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16/12/2017

Neverland de Timothée de Fombelle

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J'étais parti à l'aventure. Je cherchais la lisière du pays perdu. Je le reconnaîtrais à sa lumière. 

Il était une fois un homme qui partait à la recherche de l'enfance. Littéralement.
Il prépare son baluchon, emmène cartes, boussole et carnets dont il se délestera progressivement et prend la route sur son fidèle destrier, compagnon indispensable du voyageur des pays imaginaires.
Au fur et à mesure du périple, il croise nombre de souvenirs, dont on découvre qu'ils sont aussi fondateurs de l'homme que de l'écrivain - ainsi le passage à l'âge adulte est-il la demande d'écrire un texte par et pour son grand-père.
A chacune de ces étapes, il sent une présence étrange et pénétrante : il est suivi. Il semble que ces contrées broussailleuses de l'enfance, où ronronne le ruisseau et bleuissent les mûres, sont aussi celles des mystères qui suivent autant qu'elles accrochent les adultes. 

Il y a des petites traces dans la boue, au bord du marais. C'est l'aube. La brume flotte sur l'eau. Mon cheval m'attend dans les roseaux et surveille mes bottes posées sur la rive. 
De l’œil, je suis les traces qui flânent jusqu'à l'eau. Quelqu'un est venu pour boire ici. 

Décidément, la distinction entre roman jeunesse et roman adulte n'aura jamais été aussi vaine que dans le cas de Timothée de Fombelle. J'ai retrouvé très exactement dans ce Neverland la même poésie de l'enfance, où tout devient magie et aventure, que dans Le livre de Perle et les ai d'ailleurs dévorés tous deux pareillement, sous un plaid et avec une tasse de thé - mes propres montures pour sillonner les territoires fabuleux qu'offre la littérature. Ce qui crée la nouveauté dans ce titre, et le fait passer du côté obscur de l'adulte, est le dévoilement de l'écrivain derrière ses figures chimériques. Timothée de Fombelle se livre, évoque des instants clé ou la maison de son enfance ; sous sa plume, ces derniers deviennent  flambeau dans la nuit ou île abandonnée. 

L'enfant commence par être cet instant suspendu, désarmé, qui faillit comme un bouchon au milieu de la mer et regarde autour de lui. 
Et quand il sera ivre d'avoir senti, quand il aura tapissé l'intérieur de ce qui l'entoure, il se mettra à imaginer. 

Je dois dire pourtant que, même s'il m'a semblé retrouver en tout point le Timothée de Fombelle que j'aime, j'ai été globalement déçue ici. Ce fameux pas de côté qui fait de ce récit un pont étonnant entre imaginaire et autobiographie, est finalement celui qui fait perdre du sel à l'ensemble. J'aime passionnément Fombelle lorsqu'il crée des mondes ; je l'ai trouvé moins saisissant dans le récit poético-imaginaire de sa banalité personnelle, même au galop sur son cheval, et même à la recherche d'indices derrière les buissons. On a très vite fait le tour de la métaphore qui s'étire péniblement, accompagnée de quelques autres qui ressortent les poncifs littéraires du placard - ainsi les absents deviennent fantômes, à titre d'exemple. Aussi, arrivée à la moitié du livre, je me suis ennuyée. Tout est raconté délicieusement car c'est toujours Timothée de Fombelle à la plume. Tout est doux, moelleux et charmant, un peu comme les guimauves de monsieur Perle, voyez-vous. Mais dans ce titre-là, décidément, il a manqué d'un ingrédient. Je me demande si ce n'est pas précisément cet ingrédient indispensable de l'enfance qui a été laissé sur le carreau : la folie, celle qui nous pousse en dehors de nous-mêmes pour créer du nouveau. 

Seule la beauté console. Alors je m'allongeais dans des bassins profonds. Je me laissais porter par l'eau venue d'en haut. 

Je rentrais chez moi . 

22/10/2017

Lettre à un otage d'Antoine de Saint Exupéry

lettre,lettre ouverte,autobiographie,histoire,guerre,seconde guerre mondiale,saint exupéry,emigration,exil,isolement,solitude,amitié,humanité,espoir,joie,partageQui dit texte autobiographique avec la Seconde Guerre Mondiale en toile de fond, dit souvent fête à mémé, tristesse et désespoir. Vu l'ampleur du saccage, comment pourrait-il en être autrement ? Saint-Exupéry ne déroge pas complètement à cette règle dans sa lettre ouverte, initialement prévue comme la préface de 33 jours de Léon Werth, l'otage du titre, avant d'être remaniée et envisagée comme autonome.

Le texte s'ouvre sur une première partie d'une mélancolie lancinante où le narrateur apparaît d'autant plus perdu, dans le Lisbonne de 1940, qu'il ne se reconnaît pas en la tripotée de joyeux riches expatriés qu'il rencontre. L'ombre de la guerre, c'est évidemment la peur et la mort, mais aussi le déracinement et le remords de la fuite. Contrairement à ces autres émigrants, Saint Exupéry ne poursuit pas un but pécuniaire - mettre son argent à l'abri - mais politique - convaincre les Etats-Unis d'entrer en guerre. Il n'empêche qu'il porte douloureusement le poids de son départ comme un manquement à ceux qui restent. 

Alors commence le vrai voyage, qui est hors de soi-même. 

 

La véritable interrogation de ce récit se dessine alors ici : comment continuer à être soi, comment rebondir, se reconstruire et espérer lorsqu'on est amputé de ses racines, et que la guerre invite à la haine de l'autre et à la suspicion perpétuelle ? Loin de la solitude subie que provoque une foule sans visages, c'est dans une solitude paisible et consentie que l'être se rassérène. Le désert le rappelle au point cardinal de sa géographie intérieure : l'amitié. 

Et comme le désert n'offre aucune richesse tangible, comme il n'est rien à voir ni à entendre dans le désert, on est bien contraint de reconnaître, puisque la vie intérieure loin de s'y endormir s'y fortifie, que l'homme est animé d'abord par des sollicitations invisibles. L'homme est gouverné par l'Esprit. Je vaux, dans le désert, ce que valent mes divinités. 

 

La simplicité et la tendresse des relations humaines, développées à travers autant d'anecdotes mettant en scène Léon Werth ou des soldats ennemis, brodent l'espoir profond et ravivé d'une humanité riche de toute sa diversité capable de projeter l'avenir d'une entente universelle.

Si je diffère de toi, loin de te léser, je t'augmente. 

Auprès de toi, je n'ai pas à me disculper, je n'ai pas à plaider, je n'ai pas à prouver ; je trouve la paix. 

Certains le liront comme un vœu pieu tant l'Histoire se charge régulièrement de nous décourager ; d'autres comme le souffle vivifiant qui redonne la foi. Une chose est sûre : à lire ce court et beau texte de Saint-Exupéry, ne pas perdre espoir, en certaines périodes particulièrement sombres et troublées, apparaît clairement comme une sacrée preuve de courage. 

Cette qualité de la joie n'est-elle pas le fruit le plus précieux de la civilisation qui est la nôtre ? Une tyrannie totalitaire pourrait nous satisfaire, elle aussi, dans nos besoins matériels. Mais nous ne sommes pas un bétail à l'engrais. La prospérité et le confort ne sauraient suffire à nous combler. Pour nous qui fûmes élevés dans le culte du respect de l'homme, pèsent lourd les simples rencontres qui se changent en fêtes merveilleuses. 

03/03/2017

En finir avec Eddy Bellegueule d'Edouard Louis

edouard louis,eddy bellegueule,en finir avec eddy bellegueule,autobiographie,premier romanAvant toute chose : on croit lire, tranquillou bilou pendant les vacances, et on se retrouve en fait à prendre une grosse claque dans la gueule. L'appréciation qu'on peut en dégager par la suite dépendra de chaque lecteur mais tous auront en commun d'avoir lu certains passages en apnée, un peu ahuris. Mais c'est vraiment possible, un truc pareil ? (et tu constateras, au passage, ami lecteur de mon blog, que je reprends honteusement la manière d'insérer la parole d'Edouard Louis. C'est mon côté éponge)

Edouard Louis naît Eddy Bellegueule dans un petit village de la Somme en 1992. Comme dans bien des familles de cette région-là, du moins de ce village-là et selon les dires de l'auteur, ses parents arrêtent très tôt leurs études ; son père travaille à l'usine au sortir de l'école et sa mère tombe enceinte à dix-sept ans ; la télé est le dieu de la maisonnée (on ne déroge pas à La roue de la fortune avec un petit jaune hein) ; l'alcool et la violence sont quotidiens, moyens d'expression et de délassement ; la culture est  inexistante voire méprisée ; l'homophobie et le racisme monnaie courante.
Autant dire que le jeune Eddy, avec sa voix aiguë dès son plus jeune âge, ses manières, son absence d'intérêt pour le sport, son attirance pour le théâtre et les habits de sa sœur se trouve assez vite en marge, différent. Qu'il s'agisse de réflexions parentales, sans doute bienveillantes, mais terriblement maladroites voire cinglantes, d'insultes à tous les coins de rues ou de coups dans les couloirs du collège, il comprend assez vite que sa nature ne convient pas à son milieu. Il tente de changer, d'abord. Singe, ou plutôt s'ingénie à le faire avec le plus grand talent possible, les comportements ataviques des garçons de son âge. C'est en dernier recours qu'il décide la fuite : vers un lycée d'Amiens qui pratique le théâtre en option lourde. Un autre milieu, une autre manière d'aborder l'homosexualité, la culture, la différence, semble-t-il. C'est en tout cas comme cela que l'a vécu Eddy, devenu Edouard par le truchement de ses camarades qui ne peuvent imaginer qu'Eddy soit autre chose qu'un diminutif. Ainsi se clôt le chapitre de son enfance comme une volonté d'enterrer la honte, la douleur, l'indigence - ou plutôt de la digérer pour que naisse Edouard Louis en littérature

Au moment où je rédige ce billet, j'hésite encore à le mettre en coup de cœur. La vérité, c'est que je l'ai dévoré, qu'il m'a touchée à chaque page et qu'encore maintenant, j'y pense régulièrement. D'ailleurs, parmi les nombreux livres en attente d'une chronique, c'est le premier que j'ai empoigné. Bref, il a toutes les caractéristiques d'un coup de cœur, et en même temps il glace le sang, il retourne presque trop, et peut déranger.
Parce que, concrètement, si l'on peut reconnaître un souci de franchise très impressionnant et une émotion indéniable qui se dégagent des mots d'Edouard Louis, on est tenté d'y voir une étonnante (et dérangeante) corrélation (et je l'ai formulée comme tel plus haut à dessein) entre sexualité et milieu. Grosso modo, pour schématiser : milieu de ploucs du Nord = homosexualité abhorrée ; milieu bourgeois de centre-ville = homosexualité acceptée. Sauf que, après réflexion, le propos d'Edouard Louis est plus complexe que ça. Toute la différence réside dans la manière de dire, de montrer. Or il y a une absence de filtre et une décomplexion terribles dans l'intolérance des villageois de son enfance. Et j'aurais tendance à  penser, malheureusement, que l'auteur n'en brosse pas un portrait caricatural. On peine à le concevoir mais ces attitudes, ces schémas de vie de couple, de famille, cet alcoolisme atavique, existent bel et bien. L'Assommoir à la campagne, c'est une réalité. 

Peut-être est-ce parce que j'habite en Creuse après avoir connu plus de 25 ans le centre-ville de Lyon que cette manière d'appréhender une manière de penser - ou plutôt de l'exprimer - en fonction d'un milieu ne me choque pas : je le constate fréquemment moi-même. Et Edouard Louis l'a amenée avec un mélange de pudeur et en même temps de franchise violente assez courageuse. C'est fou parce que cette manière de tout envoyer chier, de prendre un virage, c'est aussi une manière de dire qu'il préfère aimer en partant que détester en végétant dans ce marasme. Je vous aime mais je pars, 'voyez un peu le genre ? Allez, je crois que c'est décidé : je le colle en coup de cœur. Comme quoi, écrire, ça aide à mettre les idées en place ! 

edouard louis,eddy bellegueule,en finir avec eddy bellegueule,autobiographie,premier romanEn finir avec Eddy Bellegueule d'Edouard Louis, Points, 2015[2014], 204p.