10/06/2014
Waterloo Necropolis de Mary Hooper
Waterloo Necropolis de Mary Hooper, Les Grandes Personnes, 2011, 314p.
Grace, 16 ans et sa soeur Lily, d'un an son aînée mais d'une simplicité d'esprit qui en fait sa cadette, vivent dans les bas-fonds du Londres victorien. Orphelines, elles subsistent en vendant du cresson dans la rue et rentrent le soir dans leur chambre miteuse de Seven Dials. Comment en sont-elles arrivées là ? Elles se destinaient pourtant à un avenir honorable, si ce n'est prestigieux, grâce aux formations de femme de chambre et d'institutrice dispensées dans un pensionnat. Elles s'en sont pourtant enfuies et le roman s'ouvre sur Grace, fille-mère d'un bébé mort-né, sur le quai du Waterloo Necropolis. Cet express mortuaire menait alors au nouveau cimetière en bord de ville. Sans argent pour payer un enterrement correct, Grace glisse son petit paquet dans le cercueil de Suzanna Solent. C'est lors de cet épisode qu'elle rencontre deux personnes cruciales pour son avenir, sans le savoir encore : James Solent, le frère de Suzanna. Jeune avocat ému par sa peine, il lui propose de l'aider si besoin. Grace gardera toujours sa carte et n'hésitera pas à se tourner vers James. Puis les Unwin, entrepreneurs de pompes funèbres véreux. Mrs Unwin propose à Grace une place de pleureuse d'enterrement, que celle-ci décline sur l'instant, terrifiée à l'idée côtoyer la mort comme un vautour. Mais de même, la carte de ce contact se révèlera salvateur sur bien des points...
Tout comme dans La messagère de l'au-delà, Mary Hooper ne donne décidément pas dans le sujet décontracté et très abordable. Après l'infanticide et la peine de mort, il est ici question de la misère terrible des londoniens à l'époque victorienne et de la corruption malsaine qui s'étalait à tous les étages de la société. Mary Hooper n'y va pas avec le dos de la cuillère, ne ménage pas son lecteur. A tel point que, si ce roman saura séduire un public adulte indulgent à l'égard des gentillesses de l'intrigue pour apprécier la pertinence historique et la crudité de certains faits, on peut se demander ce qu'en penserait un public plus jeune. Ce n'est tout de même pas évident à 12-13 ans de se retrouver plonger in medias res dans le récit d'une jeune fille de 16 ans tout juste accouchée, miséreuse, dans un train funéraire entourée du cercueils. Et encore, le récit ne va pas en s'arrangeant sur sa première moitié. Et pourtant, malgré ces incertitudes quant à l'adhésion du public auquel le roman est destiné, je me dis qu'il est justement bon de proposer des lectures de ce type. Des lectures qui ne sont pas là pour caresser dans le sens du poil ou pour faire croire encore au prince charmant (avec ou sans crocs). Merci, très franchement, à Mary Hooper de proposer une littérature ado de qualité, bouleversante, violente mais terriblement sensible et qui fait la part belle à l'Histoire.
Car c'est peut-être bien la période victorienne la véritable protagoniste de ce titre, outre la douce et courageuse Grace et son attachante soeur. En lisant, il m'a semblé parcourir à nouveau les rues d'un roman de Dickens. Odeurs, bruits, couleurs dégagent une atmosphère fantomatique, grise et angoissante. Le brouillard plane bien souvent et le froid se fait mordant dans la chambre sans vitre ni couverture. Le carrosse vient même à passer en ville et Grace, éblouie, trouve le prince Albert si beau. Nous assistons également au deuil national qui envahit l'Angleterre après la mort du prince consort. Dans une affliction fortement invitée par la reine, le peuple s'habille de noir et plombe un peu plus l'hiver 1861.
Tout comme je l'avais déjà dit à la fin de La messagère de l'au-delà, indéniablement, on ressort un brin frustré en tant qu'adulte. On aimerait plus de consistance dans une intrigue qui s'avance cousue de fil blanc. Mais en même temps, le début du roman est si sombre ; je crois qu'il faut bien ce brin de happy end pour égayer le jeune public et ne pas le rebuter totalement. Après tout, Dickens lui-même n'a pas fait différemment dans son Oliver Twist.
Bref, encore emballée, encore un coup de coeur pour Mary Hooper, dont j'aime l'audace, la crudité sans concession et avec qui j'aime plonger dans des périodes historiques passionnantes. Foi de lectrice qui n'aime d'habitude pas la littérature jeunesse : c'est vraiment excellent !
Le cimetière de Brookwood
C'est parti pour le mois anglais de Lou, Titine et Cryssilda
1ere participation
LC Mary Hooper avec Titine, Malice, Mirontaine, Syl., Novelenn, Anne et George.
07:58 Publié dans Challenge, Coups de coeur, Histoire, Lecture commune, Littérature ado, Littérature anglophone | Lien permanent | Commentaires (28)
06/06/2014
Le joueur d'échecs de Stefan Zweig
Le joueur d'échecs de Stefan Zweig, Le livre de poche, 2013 [1942], 95p.
Tout commence "[s]ur le grand paquebot qui à minuit devait quitter New-York à destination de Buenos Aires" où "régnait le va et vient habituel du dernier moment".
Fidèle à sa tradition du récit enchâssé, Zweig nous embarque dans l'enfance et l'apprentissage d'un illustre passager : le champion international d'échecs Czentovic. D'une nature plutôt frustre et stupide, il se révèle à l'adolescence un virtuose du jeu à la surprise générale. Malgré sa renommée, il apparait vaniteux, cupide et incapable d'abstraction. Notre narrateur se révèle vivement intéressé par cette personnalité monomaniaque "car plus un esprit se limite, plus il touche par ailleurs à l'infini. Ces gens-là, qui vivent solitaires en apparence, construisent avec leurs matériaux particuliers et à la manière des termites, des mondes en raccourci d'un caractère tout à fait remarquable. Aussi déclarai-je mon intention d'observer de près ce singulier spécimen de développement intellectuel unilatéral [...]".
Mais malgré quelques tentatives et une partie d'échecs groupée face à Czentovic, c'est un autre personnage, tout aussi étonnant, que le narrateur va rencontrer et apprendre à connaître : celui capable de battre le maître. Commence alors un second récit enchâssé sous forme de confidence. L'énigmatique Dr B. raconte son expérience d'enfermement et de torture intellectuelle pratiquée par les nazis. Aucun camp de concentration ici mais une autre forme de déshumanisation. B. était enfermé dans une chambre d'hôtel "hermétiquement fermée au monde extérieur", privé de tous échappement des sens. "Je ne voyais jamais aucune figure humaine, sauf celle du gardien, qui avait ordre de ne pas m'adresser la parole et de ne répondre à aucune question. Je n'entendais jamais une voix humaine. Jour et nuit, les yeux, les oreilles, tous les sens ne trouvaient pas le moindre aliment, on restait seul, désespérément seul en face de soi-même, avec son corps et quatre ou cinq objets." L'incarcération de l'esprit, clos sur lui-même, condamné à tourner en rond, vire à un ennui terrible et suicidaire. C'est précisément ce que vise les geôliers : à force d'ennui, les prisonniers livreront quelques personnalités encore plus importantes pour échapper à cette condition. Heureusement pour lui, B. parvient à voler un livre de technique d'échecs. Son esprit peut enfin s'évader et, depuis sa chambre, il rejoue des parties illustres puis tente de jouer contre lui-même ; non sans glisser progressivement vers la folie.
Connue pour être la dernière nouvelle de l'auteur, Le joueur d'échecs est une nouvelle sombre, presque glaciale. Le pessimisme et l'angoisse de Zweig quant à l'avenir du monde m'y sont apparus palpables. Cette fin, certes ouverte mais où B. manque de retomber dans le cercle vicieux de la folie malgré son attention, n'est pas exactement une happy end, bien au contraire. Ce narrateur qui le rattrape in extremis pourrait être l'écrivain qui tente de dire pour alerter, pour empêcher la chute mais sans trop y croire et surtout terrorisé par les perspectives.
Comme l'affirme B. "c'est une histoire assez compliquée, et qui pourrait tout au plus servir d'illustration à la charmante et grandiose époque ou nous vivons". Ironie désespérée, cette nouvelle expose un des recours dont usent les états totalitaires pour déshumaniser, avilir, et détruire - détruire toujours. En un processus lent mais patient, le ver grignote le fruit. C'est sans doute cette sensation sourde d'une destruction méthodique de tout ce qui fait l'homme qui glace le plus les os.
Point besoin de beaucoup de mots pour amener à cette prise de conscience. La brièveté si caractéristique de Zweig se veut avant tout comme un électrochoc. Il ne s'agit pas tant de raconter que de dénoncer pour inviter à un soulèvement contre ce rouleau compresseur de la destruction. L'auteur lui-même n'en aura pourtant pas eu la force.
Le joueur d'échecs n'est peut-être pas la nouvelle qui m'a le plus touchée mais elle est m'a clairement invitée une nouvelle fois à une vigilance nécessaire, à un recul et à une réflexion face au monde.
Lu en lecture commune avec Charline dont je vais lire de ce pas l'avis éclairé !
Avec ce titre, je participe pour la 2eme fois au mois de la nouvelle chez Flo et pour la 4eme fois au Challenge Zweig chez Métaphore : Challenge terminé !
08:00 Publié dans Challenge, Classiques, Lecture commune, Littérature germanique, Nouvelles | Lien permanent | Commentaires (16)
04/06/2014
Tag sur mon étagère
Je suis tombée hier sur ce tag éminemment sympathique sur le blog de Shelbylee : Pour y participer, il suffit de renseigner à la personne chez qui vous repérez le dit-tag le nombre d'étagères de votre bibliothèque et le nombre de livres (environ) par étagères et hop, celle-ci vous donne six coordonnées au hasard pour découvrir quels livres s'y cachent. Sympa, non ?
Voici donc les coordonnées que m'a attribuées Shelbylee et les livres qui correspondent :
Étagère 2 (étagère PAL) - Livre 13 : Le crime du golf d'Agatha Christie
Voilà un de mes passe-temps estivaux favoris : dévaliser les brocantes de tous les Agatha Christie à 50 centimes d'euro :D Je commence à en avoir un bon paquet (vous en voyez certains en arrière-plan) et inutile de dire qu'ils s'accumulent dans ma PAL plus vite que je ne les lis (parce que les Agatha Christie, c'est bon mais au compte-goutte). Du coup, je ne peux pas vous dire grand chose de ce titre là. J'ai sûrement du le voir en version télé avec David Suchet mais là tout de suite, le titre ne me dit rien. Affaire à suivre sur ce blog quand je l'aurai lu !
Étagère 6 (étagère PAL bis) - Livre 22 : Le Déchronologue de Stéphane Beauverger
J'ai découvert ce titre chez Natiora qui en avait fait une critique enthousiaste, je dirais même dithyrambique. Du coup, je l'avais noté dans un petit coin de ma tête et il a intégré ma PAL il y a deux mois à l'occasion de mon anniversaire. Je sens qu'il va faire partie de mes lectures estivales : j'ai hâte de pouvoir me changer les idées et partir en mer m'aérer la tronche après cette fin d'année estudiantine de la mort qui tue.
Étagère 7 (étagère PAL ter) - Livre 17 : L'héritage de Karna T. 1 de Herbjorg Wassmo
Encore un truc déniché en brocante (ouais, y a pas grand chose dans la Creuse, mais y a des brocantes, c'est déjà ça :D), avec ses deux autres tomes (nickel). Exactement comme Le crime du golf, je n'ai aucune idée de quoi ça parle mais j'ai beaucoup aimé Le livre de Dina de la même auteur l'été dernier, donc au prix où était cette série là, je ne me suis pas privée. Affaire à suivre, encore, donc. (Je vous rassure, les trois autres livres ne sortent pas de ma PAL, je serai donc en mesure d'en dire quelque chose)
Étagère 14 (Spiritualités) - Livre 29 : Les forêts du Maine de H.D. Thoreau
Bon, vous l’aurez remarqué, j’ai un système de rangement qui n’a de logique que la mienne puisque je classe un récit de voyage en Spiritualités tandis que j’en classe d’autres en Littérature). Disons que c’est une question de feeling. Celui-ci en Spiritualités, donc, sans doute parce que les voyages chez Thoreau sont l’occasion de retrouver une unité primordiale entre l’homme et la nature. Il y a quelque chose de l’ordre d’une philosophie de la mouche, d’une métaphysique du brin d’herbe et du miroitement de la lumière sur l’eau du lac qui m’apaise comme un bon aphorisme zen. Si je le dis en blagounant, ce n’est certainement pas pour le dénigrer. Je persiste à penser que Thoreau avait tout compris et que le monde serait sans doute moins dans la merde aujourd’hui si on l’avait un peu plus écouté. Thoreau, c’est l’avenir (et paf, le vieux slogan politique à trois balles)
Étagère 21 (Littérature, lettre M) - Livre 4 : Les Essais, tome 3 de Montaigne
Dans la famille "les gros classiques qu'il faut avoir quelque part", voici le père. Montaigne, évidemment incontournable même si, soyons francs, je n'ai pas lu l'intégralité de ce tome (ni évidemment des deux autres). Je l'ai picoré, je l'ai étudié et de cette expérience, je dirais que c'est passionnant - surtout quand un prof particulièrement érudit nous en explique les petites subtilités - mais c'est pas non plus ce qu'on a connu de plus funissime pour passer la soirée. J'y reviendrai sans doute un jour, ni vu ni connu je t'embrouille. En attendant, je lis autre chose.
Etagère 26 (Littérature, lettre Z) - Livre 12 : L'assommoir de Zola
Dans la famille "les gros classique qu'il faut avoir quelque part", voici un des nombreux fils. Et quel fils, nom d'un oursin ! Zola, caraaaaa miaaaaaaaaa ♥ Je l'aime tellement que, comme vous pouvez le constater, tous les Rougon-Macquart règnent en maître sur cette étagère Z (avec quelques Zweig au fond). Que dire de L'assommoir que j'aime passionnément, que j'ai relu tout récemment et qui toujours me soulève le coeur ? Un roman tout simplement touchant, mythique, et violent. Je sais bien ce que beaucoup pensent de Zola mais pour le coup, ça se lit comme du petit lait le soir sous la couette. Si, si, je vous jure.
En jetant un petit coup d'oeil à ce tag, je me dis que c'est plutôt amusant ce qu'il révèle d'une bibliothèque et du coup, de la personne à qui elle appartient. C'est très partial mais pourtant assez juste. Du classique, de la philo de brin d'herbe, du vieux policier anglais et un soupçon de dépaysement étranger et fantasy. Voilà tout pour me ravir !
Si certains d'entre vous veulent s'amuser à ce tag, transmettez-moi le nombre d'étagères de votre bibliothèque et le nombre de livres approximatif sur les dites-étagères ; je vous donnerai vos coordonnées !
18:51 Publié dans Tag | Lien permanent | Commentaires (22)