe... et il semble qu'il s'agisse d'un procès en bonne et due forme du genre humain, à travers le regard d'un misanthrope. Un brin misanthrope, il l'est certes, et ne s'en cache pas. A-t-il tort dans ses propos ? Force est de constater que non la plupart du temps, même si on pourrait souhaiter un ton moins péremptoire. L'homme a parfois grand besoin d'être remis à sa place.
Au fond, l'ouvrage est à prendre comme une réflexion anthropologique où le loup apparaît comme l'emblême d'une véritable liberté à reconquérir pour vivre l'instant présent. Une belle leçon à méditer.

 

*

 

Extrait :

 

"Le loup est la représentation traditionnelle - et injuste - de la face obscure de l'humanité. Choix ironique à bien des égards, ne serait-ce que du point de vue de l'origine du mot, puisque lukos, le terme grec, est très proche de leukos, la lumière, si bien que les deux termes ont souvent été associés. Outre l'éventualité de simples erreurs de traduction, ce rapprochement pourrait aussi résulter d'un lien étymologique plus intime. Apollon était révéré à la fois en tant que dieu du soleil et dieu des loups. Et c'est précisément ce rapport entre le loup et la lumière qui importe ici : pensez le loup comme une clairière dans la forêt. Il fait parfois si sombre au fond des bois qu'on ne distingue plus les arbres, et la clairière représente l'espace propice à la découverte de ce qui est dissimulé. J'aimerais essayer de démontrer que le loup figure la clairière de l'âme humaine. Il dévoile le sens caché des fables que nous contons à notre propre sujet, ce qu'elles révèlent sans l'exprimer.

Nous nous tenons dans l'ombre du loup. La production d'une ombre peut s'envisager de deux façons : du point de vue de l'objet qui occulte la lumière, tel un homme ; où du point de vue de la source lumineuse qui rencontre un obstacle, telle une flamme. Ainsi parle-t-on de l'ombre d'un homme et de celle d'une flamme. Par l'ombre du loup, je n'entends pas celle du corps de l'animal, mais les ombres qui se forment lorsque nous sommes exposés à la "lumière" du loup. Et là, parmi ces ombres, on tombe nez à nez avec ce qu'on préfèrerait justement ne pas savoir sur soi."

 

 

MarkRowlands.jpg

Mark Rowlands et Brenin