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01/10/2012

La ferme des animaux de George Orwell

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La ferme des animaux de George Orwell, 1945

 

A la solde de Mr Jones, les animaux de la ferme du Manoir n'ont pas une vie bien heureuse : beaucoup de travail, peu de nourriture et aucun temps libre. Mais les hommes, c'est bien connu, n'ont que faire du sort des bêtes. Pourtant, les animaux nourrissent l'espoir d'une liberté prochaine lorsque Sage l'Ancien, le plus vieux cochon de la ferme, leur raconte une vision où les animaux vivraient en parfaite harmonie et où le joug de l'homme serait aboli. Dès lors, le projet d'une révolte se forme puis se concrétise le 21 juin : Jones décampe et laisse les animaux livrés à eux-mêmes. Sage l'Ancien n'étant plus de ce monde, ce sont les cochons Napoléon et Boule de Neige qui prennent en main le nouveau régime.
Les premiers temps, tout semble fonctionner selon leurs aspirations : tous les animaux sont égaux, travaillent sans se tuer à la tâche, mangent à leur faim et jouissent de temps libre et de libre expression. Pourtant, cette utopie animalière va progressivement dégénérée jusqu'à mettre en lumière que certains animaux sont plus égaux que d'autres - et cela dans l'aveuglement le plus total de la troupe.

Encore une fois, Orwell me stupéfie par sa modernité et son affolante lucidité.
La ferme des animaux, vous l'aurez compris, n'a rien d'une historiette pour endormir les enfants. Il s'agit tout au contraire d'un apologue qui, sous les abords de la fable animalière, se donne pour objectif de réveiller les consciences. Ecrit avant 1984, il se lit également avec une plus grande facilité que ce dernier (le style et le volume de l'ouvrage l'expliquent) ; il véhicule néanmoins une thèse similaire: Une critique virulente du pouvoir stalinien, et plus largement de toutes dérives totalitaires post-révolutionnaires. Où l'on s'aperçoit que motivée par une volonté de changement, de mieux-être, de liberté, la révolution conduit insidieusement à reproduire un même schéma tout aussi asservissant. Il s'agit également d'une critique virulente des masses qui restent trop longtemps dans un aveuglement rangé, jusqu'à ne plus être en mesure de réagir.Bref, La ferme des animaux s'offre comme une reflexion ontologique sur la nature de l'homme, sur ses aspirations et sur ses dérives.

A lire, encore une fois, sans aucune modération et à mettre impérativement entre toutes les mains.

 

 

Classique-final-4.jpgChallenge Un classique par mois

Octobre 2012

 

20/09/2012

La caverne des idées de José Carlos Somoza

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La caverne des idées de José Carlos Somoza, ed. Actes Sud Babel, 2003, 346p.

 

Comme tout roman de Somoza -et celui-là étant le premier, il a ouvert le bal de la tradition-, l'histoire nous plonge dans une aventure sanglante et énigmatique : Tramaque, étudiant de l'Académie philosophique de Platon, est retrouvé mort à moitié dépecé dans Athènes. Parmi la foule indignée, un seul homme reste stoïque et concentré : Héraclès Pontor, le célèbre déchiffreur d'énigmes. Très rapidement, le lecteur comprend que ce n'est pas seulement pour son lien avec la mère du défunt que ce décès l'interpelle. C'est bien plutôt parce qu'il ne croit pas à l'attaque accidentelle de loups pendant une partie de chasse pour expliquer cette tragédie. C'est également pour cette raison que Diagoras, philosophe et mentor de Tramaque, engage Héraclès pour découvrir le fin mot de l'histoire - histoire qui va décidément rester sanglante et énigmatique jusqu'au bout.

Mais comme tout roman de Somoza, les choses ne s'arrêtent pas là. Il serait bien trop simple de réduire cet ouvrage à un "polar antique" - genre déjà suffisamment original en soi. L'auteur va plus loin et inclu en deuxième lecture l'omniprésence en bas de page d'un traducteur hypnotisé par son travail et progressivement plongé dans une aventure rocambolesque. Je ne vous mentirais pas : cela rend la lecture parfois fastidieuse : certaines notes sont particulièrement longues, il faut donc ensuite revenir en arrière pour reprendre le fil de l'enquête et ainsi de suite. MALGRE TOUT, que cela ne vous décourage pas ! Car comme tout roman de Somoza, je ne peux m'empêcher de refermer le livre en me disant que cet écrivain est fou d'imagination et de génie, que non seulement il parvient à créer des mondes surréalistes et uniques mais qu'en plus, il y distille une érudition étourdissante. Qui peut se targuer, en effet, d'avoir rédiger des livres qui soulèvent des questions cruciales concernant l'art, la philosophie, la poésie, Lovecraft et shakespeare, chaque fois avec brio ?

Ici, vous l'aurez deviné vu l'époque et les personnages, le propos touche à l'interaction, à la semblance et à la puissance de la fiction et de la pensée philosophique. Qui détient la vérité - qui, tout du moins, est le plus à même de s'en approcher ? La réponse de Somoza est sans appelle avec une chute magistrale à laquelle j'adhère parfaitement. Je vous laisserai seulement la découvrir et la savourer comme le mérite La caverne des idées, espèrant que ce petit flou final vous incite à courir dévorer l'ouvrage !

 

*

 

"Lire n'est pas réfléchir seul,c'est dialoguer. Mais le dialogue de la lecture est un dialogue platonique: ton interlocuteur est une idée. Cependant,ce n'est pas une idée figée: en dialoguant avec elle,tu la modifies, tu la fais tienne,tu en viens à croire en son existence indépendante."

 

 

72427108.pngChallenge Mythologies du monde

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10/09/2012

Si c'est un homme de Primo Levi

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Si c'est un homme de Primo Levi, 1947

 

Si je devais choisir un seul livre témoin des camps de concentrations, ce serait celui-là. Non que j'en ai lu beaucoup d'autres et non qu'ils ne m'aient pas bouleversée. Mais c'est ouvrage de Primo Levi est plus que bouleversant : il est essentiel.

Re-situons dans le contexte. Primo Levi à vingt-quatre ans lorsqu'il est déporté à la suite d'une arrestation inévitable. Il ironise lui-même sur le caractère passablement amateur et superficiel de son engagement dans un groupe de résistants sans moyen ni expérience. Lors de son arrestation, il pense à tort qu'il risque plus gros en se déclarant opposant politique que juif ; il opte donc pour la seconde alternative. Il est envoyé quelques jours plus tard, au tout début de l'année 1944, avec quatre-vingt seize autres juifs italiens au camp d'Auschwitz. Il y restera durant une année, échappant avec étonnement à l'hiver implaccable, la faim, les maladies et la chambre à gaz jusqu'à l'arrivée de l'armée russe en janvier 1945.
Le présent témoignage, dont Primo Levi commence la rédaction dès décembre 1945 - pour ne rien oublier, dans l'urgence nécessaire de dire, de faire connaître - relate cette année hors des hommes libres.

Je pourrais ergoter longtemps sur le caractère saississant, vibrant, terrible de ce récit. Nul ne peut ressortir de cette lecture sans la prégnante sensation d'avoir été assommé avec une poele en fonte. Mais au delà de ce retournement des tripes, il y a aussi et surtout l'ouverture à une série de questionnements essentiels. Car Primo Levi a choisi pour rédiger son ouvrage un ton volontairement neutre, ou disons au plus près de la neutralité - le plus possible dépourvu de pathos afin de laisser au lecteur la distance nécessaire pour apprécier le texte comme levier d'un raisonnement. Le point essentiel est là : Si c'est un homme n'est pas là pour faire pleurer dans les chaumières ou pour soulager son auteur - on comprend la futilité de supposer un tel objectif au bout d'une trentaine de pages tant rien ne pourrait soulager une telle expérience ; il est là pour faire en sorte qu'un deuxième Auschwitz n'existe jamais.

Et tous les questionnements, au fond, portent sur l'humanité.
Il est question d'humanité lorsqu'une mère, sachant qu'elle va à la mort, s'applique à nettoyer et à nourrir son enfant comme si rien n'allait changer.
Il est question d'humanité lorsqu'un civil est capable d'offrir une chemise à un détenu sans rien demander en échange, par bonté pure - et de lui rappeler en cela que malgré tout l'acharnement des nazis, il est encore un homme.
Il est question d'humanité lorsqu'on parvient à balayer la tentation de la haine après une telle expérience.
Il est aussi, malheureusement, question d'humanité lorsqu'on touche à la volonté abyssale de démolir un homme, méthodiquement, avec l'oeil froid ou lorsqu'on s'aperçoit que la brute engendre la brute et que le supplicié d'hier se défoule le lendemain sur ses subalternes sans aucune mauvaise conscience (et les exemples de ce triste état de fait dans l'Histoire, oserais-je dire encore aujourd'hui, sont nombreux).
Les exemples pourraient être énumérés à l'infini.

Enfin, il est encore question d'humanité lorsque tout le long, Primo Levi questionne le langage et affirme à plusieurs reprises combien nos mots d'hommes livres ne peuvent dire le vécu des camps. Au fond, transparait cette question : comment écrire, comment créer tout simplement après la seconde guerre mondiale. Question à laquelle j'éviterais, évidemment, de répondre une formule ridicule de philosophie de comptoir mais qui mérite néanmoins de trotter dans nos têtes de littéraires.

Après hésitation et relecture de ce bouquin, j'ai décidé de le faire étudier à ma classe de 3eme pro cette année. C'est un ouvrage clairement difficile, tant dans le fond que dans la forme et sans doute que pas mal d'entre eux, si ce n'est la totalité, n'en lirons même pas les vingt premières pages. Malgré tout, le simple fait de prendre le temps d'en parler en classe et de lancer quelques bribes de questions, pourquoi pas d'en faire matière à débat, leur allumera peut-être quelques lumières insoupçonnées. Il me semble que Si c'est un homme soulève trop de questions primordiales pour être balayé par la peur de la difficulté. Je croise les doigts pour que cette année me donne raison.

En attendant, si tu tombes sur ce modeste article et que tu n'as pas encore lu Si c'est un homme, un seul conseil : accroche-toi et lis.

 




Classique-final-4.jpgChallenge Un classique par mois

Septembre 2012 bis (je rattrape Août comme ça !)