06/03/2012
La tristesse des anges de Jon Kalman Stefansson
La tristesse des anges de Jon Kalman Stefansson, traduit de l'islandais par Eric Boury, Gallimard, 2011, 378p.
A la fin d'Entre ciel et terre, nous avions laissé le gamin éreinté aux mains de cette trinité profane des terres reculées de l'Islande : La mystérieuse et indépendante Geirprudur, la franche Helga et le capitaine aveugle, féru de livres et de café noir.
Nous le retrouvons quelques semaines plus tard, dans un printemps qui ressemble en tous points au terrible hiver. Toujours avec la présence vivace de la poésie à son côté, parmi ces compagnons d'infortune, ces sauveurs malgré eux, il continue à vivre chaque jour. Il est là.
Et puis, on lui attribue une mission : accompagner le facteur Jens pour livrer le courrier dans des territoires encore plus hostiles que l'on ne peut atteindre que par la mer ; le rassurer car cette étendue le terrifie. Les voilà donc partis pour un périple d'une implacable dureté, où seules la fatigue et quelques apparitions fantomatiques ponctuent la dangereuse uniformité de la neige, cette tristesse que les anges pleurent les longs mois d'hiver.
Passionnée par la langue et le propos de Stefansson dans son premier roman, lire le deuxième était une évidence. Et de fait, les premières pages m'ont hâppée immédiatement, j'ai retrouvé cet indicible plaisir, ce mélange de parfaitement ancré et de divin dans ses mots au plus près de la vie.
Et puis, les pages se sont tournées et ma joie s'est muée progressivement en attente, en interrogation jusqu'à devenir ennui. Dans le périple périlleux des deux personnages, rien ne se passe, tout est sensé être dans l'écriture - jusque là, rien pour me rebuter, après tout, je suis grande fan d'auteurs ayant eu le même objectif en d'autres temps et d'autres lieux. Mais cela tient dès lors que l'écriture est impeccable et ce n'est, à mon sens, pas le cas ici. Jon Kalman Stefansson s'est perdu dans des phrases à virgule bancales qui s'étirent parfois jusqu'à la confusion. Certaines pages sont indigestes et ennuyeuses, tandis que d'autres sont toujours aussi exceptionnelles. Malgré ces dernières qui m'ont fait poursuivre l'ouvrage aussi longtemps que possible, l'inégalité du style et l'absence de propos - ou plutôt sa redondance par rapport au premier roman - ont fini par avoir raison de mon assiduité de lecture. Quel dommage car quel merveilleux potentiel a cet auteur !
Quoiqu'il en soit, cette lecture a beau être en demi-teinte (punaise, quand est-ce-que je vais ravoir un coup de coeur littéraire, moi ?! Ca commence à me manquer!), j'attendrai avec plaisir son prochain roman!
*
Extrait :
Le gamin baisse à nouveau les yeux sur la lettre, les mots semblent être la seule chose que le temps n'ait pas le pouvoir de piétiner. Il traverse la vie et la change en mort, il traverse les maisons et les réduits en poussière, même les montagnes, ces majestueux amas rocheux, finissent par céder face à lui. Pourtant, il semble que certains mots parviennent à affronter son pouvoir destructeur, la chose est très étrange, certes, ils s'usent un peu, leur surface se patine mais ils résistent et conservent en eux des vies englouties, ils conservent le battement de coeurs disparus, l'écho de la voix d'un enfant, ils sont les gardiens d'antiques baisers. Certains mots forment des gangues au creux du temps, et à l'intérieur se trouve peut-être le souvenir de toi.
2% atteints pour le challenge de la rentrée littéraire 2011 :)
09:00 Publié dans Challenge, Littérature scandinave | Lien permanent | Commentaires (2)
27/10/2011
Les vaches de Staline de Sofi Oksanen
[Ante-Scriptum : Encore une semaine pour les inscriptions au swap de l'hiver ! Venez compléter notre impairitude ! Les renseignements ici et les inscriptions ici]
Les vaches de Staline de Sofi Oksanen, traduit du finnois par Sébastien Cagnoli, Stock, coll. La Cosmopolite, sept. 2011
Je n'ai pas cédé l'an dernier à la vague de Purge. Pas envie, pas le moment.
Aussi, c'est avec le regard vierge que j'ai abordé cette lecture du premier roman de Sofi Oksanen - parce qu'au moment de choisir parmi tous les livres proposés par PriceMinister, c'est celui qui m'a sauté aux yeux.
Et de fait, ce roman saisit le lecteur par la peau du cou, lui met la tête dans l'écriture et ne le ménage pas.
"Ca l'a fait rire comme si j'avais dit quelque chose de très très très amusant. Mais ce n'était pas amusant du tout, c'étaient des os froids et de la peau qui brûle, des coeurs noircis et des membres qui grattent. A chaque pas qui le rapprochait de moi, je reculais d'un kilo, tout en restant tellement figée sur place que je ne pouvais pas mettre un pied devant l'autre. Ce n'est qu'en maigrissant que je pouvais m'éloigner, m'enfuir, m'en aller, non, tu ne pourras jamais m'attraper, ni toi ni personne, je ne laisserai personne m'attraper, même si le fait que je reste pétrifiée sur place pouvait signifier en réalité que je voulais rester là pour une fois, devant toi, devant toi qui t'approches, être ici... non ! Si le corps refuse d'obéir autrement, il ne reste qu'une façon de se déplacer : en rapetissant et en rétrécissant. Mon évasion par kilos est la seule échappatoire, puisque mes jambes refusent de coopérer."
09:00 Publié dans Challenge, Littérature scandinave | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : les vaches de staline, oksanen, rentrée littéraire, priceminister, communisme, boulimie
23/08/2011
Le cantique de l'apocalypse joyeuse d'Arto Paasilinna
Le Cantique de l'apocalypse joyeuse d'Arto Paasilinna, traduit du finnois par Anne Colin du Terrail, Denoël, 2008 (Edition originale : Maailman paras kylä, WSOY, 1992)
En 1992, la dernière volonté d'Asser Toropanein est pour le moins étonnante : construire une église en bois sur ses terres. C'est à son petit-fils, Eemeli Toropanein, spécialisé dans la constructions de chalets en rondins, que revient l'exécution de ce testament sous l'égide d'une fondation funéraire.
Il va dès lors s'y employer avec assiduité, tout d'abord avec quelques ouvriers puis, avec toute une ribambelle d'écolos, de paumés, et d'étrangers jusqu'à ce que les terres du vieux deviennent un village puis plusieurs villages vivants en parfaite autarcie et régis par des lois autonomes.
Pendant ce temps-là, le monde part tranquillement en déliquescence, une troisième guerre mondiale a lieu, les sources de carburant sont taries et tout le monde meurt de faim. Mais dans la communauté d'Ukonjärvi, tout va bien - on vit au rythme simple et abondant de la nature.
La lecture de cet ouvrage me laisse dubitative.
Alors que la manière de présenter le propos sur la 4eme de couverture m'avait emballée, toute la première partie du livre m'a déçue. Tout y est plat et sans intérêt, tant l'histoire que le style. Près d'une centaine de pages pour l'édification de l'église, c'est long et quant à l'humour promis, soyons clairs, il n'y en pas. Juste une certaine loufoquerie absurde.
Je me suis tout bonnement demandée si je n'allais pas arrêter là le voyage. Et puis, pour je ne sais quelle raison - peut-être parce que les personnages sont malgré tout un peu attachants - j'ai décidé de voir où tout cela allait mener.
La deuxième partie m'a plus intéressée, malgré les mêmes défauts de style et de narration, parce qu'en fin de compte, cette communauté a tout compris. Sous le couvert du roman, Paasilinna défend une thèse plutôt intelligente dont il y aurait quelques leçons à tirer.
Bref, un avis mitigé. A voir un autre roman de l'auteur pour faire pencher la balance dans un sens ou dans l'autre.
*
Extrait
"Alors qu'Eemeli et Taina Toropainen étaient encore à Helsinki, un vieil ours cardiaque vint traîner du côté d'Urkonjärvi. Il était apparenté à la femelle qui avait jadis mangé le quichetier des postes de Valtimo et se trouvait aussi par hasard être un descendant direct de l'animal qui avait tué la Finlandaise d'Amérique Eveliina Mättö. A l'origine, les plantigrades étaient russes. Leur ancêtre avait quitté les côtes de la mer Blanche pour la Finlande à l'époqe des purges staliniennes. Sans doute ne fuyait-il pas la dictature - les bêtes sauvages ignorent ce genre de choses - et avait-il juste vagabondé lbrement à travers les forêts.
L'ours était âgé et malade. Il souffrait depuis déjà deux ans de graves problèmes cardiaques. Dès qu'il galopait un peu trop kongtemps derrière une proie, son coeur se mettait à battre la chamade et il était obligé de s'arrêter. Un défaut de famille. Il devait se contenter de charognes et autres mets de fortune. Il croquait volontiers des moutons et se servait dans les nasses oubliées des étangs de forêt. Il ne mangeait pas souvent à sa faim.
Un matin d'août, sur la route de Valtimo, il tomba sur l'Ange volant qui, l'âge venant, ne courait plus aussi vite que dans sa jeunesse. L'ours, pensant avoir trouvé là une proie facile, se lança plein d'espoir aux trousses de la malheureuse."
10:00 Publié dans Littérature scandinave | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : critique, littérature, paasilinna