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30/06/2014

Le Fils de Judith de Marie Cosnay

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Le Fils de Judith de Marie Cosnay, Cheyne éditeur, 2014, 89p.

 

Marie Cosnay.jpgHelen s'en est allée, longtemps. Elle a fuit son père d'adoption, le vieux Quentin, et la ville où elle a grandi. "Je choyais tout ce qui me préparait à la mort", dit-elle (p. 11). La vie, dès les premières pages de ce récit poétique, est une spirale immense et pénétrante. Après s'être longtemps écartée du centre, il est temps d'y revenir. L'appel est aussi énigmatique qu'impérieux. Aussi, revoilà Helen devant la maison du vieux Quentin dont la bibliothèque a brûlée jadis. Peu de mots, des enjambées démesurées qui mènent à la tombe du frère inconnu où Helen fut découverte. "Mon fils Eugen aurait l'âge d'être ton père." (p. 15). Quentin part en laissant une enveloppe et Helen saute dans un train pour Hambourg. C'est le début de bien des trains à la recherche, semble-t-il fortuite, d'Eugen : le frère, le père, le génie, le disparu toujours proche. De gare en gare, souvent vides, Helen croise des personnalités hallucinées, qui ne parlent qu'à demi-mot, pour la guider vers elle-même.

Ne cherchez pas vraiment d'histoire, il n'y en a pas ou si peu - pour filer la métaphore. De voyage il est bel et bien question pour mieux l'éclater, et comme tout est cercle, les éléments s'enchaînent éparses pour recomposer ce mouvement centripète. Tout se mêle dans ce récit émouvant, tortueux et exigeant. En un mot : poétique. Il y a bien la trame du retour chez soi mais subvertit car l'ancrage n'existe pas : ce que l'on retrouve, c'est l'immensité, la permanence des dissolutions. Il y a cette ascendance qu'Helen cherche désespérément mais qui n'est déjà plus là lorsqu'il s'agit de la toucher du doigt.
Les éléments sont lacunaires ; le puzzle est plein d'interstices que la langue vient remplir. Puisque les questions sont autant d'ombres projetées, la langue virtuose - rien de moins - de Marie Cosnay gratte la lumière, trace un violent trait noir, dépouille ou ensevelit. Tout est dans la langue qui tantôt maintient l'équilibre, tantôt précipite dans la lucidité ou l'abandon.

Ce court récit s'offre plein de beauté aux yeux amoureux des mots, aux esprits poètes et aux âmes errantes. Un style, un parti pris, qui ne plairont sans doute pas à tous en ce qu'ils appellent un lecteur actif et passionné. Pour ces derniers, le dernier opus de Marie Cosnay est un sacré petit bijou.

Spéciale dédicace à ma Charline douce : j'ai bien pensé à toi en lisant ce texte qui devrait te ravir !

 

Merci à Cheyne éditeur et à Babelio pour ce livre reçu à l'occasion des dernières Masses Critiques.

 

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Il aurait fallu arracher un à un les poils du corps et les poils des châles sombres desquels les femmes s'enveloppent. On restait là, agonisant et languide, avec la soif devant une fontaine imaginée. Eugen ne connaissait pas le plaisir. 

Des choses bleutées sous une lune de début d'été - des choses bleutées comme des corps. Entre les choses il n'y a pas d'espace mais cette odeur, retrouvée dans les montagnes, passée et mûre, composée de toutes pièces depuis les bains amniotiques, les talcs et les pays changeants. Les steppes et les moisissures subtiles ramassées.

 

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24/06/2014

Des bleus à l'amour de Hanif Kureishi

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Des bleus à l'amour de Hanif Kureishi, 10/18, 2013 [1998], 316p.

 

J'ai connu Hanif Kureishi grâce aux Carnets de Route de François Busnel qui nous emmenait tout récemment en Grande-Bretagne. Lors d'un numéro consacré à Londres, je découvrais donc cet écrivain de mère anglaise et de père pakistanais dont l'univers littéraire explore, entre autres, les problématiques de l'immigration et de la sexualité.

Le recueil de dix nouvelles Des bleus à l'amour s'inscrit effectivement dans cette ligne. De tailles et de tons totalement différents, elles cristallisent une époque - le Londres des années 80-90's - et la diversité des êtres qui s'y croisent, avec le point commun d'un désœuvrement tantôt amer tantôt jouissif. Ces nouvelles apparaissent comme des petites aventures du quotidien, qu'elles soient d'un réalisme plutôt troublant ou, comme le dit la 4eme de couverture, des "apologues mystérieux". Dans cette rubrique, j'ai souri de son imagination complètement surréaliste en lisant "Le conte de l'étron" (rien que le titre, n'est-ce pas).

Très sincèrement, je n'ai pas goûté avec le même plaisir à toutes les nouvelles. Celles qui font la part belle à cette génération de bourgeois désenchantés, "obligés" d'user de substances diverses ou de sexe pour s'étourdir ne m'ont absolument pas parlé. Je n'ai aucune empathie pour ce type de personnalités que je méprise bien cordialement ; inutile donc de dire que la littérature qui les place en héros - ou devrais-je dire en anti-héros - me passe royalement au-dessus également. Ces nouvelles-là sont pour moi d'un total inintérêt (la première, par exemple, qui donne son titre à l'ouvrage). Pour exprimer une certaine vacuité du monde contemporain, j'ai préféré le ton de nouvelles plus débridées, plus hallucinées telles que "Le conte de l'étron" ou "Les mouches".

J'ai plus apprécié celles qui explorent la société des immigrés et invitent à réfléchir sur la tolérance et les différentes dérives d'un racisme qui n'est jamais unilatéral : Ainsi, dans "Nous ne sommes pas des juifs", fortement autobiographique, un jeune garçon métisse comme Kureishi et sa mère anglaise se font insulter dans un bus en des termes plus que racistes. A quoi réplique la mère "au moins, nous ne sommes pas des juifs!". Dans cette phrase se tient toute la complexité d'un racisme protéiforme. "Mon fils le fanatique" dévoile la dérive d'un père pakistanais, chauffeur de taxi et intégré à la société anglaise, qui voit son fils s'embarquer dans l'Islam le plus radical. Encore une fois, dans le contexte contemporain où cette question est lourde de sens, la nouvelle suscite la réflexion.

En somme, une lecture très en dents de scie, parfois très intéressée, parfois très dépitée. Je ne suis pas persuadée de retenter Kureishi ou alors il faudra que je choisisse avec précaution le prochain titre pour m'assurer qu'il ne verse pas dans cette veine bret-easton-ellissienne sauce anglaise qui me hérisse le poil en un quart de seconde.

 

Logo mois anglais4.jpg3eme participation au mois de la nouvelle chez Flo

et 5eme participation au Mois Anglais chez Lou, Titine et Cryssilda

22/06/2014

Prodigieuses créatures de Tracy Chevalier

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Prodigieuses créatures de Tracy Chevalier, Folio, 2014, 419p.

 

Mary Anning.jpgAu tout début du XIXème siècle, Elizabeth Philpot et ses deux soeurs, vieilles filles comme elle, sont contraintes à l'exil dans une petite bourgade du Dorset, Lyme Regis. Si la vie calme, rurale et océanique bouleverse radicalement leurs habitudes londoniennes, Elizabeth s'épanouit dans une passion fulgurante pour les fossiles. Passion pour le moins excentrique pour l'époque et pour son sexe mais grâce à laquelle elle rencontre Mary Anning. Fille d'ébéniste et plongée depuis sa plus tendre enfance dans l'univers des fossiles, elle devient la compagne de chasse d'Elizabeth, son amie et sa rivale. Si Elizabeth se consacre aux poissons, Mary fera parmi les plus grandes découvertes paléontologiques du début du siècle et ne cessera de découvrir ichtyosaures et plésiosaures jusqu'à sa mort en 1843.

 

Il y a décidément quelque chose de délicatement suranné chez Tracy Chevalier ; une écriture classique et claire qui sait emporter et créer des univers tout en offrant le confort d'un terrain connu. En certaines périodes, c'est exactement le genre de compromis qui détend voire séduit.
En l'occurrence, il est bien agréable de se laisser glisser aux côtés de ces esprits féminins d'un autre temps qui toujours doivent composer entre des règles sociales extrêmement strictes et leurs aspirations personnelles. Le moindre défaut qui les fait s'écarter du moule préconçu les pousse irrémédiablement vers la marginalité. Le simple fait de marcher seule dans les rues de Londres apparait comme la plus grande des audaces... Que les temps ont changé et qu'il est bon de s'en rappeler ! Et puis, qu'on le veuille ou non, la femme était condamnée à l'ombre de son homologue masculin (c'était déjà le cas dans La Dame à la licorne). Il est souvent irritant de lire que toutes les précieuses découvertes de Mary Anning ont été accaparées par de fats universitaires qui étaient incapables de trouver quoi que ce soit par eux-mêmes ! Mais bien sûr, ils avaient l'instruction, la fortune et le bon sexe... Ainsi en était-il du siècle de Jane Austen dont l'esprit et la lettre sont portés avec douceur par Tracy Chevalier. Non sans une certaine lenteur et fadeur également ce qui, à mon sens, rend particulièrement bien ce qui devait être des demi-teintes d'un bord de mer automnal ou d'une petite boutique campagnarde du Dorset en 1810.

 

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Un charmant voyage en somme, qui se lit sans bouder son plaisir, et qui rappelle à quel point la condition féminine aujourd'hui vaut son pesant de cacahuètes. L'aspect historique est en outre éminemment passionnant - Mary Anning a réellement existé et ses découvertes également - même lorsqu'on ne s'intéresse que de loin aux fossiles. J'ai particulièrement apprécié les enjeux théologiques qu'a pu soulever à l'époque la théorie de l'évolution des espèces. En somme, si vous souhaitez bronzer intelligent cet été, sans pour autant embarquer un dictionnaire sur la plage, ce roman est un bon candidat pour la valise estivale.

(Illustrations : 1. Portrait de Mary Anning et de son chien Tray ; 2. Dessin d'un plésiosaure par Mary Anning)

 

 

Logo mois anglais.jpg4eme participation au mois anglais de Lou, Titine et Cryssilda

LC Tracy Chevalier avec Sylire, Purple Velvet,