13/02/2012
La jeune fille suppliciée sur une étagère d'Akira Yoshimura
[Les inscriptions pour le swap du printemps, c'est par ici. N'hésitez pas!]
La jeune fille suppliciée sur une étagère suivi de Le sourire des pierres d'Akira Yoshimura, traduit du japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle, Actes Sud, 2003 / Babel, 2006, 142p.
Dans La jeune fille suppliciée sur une étagère, une adolescente de 16 ans tout juste décédée découvre que sa conscience du monde, sa vue et son ouïe lui ouvrent toujours la porte des vivants. Elle observe ainsi sa mère donner son corps à la science en échange d'un "don de l'hôpital" (quel doux euphémisme) puis va subir l'expérience terrifiante de son corps dépecé, vidé, décomposé par divers médecins et observé comme un vulgaire objet par une tripotée d'internes.
Dans Le sourire des pierres, Eichi retrouve par hasard son ancien camarade Sone avec qui il avait fait jadis une découverte macabre dans le cimetière du quartier. Personnage mystérieux à la fois maladif et charismatique, il propose à Eichi de partir en quête de statuettes à revendre puis de louer la chambre vacante qu'il a à disposition. Peu à peu, Eichi se sent du plus en plus mal à l'aise au contact de cet étrange personnage, d'autant plus lorsqu'il découvre que sa présence semble semer la mort sur son passage...
Sans le vouloir vraiment, mes récentes lectures courtes sont décidément orientées sur des sujets peu réjouissants ! (et encore, vous n'avez pas vu le livre que Babelio m'envoie pour les Masses Critiques aha - celui-là tiendra le haut du panier macabre, je crois)
Néanmoins, cela n'empêche pas d'apprécier les deux courts récits que voilà. Pourtant habituellement peu portée sur la littérature asiatique (lorsqu'elle n'est pas poétique), j'ai découvert ici un univers des plus étrange où le lecteur reste tendu au fil de la narration, comme en équilibre, dans l'attente d'une chute dont il ne sait s'il doit l'espérer ou la redouter. La mort est traitée à travers des histoires particulièrement originales et avec une blancheur de ton dont la limpidité offre des nouvelles à mi-chemin entre l'expérience chirurgicale et le conte mystérieux.
*
Incipit :
"A partir du moment où la respiration s'est arrêtée, j'ai soudain été enveloppée d'air pur, comme si la brume épaisse qui flottait alentour venait de se dissiper pour un temps.
Je me sentais aussi fraîche que si l'on m'avait baigné le corps tot entier dans une eau limpide et pure.
Je m'apercevais que mes sens étaient tellement affûtés que c'en était étrange.
A travers la fenêtre brillaient des toiles d'araignées couvertes de gouttelettes, tendues comme des hamacs entre l'auvent de la maison et celui de l'autre maison derrière, et qui m'éblouissaient."
Challenge Dragon 2012
2/5 pour les livres
09:03 Publié dans Challenge, Littérature asiatique | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : mort, suicide, japon, médecine, argent
19/01/2012
La terre d'Emile Zola
La terre de Zola, 1887, 500p.
Quinzième tome des Rougon-Macquart, La Terre s'attaque à l'univers paysan avec une âpreté qui n'a d'égal que ce sol hiératique.
Sur une période de dix ans, il s'articule autour de la famille des Fouan - parents, oncles et tantes, enfants puis petits-enfants - dont il brosse la descente aux enfers avec toute une cohorte de personnages-satellites mesquins, ignards et ivrognes sous le ciel de Rognes. C'est Jean Macquart, fils d'Antoine Macquart, qui représente ici l'illustre famille zolienne. Il apparaissait déjà dans La Fortune des Rougon où il était apprenti menuisier. Tiré au sort par la suite pour participer aux batailles de son siècle dont il sort physiquement indemne, c'est en Beauce, comme ouvrier agricole, qu'il aspire à couler des jours paisibles après les horreurs de la guerre. C'est ainsi qu'on le croise, semant son blé aux premières lignes du roman.
Le coeur de toute cette affaire, le véritable héros muet du roman, c'est la terre. Erigée en dieu inflexible, ce n'est pas tant ce qu'elle produit ou le travail qu'elle réclame qui aiguise les tempéraments mais bien sa possession. Avec une fureur bestiale, il s'agit d'avoir à tous prix car c'est l'avoir qui définira l'être, c'est ainsi qu'il pourra enfoncer ses racines et s'élever aux détriments des autres. Rien n'est épargné de la déchéance physique et morale de cette espèce avide, ni l'alcool, ni l'impudeur des relations, pas même le meurtre.
La terre comme dieu et les hommes comme bêtes, ainsi pourrait se croquer cet ouvrage. L'auteur continue d'explorer sans concession les aspects les plus sombres de l'homme, sans qu'aucune lueur d'espoir n'éclaire l'horizon, avec l'emprunte du siècle toujours en filigrane - notamment la révolution industrielle qui oppose les intérêts des ouvriers à ceux des paysans.
C'est là l'oeuvre riche et noire d'un bas peuple qui se débat et se grignote sans sa propre fange et que le lecteur ne pourra que lire comme on reçoit une claque magistrale.
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Extraits :
"Alors, en quelques mots lents et pénibles, il résuma inconsciemment toute cette histoire : la terre si longtemps cultivée pour le seigneur, sous le bâton et dans la nudité de l'esclave, qui n'a rien à lui, pas même sa peau ; la terre, fécondée de son effort, passionnément aimée et désirée pendant cette intimité chaude de chaque heure, comme la femme d'un autre que l'on soigne, que l'on étreint et que l'on ne peut posséder ; la terre, après des siècles de ce tourment de concupiscence, obtenue enfin, conquise, devenue sa chose, sa jouissance, l'unique source de sa vie. Et ce désir séculaire, cette possession sans cesse reculée, expliquait son amour pour son champ, sa passion de la terre, du plus de terre possible, de la motte grasse, qu'on touche, qu'on pèse au creux de la main. Combien pourtant elle était indifférente et ingrate, la terre ! On avait beau l'adorern elle ne s'échauffait pas, ne produisait pas un grain de plus. De trop fortes pluies pourissaient les semences, des coups de grêle hachaient le blé en herbe, un vent de foudre versait les tiges, deux mois de sécheresse maigrissaient les épides ; et c'était encore les insectes qui rongent, les froids qui tuent, des maladies sur le bétail, des lèpres de mauvaises plantes mangeaient le sol : tout devenait une cause de ruine, la lutte restait quotidienne, au hasard de l'ignorance, en continuelle alerte. Certes, lui ne s'était pas épargné, tapant des deux poings, furieux de voir que le travail ne suffisait pas. Il y avait desséché les muscles de son corps, il s'était donné tout entier à la terre, qui, après l'avoir à peine nourri, le laissait misérable, inassouvi, honteux d'impuissance sénile, et passait aux bras d'un autre mâle, sans pitié même pour ses pauvres os, q'elle attendait."
"- Ah! Tout fout le camp! cria-t-il avec brutalité. Oui, nos fils verront ça, la faillite de la terre...Savez-vous bien que nos paysans, qui jadis amassaient sou à sou l'achat d'un lopin, convoité des années, achètent aujourd'hi des valeurs financières, de l'espagnil, du portugais, même du mexicain! Et ils ne risqueraient pas cent francs pour amender un hectare! Ils n'ont plus confiance. Les pères tournent dans leur routine comme des bêtes fourbues, les filles et les garçons n'ont que le rêve de lâcher les vaches, de se débarasser du labour pour filer à la ville... Mais le pis est que l'instruction, vous savez! la fameuse instruction qui devait sauver tout, active cette émigration, cette dépopulation des campagnes, en donnant aux enfants une vanité sotte et le goût du faux bien-être..."
"Tous deux, le cultivateur et l'usinier, le protectionniste et le libre-échangiste, se dévisagèrent, l'un avec le ricanement de sa bonhommie sournoise, l'autre la hardiesse franche de son hostilité. C'était l'état de guerre moderne, la bataille économique actuelle, sr le terrain de la lutte pour la vie."
Challenge Rougon-Macquart
13/20
Challenge "un classique par mois"
Janvier 2012
09:00 Publié dans Challenge, Classiques, Coups de coeur, Littérature française et francophone | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : terre, paysan, alcool, déchéance, meurtre, industrialisation, rougon-macquart, famille, argent, possession