14/09/2014
Armageddon Rag de George R. R. Martin
Armageddon Rag de George R. R. Martin, Folio SF, 2014, 586p.
Il y a de ces associations d'idées immédiates qu'on ne peut pas empêcher, une sorte de réflexe de pavlov conditionné par le succès (et le plaisir aussi, on ne va pas se mentir). Dans cette rubrique, on peut aisément classer l'association immanquable George R. R. Martin / Game of Thrones. Lorsque j'ai dit à quelques amis que je lisais cet auteur, la question ne s'est même pas posée de savoir ce que je lisais. Ben oui, quoi d'autre, à part GOT ? Je vous le concède, à côté de GOT, tout passe en général à la trappe et c'est bien dommage car autant le premier volume de GOT me tombe systématiquement des mains (j'avoue tout, je me contente finalement de regarder la série), autant cet Armageddon Rag est un vrai coup de cœur dévoré en quelques jours ! Comme quoi, il ne faut jamais oublier d'aller voir derrière les fagots si on y est !
Au seuil de pénétrer dans l'univers d'Armageddon Rag, l'ami, dépouille-toi de tout le plan-plan de ton quotidien et enclenche un furieux titre de Led Zeppelin pour planter le décor.
Sander Blair, dit Sandy, fait partie de cette génération de hippie seventies anti-guerre du Vietnam et fan de rock. Une décennie plus tard, sa barbe a disparu, de même que son emploi de journaliste. Il est en couple avec un agent immobilier dans une belle maison de Brooklyn et vit de sa plume - plume qui stagne actuellement à la page 37. La vie est ainsi faite de compromis et de renoncements. Le coup de fil du rédacteur du Hog sait pourtant réveiller tout le potentiel de nostalgie et d'envie d'aventure qui bout encore en Sandy sous cet apparent conformisme eighties. Il s'agit de couvrir en exclusivité la mort mystérieuse de Jamie Lynch qui fut manager du plus grand groupe de rock de tous les temps, les Nazgûl. Sandy saute sur l'occasion d'envoyer balader sa femme, son agent littéraire et cette foutue page blanche pour partir à toute volée au volant de Daydream vers le Maine. Ce départ est celui d'une enquête mais surtout d'une plongée fulgurante dans le passé et les grandes années du rock, dans cet univers qui devient vie, mort, angoisse et résurrection à tout moment. Au côté de Sandy blair, lecteur, tu vas vivre le road trip rock le plus décoiffant depuis un paquet de temps !
Si je ne devais émettre qu'un petit bémol sur ce titre, il porterait sur son édition : je ne vois pas exactement ce qu'il fabrique dans une collection SF puisqu'il n'en est pas, soyons très clairs. Armageddon Rag est, comme l'indique d'ailleurs la 4eme de couv, un excellent thriller fantastique teinté d'apocalypse dans lequel nulle SF ni fantasy ne pointe le bout de son nez. George R. R. Martin manie à merveille tant le glissement progressif vers le fantastique ménagé par des rêves flous et angoissants que l'incertitude mouvementée propre à ce genre littéraire. Jusqu'à la fin, le lecteur se demandera s'il était bel et bien à mi-chemin d'une brèche vers un autre monde ou tout simplement dans notre monde réel si brillamment mis en lumière qu'il en fait vaciller nos certitudes. Une vraie réussite de ce point de vue là.
En outre, ce groupe créé de toute pièce par l'auteur, fortement inspiré de la mythologie de Tolkien, est d'une puissance prégnante. A force de lire les pages, on croit entendre les Nazgûl jouer et on aimerait pouvoir enclencher un de leurs albums en fond sonore. A défaut, j'ai trouvé un parallèle en Led Zeppelin - les descriptions des Nazgûl m'ont semblé coller à l'idée que je me fais de Led Zep - et j'ai donc régulièrement écouté leurs titres ces derniers jours, histoire d'être encore plus immergée.
En somme, tant du point de vue du genre, de l'évolution narrative que de l'univers rock, ce titre est une réussite totale ! Le style n'est pas mal non plus, somme toute. Même si ce n'est pas l'argument majeur lorsqu'on lit des romans de cet acabit, ça ne gâche pas le voyage de l'avoir de bon goût.
Je ne saurais présager de son pouvoir de séduction sur des lecteurs qui n'ont aucun attrait particulier pour le rock. Je peux par contre affirmer, si vous vous rangez dans la case des maniaques de la guitare et du cheveu long, que vous succomberez immanquablement à ce roman puissant, chaotique, maîtrisé d'une main d'orfèvre et plein des fantômes d'une époque qu'on aurait bien aimé connaître.
Un grand merci à Noctenbule, grâce à qui j'ai remporté ce titre lors du challenge américain.
2eme participation au mois américain chez Titine
Participation de septembre pour le challenge Un pavé par mois chez Bianca
Et une nouvelle participation pour le challenge Mélange des genres chez Miss Léo dans la catégorie Thriller
09:43 Publié dans Art, Aventure, Challenge, Coups de coeur, Fantastique/Horreur, Littérature anglophone, Polar, SF/Fantasy | Lien permanent | Commentaires (14)
10/07/2014
Black-Out de Connie Willis
Black-Out - Blitz, tome 1 de Connie Willis, J'ai Lu, 2014, 796p.
On ne présente plus Connie Willis qui a obtenu de nombreuses fois les prix de SF les plus prestigieux. Elle se plait à projeter régulièrement une bande de jeunes historiens dans des périodes passées improbables et c'est avec délice qu'on aime à les y suivre. Après Sans parler du chien qui naviguait avec humour entre 1940 et le XIXeme siècle, c'est ici en pleine seconde guerre mondiale que sont envoyés Merope, Polly et Mickael. Tous trois voient leurs plans de sauts contrariés par le chef des historiens, l'inamovible M. Dunworthy, et les voilà tous à des endroits différents d'Angleterre sensiblement à la même période de 1940. Merope, alias Eileen, observe les enfants évacués dans le Warwickshire, Mike doit étudier les héros lors de la bataille de Dunkerque et Polly le blitz londodien. Si les débuts en situation sont plus ou moins confortables pour les uns et les autres, l'angoisse commence franchement à monter quand les fenêtres de sauts ne fonctionnent plus correctement. La seconde guerre mondiale glisse alors progressivement de l'aventure scientifique à l'expérience de survie.
Black-Out saura séduire les lecteurs assidus de Connie Willis en ce qu'il reprend les ingrédients de ses précédents voyages dans le temps. En 2060, c'est toujours la folie. L'équipe technique est totalement dépassée, Dunworthy est tellement dépassé qu'il en est absent et les jeunes historiens vadrouillent dans une course labyrinthique pour obtenir un formulaire, un costume ou tout simplement des explications. Personne ne sait pourquoi les plans de vol de tous sont chamboulés mais tout le monde en est furieux ! Cet imbroglio couvre bien les 150 premières pages en alternance avec quelques cours chapitres en 1940. D'aucuns trouveront ce début un peu trop long - comme j'avais pu le trouver dans les 70 premières pages de Sans parler du chien - mais pour le coup, il m'a ravie. J'ai aimé plonger avec lenteur et amusement dans cette ambiance totalement improbable. Il faut avouer que la possibilité de voyager dans le temps me fait rêver.
En 1940 ensuite, c'est l'immersion totale. A l'exception d'une fenêtre de saut à proximité qui s'ouvre à certains moments précis, les jeunes historiens sont livrés à eux-mêmes. Contrairement à Sans parler du chien, Connie Willis laisse un peu moins place à l'humour. Le sujet sans doute s'y prête moins. Encore une fois dans ce titre, l'auteure fait montre d'une incroyable culture historique. Il est franchement passionnant de lire la seconde guerre mondiale par le petit bout de la lorgnette. Tel Fabrice à Waterloo, les évènements historiques sont vus par monsieur et madame tout le monde. Pas de grandes vues d'ensemble, de fresques impressionnantes, mais des faits de tous les jours qui saisissent d'autant plus qu'on croirait être dans le tableau.
J'émettrais néanmoins un nouveau bémol : la narration souffre d'un certain nombre de longueurs. Autant je ne les ai pas senties au début qui a su au contraire me mettre doucement dans l'ambiance, autant elles m'ont ennuyée au cours de ma lecture. A partir de la moitié, lorsque tout se met progressivement en place (ou devrais-je dire, se casse la gueule), les chapitres et les considérations des personnages s'étalent de manière beaucoup trop redondante. Malgré tout, arrivée dans la dernière centaine de pages, j'ai tout dévoré avidement. Enfin, les éléments commencent à avancer ! Ce tome 1 se clôt sur un cliffhanger habile - suffisamment logique pour qu'on ait des idées, suffisamment énigmatique pour qu'il nous laisse la langue pendue. Autant dire que je frétille à l'idée que sorte le second tome en poche (encore quelques mois à attendre probablement). Je croise seulement les bouclettes pour qu'il n'ait pas autant de longueurs que celui-ci.
Challenge un pavé par mois chez Bianca
Hop, première participation pour juillet !
Challenge mélange des genres chez Miss Léo
Catégorie SF
08:00 Publié dans Aventure, Challenge, Histoire, Littérature anglophone, SF/Fantasy | Lien permanent | Commentaires (10)
05/05/2014
Fahrenheit 451 de Ray Bradbury
Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, Folio SF, 2000 [1953], 212p.
Dans un futur indéterminé, les livres ne sont plus en odeur de sainteté. Bien au contraire, ils sont accusés d'empêcher le bonheur de la population ; un bonheur qui se veut nivelé par le bas, où la réflexion et la culture ne sont que des instruments néfastes. Il s'agit de se lover dans un bonheur immobile, douillet, lisse. Rien ne doit venir troubler cette quiétude. L'humanité est devenue une moule sur son rocher. Dans cette société de la bêtise heureuse, les pompiers ont changé de statut : ils n'éteignent plus les feux mais les allument et font s'envoler dans une folle autodafé livres et maisons qui les abritaient. C'est cette profession qu'exerce Guy Montag et il se croit pleinement heureux en compagnie de sa femme Mildred et de leur famille virtuelle retranscrite en permanence sur écrans. Jusqu'au jour où il rencontre la jeune Clarisse. Adolescente originale, elle se promène la nuit, regarde les étoiles et aime discuter avec autrui. Toute chose qui ne se fait plus au risque d'ouvrir une brèche dans la surface lisse de l'existence ; ce qui se passe exactement avec Montag. Cette rencontre et les entrevues informelles qui en découlent l'invitent à se poser la question de son propre bonheur. Est-il vraiment heureux, au fond ? La réponse est évidemment non. Sous la surface, c'est le vide qui s'y cache et cette prise de conscience crée une cassure chez Montag. Mais alors, les livres - ou plutôt le savoir qu'ils renferment - dans tout ça ? Sont-ils si dangereux comme on le lui a toujours inculqué ou bien sont-ils la possibilité d'une nouvelle société ?
J'ai lu de tous les avis sur ce roman. Des chroniques dithyrambiques et de grosses déceptions. Pour faire le tri dans ces avis partagés, il faut faire un point sur son genre. SF certes mais SF sans monstres, sans martiens, sans aventures à tire l'arigot et sans divertissement particulier, c'est un fait. Tout simplement parce que, dans la lignée de George Orwell peu de temps avant lui, Ray Bradbury propose une dystopie qui, sous couvert de science-fiction, nous invite à une réflexion profonde et toujours d'actualité sur nos sociétés contemporaines. Le livre lui-même fustige le divertissement gratuit, sans conscience ni conséquence, où l'être ne rechercherait que l'abrutissement, l'évasion, le laisser-aller neuronal. Autant dire que si l'on recherche ici un bouquin de SF de ce type-là (comme ce pourrait être le cas pour n'importe quel genre littéraire d'ailleurs), c'est évidemment raté. Moi-même, j'avoue avoir trouvé quelques épisodes un peu longs mais il me semble que c'est typiquement le genre de livres avec lesquels il faut passer outre ces détails de surface car là n'est pas le propos fondamental. Puisque nous en somme néanmoins à la facture, il me faut souligner l'excellent style de Ray Bradbury qui fait preuve d'une poésie particulière - et les métaphores de s'enchaîner sans complexe dès les premiers chapitres du roman. A de nombreuses reprises, il fragmente son propos pour rendre compte des aspérités qui se créent chez son protagoniste. J'ai vraiment aimé retrouver ce souci du style qui ne cède pas à la facilité d'une progression accrocheuse mais peu exigeante. Au fond, je pense que ce roman plairait bien plus à des lecteurs habituellement peu voire pas fan du tout de SF et inversement parce que la forme n'est qu'un prétexte au fond.
Et ce fameux fond, d'ailleurs, est plutôt terrifiant par son actualité, bien que j'y vois un poil plus d'optimisme que dans 1984 d'Orwell. Certes, on ne brûle plus les livres en occident comme le souligne la préface. Mais derrière cette métaphore purificatrice plutôt ironique, l'auteur souligne notre tendance sociétale à glisser doucement vers la stupidité la plus déconcertante d'un pas décidé. L'avalanche des outils qui n'ont plus pour but de nous élever mais de nous conforter dans la médiocrité est particulièrement bien envisagée par Bradbury dès 1953. Le meilleur moyen de tuer les livres est de tuer chez l'homme l'envie de les lire, ni plus ni moins. Et rien de tel que quelques écrans allumés en permanence, quelques discours propagandistes sous couvert de bonheur altruiste et la crainte de l'incendie pour y parvenir. La quête démesurée d'un bonheur qui ne souffre pas la contradiction et la différence est devenue une dictature de la pensée unique. Si tout cela fait froid dans le dos et je réitère ma conviction que nous n'en sommes actuellement pas très loin, Fahrenheit 451 est aussi une merveilleuse déclaration d'amour aux livres et à la culture. Dans la troisième partie du roman, Montag fuit et rejoint une congrégation informelle et itinérante dont les membres résistent en retenant par coeur le contenu fabuleux des livres. Ici Les voyages de Gulliver, La République de Platon ou L'Ecclésiaste. Au fond, le livre n'est qu'un écrin. Ce qui compte, c'est le savoir et ce que l'on fait de ce savoir. Conscient de n'être à leur tour que des écrins, ils retournent à la civilisation récemment dévastée par une guerre pour distribuer ces éléments de réflexion aux hommes afin, espèrent-ils, d'enrayer notre tendance à la destruction perpétuelle. Quel beau message d'espoir ! J'ai trouvé cette fin excellente : suffisamment ouverte et soumise aux aléas des êtres et du monde pour ne pas être un happy end facile, mais suffisamment lumineuse pour nous donner envie de continuer à lire, à parler de nos lectures pour porter ce goût et ce pouvoir du savoir. J'avoue qu'en tant que prof, je n'ai pu qu'être touchée de me dire que là était pour moi l'essence même de mon métier.
Les livres intemporels et primordiaux ne sont pas légions dans tout ce qui nous tombe régulièrement sous les yeux. Souvent, on referme un livre en se disant qu'il est bien agréable mais il y a fort à parier, si on n'en rédige pas une chronique dans les jours qui suivent, qu'on en aura oublié les trois quarts rapidement. Et puis, il y a les autres livres, ceux que l'on oublie pas et auxquels on reviendra. Je peux ajouter Fahrenheit 451 à ces livres-là.
Challenge des 100 livres à avoir lus chez Bianca
13eme lecture
Challenge Le mélange des genres chez Miss Léo
1ere participation catégorie SF
07:00 Publié dans Challenge, Classiques, Littérature anglophone, Réflexion, SF/Fantasy | Lien permanent | Commentaires (18)