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19/01/2012

La terre d'Emile Zola

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La terre de Zola, 1887, 500p.


Quinzième tome des Rougon-Macquart, La Terre s'attaque à l'univers paysan avec une âpreté qui n'a d'égal que ce sol hiératique.
Sur une période de dix ans, il s'articule autour de la famille des Fouan - parents, oncles et tantes, enfants puis petits-enfants - dont il brosse la descente aux enfers avec toute une cohorte de personnages-satellites mesquins, ignards et ivrognes sous le ciel de Rognes. C'est Jean Macquart, fils d'Antoine Macquart, qui représente ici l'illustre famille zolienne. Il apparaissait déjà dans La Fortune des Rougon où il était apprenti menuisier. Tiré au sort par la suite pour participer aux batailles de son siècle dont il sort physiquement indemne, c'est en Beauce, comme ouvrier agricole, qu'il aspire à couler des jours paisibles après les horreurs de la guerre. C'est ainsi qu'on le croise, semant son blé aux premières lignes du roman.

Le coeur de toute cette affaire, le véritable héros muet du roman, c'est la terre. Erigée en dieu inflexible, ce n'est pas tant ce qu'elle produit ou le travail qu'elle réclame qui aiguise les tempéraments mais bien sa possession. Avec une fureur bestiale, il s'agit d'avoir à tous prix car c'est l'avoir qui définira l'être, c'est ainsi qu'il pourra enfoncer ses racines et s'élever aux détriments des autres. Rien n'est épargné de la déchéance physique et morale de cette espèce avide, ni l'alcool, ni l'impudeur des relations, pas même le meurtre.

La terre comme dieu et les hommes comme bêtes, ainsi pourrait se croquer cet ouvrage. L'auteur continue d'explorer sans concession les aspects les plus sombres de l'homme, sans qu'aucune lueur d'espoir n'éclaire l'horizon, avec l'emprunte du siècle toujours en filigrane - notamment la révolution industrielle qui oppose les intérêts des ouvriers à ceux des paysans.
C'est là l'oeuvre riche et noire d'un bas peuple qui se débat et se grignote sans sa propre fange et que le lecteur ne pourra que lire comme on reçoit une claque magistrale.


*

Extraits :


"Alors, en quelques mots lents et pénibles, il résuma inconsciemment toute cette histoire : la terre si longtemps cultivée pour le seigneur, sous le bâton et dans la nudité de l'esclave, qui n'a rien à lui, pas même sa peau ; la terre, fécondée de son effort, passionnément aimée et désirée pendant cette intimité chaude de chaque heure, comme la femme d'un autre que l'on soigne, que l'on étreint et que l'on ne peut posséder ; la terre, après des siècles de ce tourment de concupiscence, obtenue enfin, conquise, devenue sa chose, sa jouissance, l'unique source de sa vie. Et ce désir séculaire, cette possession sans cesse reculée, expliquait son amour pour son champ, sa passion de la terre, du plus de terre possible, de la motte grasse, qu'on touche, qu'on pèse au creux de la main. Combien pourtant elle était indifférente et ingrate, la terre ! On avait beau l'adorern elle ne s'échauffait pas, ne produisait pas un grain de plus. De trop fortes pluies pourissaient les semences, des coups de grêle hachaient le blé en herbe, un vent de foudre versait les tiges, deux mois de sécheresse maigrissaient les épides ; et c'était encore les insectes qui rongent, les froids qui tuent, des maladies sur le bétail, des  lèpres de mauvaises plantes mangeaient le sol : tout devenait une cause de ruine, la lutte restait quotidienne, au hasard de l'ignorance, en continuelle alerte. Certes, lui ne s'était pas épargné, tapant des deux poings, furieux de voir que le travail ne suffisait pas. Il y avait desséché les muscles de son corps, il s'était donné tout entier à la terre, qui, après l'avoir à peine nourri, le laissait misérable, inassouvi, honteux d'impuissance sénile, et passait aux bras d'un autre mâle, sans pitié même pour ses pauvres os, q'elle attendait."

 

"- Ah! Tout fout le camp! cria-t-il avec brutalité. Oui, nos fils verront ça, la faillite de la terre...Savez-vous bien que nos paysans, qui jadis amassaient sou à sou l'achat d'un lopin, convoité des années, achètent aujourd'hi des valeurs financières, de l'espagnil, du portugais, même du mexicain! Et ils ne risqueraient pas cent francs pour amender un hectare! Ils n'ont plus confiance. Les pères tournent dans leur routine comme des bêtes fourbues, les filles et les garçons n'ont que le rêve de lâcher les vaches, de se débarasser du labour pour filer à la ville... Mais le pis est que l'instruction, vous savez! la fameuse instruction qui devait sauver tout, active cette émigration, cette dépopulation des campagnes, en donnant aux enfants une vanité sotte et le goût du faux bien-être..."

 

"Tous deux, le cultivateur et l'usinier, le protectionniste et le libre-échangiste, se dévisagèrent, l'un avec le ricanement de sa bonhommie sournoise, l'autre la hardiesse franche de son hostilité. C'était l'état de guerre moderne, la bataille économique actuelle, sr le terrain de la lutte pour la vie."





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Janvier 2012

29/12/2011

Maus d'Art Spiegelman

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Maus d'Art Spiegelman, Flammarion, 296p.

Prix Pulitzer 1992


C'est la lecture du billet de Manu qui m'a inspiré cette lecture et je l'en remercie, tant la découverte est excellente !

Art Spiegelman se lance à la fin des années 70 dans une entreprise délicate : raconter la vie de son père durant la seconde guerre mondiale. Il aura donc avec lui de longs entretiens pour balayer la fin des années 30 avec les premières restrictions jusqu'en 46 lors de ses retrouvailles avec sa femme après les camps. De longs entretiens également relatés tout au long de la BD où l'on voit l'oeuvre en train de se faire et les tensions vives entre les deux hommes qui ne s'entendent que peu. Vladek Spiegelman n'est pas un homme facile, pétri de défauts que les camps de concentration ont sans aucun doute exacerbés (l'avarice, la maniaquerie...)

Ce récit graphique est tout simplement époustouflant et émouvant. L'auteur a réussi à trouver l'équilibre parfait entre l'histoire personnelle et familiale, et la grande Histoire. A aucun moment il ne se fait le chantre d'une dénonciation de "ce qui se passait pendant la guerre ou dans les camps" mais du coup, il le dénonce encore mieux en racontant cette histoire simple et atrocement extraordinaire. C'est vraiment le genre de lecture qui scotche et qui coupe le sifflet parce que, juste, c'est ce qui s'est passé et franchement, ça fait froid dans le dos... Heureusement que l'art, quelque part, permet de mettre des mots sur les souffrances et de les transcender...

 

 

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