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23/01/2016

Rendez-vous poétique avec Hervé Piekarski et Nan Goldin

Hervé Piekarski fait partie de ces découvertes mi-figue mi-raisin, qu'il faut beaucoup lire et à qui on a beaucoup à reprocher, pour finir par tomber sur un texte saisissant. Il y a décidément chez lui quelque chose de superficiel, une sorte de posture poétique pénible où tout se doit d'être court, hâché. Et où, finalement, plus rien n'a de sens si ce n'est l'impression qu'il est fier d'avoir mis des points de partout,  comme si c'était là le pouvoir suprême du poète. A l'occasion, néanmoins, il se réveille et fait l'exacte inverse : adieu la ponctuation. Mais on est toujours dans un réflexe systématique. Rien de pire que les poètes pavloviens.

Mais qu'à cela ne tienne, je ne disserterais pas sur ses béances à l'endroit de la forme et de l'originalité. Il m'est tout de même arrivé de dénicher un morceau qui m'a plu, en marge de tous les autres du recueil Limitrophe chez Flammarion. Dans ce poème en prose, les aspérités du corps et du rapport à l'autre semblent prendre vie. Révéler autant la lumière que l'ombre qu'elles peuvent sécréter dans la confrontation à l'instant présent.

Le lisant, j'ai immédiatement repensé à l'un de mes amours artistiques de jeunesse, aussi incisive et impudique que délicate dans son approche du quotidien : Nan Goldin, photographe américaine, a exploré sans concession sa vie privée et celle des autres à travers l'objectif pour délivrer son opulent chef d'oeuvre, The Ballad of Sexual Dependancy. L'une des ses pièces maîtresses me semblent s'accorder particulièrement bien avec le texte d'Hervé Piekarski.

Belle journée hivernale à tous, toute de poésie et d'art vêtue.

 

Immense et déchu, par l'anticipation ratée de l'accident qui libère, cruellement comme on le sait du seul acte qu'on n'ait jamais accompli. Le torse, limite franchie et aussitôt restaurée, le trop étroit déploiement lumineux qu'accentue la violence de l'adoration. Ne rien dire. Se retenir de l'avancée qui instruit. Les mâchoires ensuite dans le tremblement de toute la face, dans l’œuvre accompli de la disparition de la face. Cela, dissonance et famine. L'annonce qui ne désigne rien. Le fil. La vitesse du fil à travers la compacité nouvelle. Ne rien mesurer. Se taire. Revêtir le chiffre.

in Limitrophe, Flammarion, 2005

 

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17/01/2016

Le voyage de Pippo de Satoe Tone

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Le voyage de Pippo de Satoe Tone, Nobi Nobi, 2014, 40p.

 

coup de coeur.jpgDire que je chronique rarement des albums serait mentir : je n'en chronique jamais. A tel point que j'ai dû en créer la catégorie sur le blog... Ça pose les choses sans ambiguïté. Et puis voilà, qu'à l'occasion, je suis tombée sur un album délicieux, tout de poésie et de douceur vêtu, qui m'a invitée à revenir sur le silence fait à cette littérature enfantine.

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Pippo la grenouille ne sait plus rêver, alors elle égraine les moutons pour s'endormir. Un beau jour, elle rencontre une brebis qui connaît le secret des rêves : les voilà partis tous deux dans un voyage fabuleux, de peu de mots et d'univers chatoyants, pour visiter les songes de toute une année. Le récit de Satoe Tone délivre le sourire des moments simples et heureux. Qu'elle ait reçu de nombreux prix pour cet album n'est que justice à la vue de ces planches féériques, qui retranscrivent à merveille la sérénité de chaque mois, de chaque saison.

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C'est un plaisir renouvelé pour les yeux des petits et des grands ; c'est le message pur de l'amitié qui se nourrit des rêves, qui se nourrit précisément de l'instant partagé détaché de toute velléité. On plonge dans l'être et dans la joie à chaque page de ce bel album, comme une belle tranche de vie.

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07/01/2016

Rendez-vous poétique avec René Char et Denise Esteban

Un an jour pour jour depuis les attentats contre Charlie Hebdo et presque deux mois depuis ceux de Paris. Je ne me suis pas exprimée à ce propos sur le blog pas plus que je n'ai souhaité polémiquer sur les réseaux sociaux. C'est le genre d'évènements qui me donne surtout envie de me taire - du moins de taire le langage usuel. Le silence, un point c'est tout.

Mais progressivement, puisqu'il s'agit de continuer à vivre et non seulement de survivre, il faut trouver d'autres mots pour outrepasser la violence devenue mode d'expression, devenue jouissance négative.
J'ai fini l'année 2015 en redécouvrant ces mots-là chez René Char. Il me semble que sa langue révèle l'essence fondamentale de la poésie : circulation, élan, respiration. La poésie de René Char appelle en avant, à travers tous ces fragments - morceaux d'instants autonomes et acérés - qui forment pourtant un tout puissant. Je suis tombée tout particulièrement sur ce poème en prose qui dit à quel point l'art est encore ce qui saura le mieux perpétuer le feu de l'existence.

 

Un droit perpétuel de passage

Il faut, avant de s'éloigner d'eux, consentir à l'évasion du paysage, de la nature du lieu, de l'objet, de l'être propre. En dépit des attentats, l'art est la braise sur laquelle s'égoutte le filet d'eau d'une rosée très ancienne. Ses alentours sont un crassier grelottant que le peintre capte et traite. Tout un relief levant peut frissonner de couleurs, d'alliances scellées, de formes en marche, d'harmonie. La transposition consent. L'ouvrière rousse et rieuse qui se précipite dit à Denise Esteban dressant sa toile intacte : "Je ne vous ferai pas défaut." Heureuse au soir, Vénus disserte, chemin des aphyllantes.

in Fenêtres dormantes et porte sur le toit, 1979

 

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Denise Esteban, Route du port, 1972