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14/02/2018

3000 façons de dire je t'aime de Marie-Aude Murail

3000 façons de dire je t'aime.jpgChloé, Bastien et Neville se sont connus en 5e - comprendre par là qu'ils se sont lointainement côtoyés dans la même classe et ont profité de la même prof de français un peu folle qui a su, diversement, leur passer le virus du théâtre. Après avoir été séparés par les années, ils se retrouvent un beau matin au concours d'entrée du conservatoire d'art dramatique de leur ville. Chloé est alors fraîchement étudiante en prépa, Bastien s'ingénie à ne jamais  mettre les pieds en fac de Droit, et Neville vit de vols et de deals divers en déclamant passionnément de la poésie dans sa tête.  Tout persiste donc à les opposer mais ils se reconnaissent pourtant, de façon instinctive, et ne se quittent plus de l'année. Ils vont ainsi évoluer de concert, en même temps qu'ils s'aguerrissent à la scène, au gré des plus grands textes classiques du répertoire théâtral. 

Ce roman signe pour moi la découverte de Marie-Aude Murail tant adulée sur les blogs et dans les salles de professeurs.
Le point de départ de ce roman est pour le moins original et enthousiasmant - sans compter qu'on a tous plus ou moins rêvé un jour d'une professeur aussi allumée et emballante que Mme Plantié (oserais-je dire qu'il se pourrait même que certains parmi nous rêvent de l'être devenue ?). Dès la plongée de nos protagonistes dans l'univers du conservatoire - parce que l'entre-deux de leur prime adolescence n'intéresse ici que peu - le théâtre devient miroir de leur vie et de leurs relations grâce aux choix judicieux du maître, Jeanson, comme une jolie manière pour l'auteure de souligner l'enjeu du théâtre et, plus largement, de la littérature : interroger notre vie, notre quotidien, nos problématiques existentielles banales et en faire le maillon d'une toile universelle. C'est vraiment le point que j'ai apprécié au cours de ma lecture : ce mélange des genres amené fort subtilement. L'auteure maîtrise sans nul doute ses classiques sur le bout des doigts et a su les distiller fort à propos. Ici, on l'aura compris au vu du titre et de l'âge des personnages, c'est l'amour qui les taraude principalement (et un peu leur devenir, parfois) : amour amoureux, amitié, sensualité, monogamie, polygamie ? Ils naviguent à vue et tentent chacun à leur façon de trouver leur juste place. 

– Allons, jeune fille... Comment t'appelles-tu ?
- Chloé.
- Chloé. Du courage, Chloé ! Au théâtre on est d'abord un corps, un corps en pleine lumière que dix, vingt, cent, mille personnes regardent et détaillent. Un corps avec des jambes, pose bien tes pieds au sol, voilà. Lâche tes mains, ne cache rien. Tu as un corps avec des seins, tu es un corps de jeune fille. Maintenant, respire, respire...

Chloé était devenue écarlate. Jeanson s'écarta d'elle, après une petite tape sur l'épaule. 
Le premier langage est celui du corps. Les mots, ça vient après... 

Néanmoins, je n'ai pas vraiment décollé tout au long de ma lecture d'un sentiment de gentillesse un peu trop policée. Les personnages ne m'ont pas semblé avoir vraiment de chair, d'épaisseur, de vigueur - y compris Neville qui est pourtant censé être un nouveau Patrick Dewaere. Je les ai trouvés assez caricaturaux chacun dans leur genre : Neville, le poète maudit génial ; Bastien, le branleur un poil lourd et Chloé, besogneuse, charmante mais surtout profondément insipide et sans véritable talent, dont le seul intérêt dans l'histoire est d'incarner "la fille" du trio. En somme, un trio à la Harry Potter complètement raté en franchement moins bien. Il est tout à fait possible que ma lecture ait souffert de faire suite à Eleanor & Park mais j'ai vraiment eu le sentiment au fil des pages que l'auteure avait échoué à saisir l'essence même de l'adolescence pour donner à son roman le corps nécessaire. A part ça, la langue est belle, bien sûr. Une atmosphère charmante de légèreté s'en dégage et c'est mignon tout plein. Voilà : c'est mignon tout plein. J'avoue qu'après ça, j'hésite grandement à poursuivre la découverte de Marie-Aude Murail... Toute son oeuvre est du même acabit ? 

26/09/2011

Stoner de John Williams

 

Bonne nouvelle pour mon porte-monnaie : La bibliothèque de mon trou paumé a ENFIN reçu les nouveautés de la rentrée littéraire.
Mauvaise nouvelle pour mon envie de me jeter dessus : Un seul prêt de nouveauté est autorisé à la fois. Non mais c'est quoi cette restriction? Je suis outrée. Et le pire, c'est que c'est la seule médiathèque à une cinquantaine de bornes à la ronde (oui j'habite VRAIMENT dans un trou paumé). Faut absolument que je trouve un moyen de soudoyer le personnel.

 

Bref.

Puisqu'il n'en fallait qu'un, j'ai choisi celui là :

 

9782842636449.jpg

Stoner de John Williams, traduit par Anna Gavalda, Le Dilettante, Sept. 2011 (paru pour la première fois aux USA en 1965)

 

 

Faut-il préciser que ce n'est pas le bandeau évoquant la libre traduction d'Anna Gavalda qui m'a incité à le lire? Ce sont plutôt ces quelques mots du résumé : "Il se voue corps et âme à la littérature" [...] "Célébration d'une âme droite enchâssée dans un corps que la vie a très tôt voûté, voilà le récit d'une vie austère en apparence, ardente en secret".
Et là, il se passe de ces brefs instants de découvertes livresques où on se dit "Nom de Dieu, ce bouquin est écrit pour moi, il FAUT que je le lise".

Concrètement, le livre est autant (si ce n'est plus) un hommage à la vocation d'enseigner (et j'ai bien pensé à vous, chers amis profs) qu'à la littérature en elle-même à travers la vie de William Stoner. Fils de paysan que ses parents ont envoyé à Columbia suivre un cursus d'agriculture, il se découvre une passion pour les Lettres, s'y lance à corps perdu et devient professeur dans cette même université. Sa vie, pourtant, est loin d'être heureuse et apparaît même un peu ratée : professionnellement, il ne décollera jamais du poste de maître de conférence, se marie avec une femme qui ne l'aime pas et qui lui mène la vie sacrément dure, sa fille lui échappe, et il doit abandonner l'amour qu'il trouve enfin (parce qu'à cette époque, c'est du plus mauvais effet).

Je me suis demandée au fil des pages ce qu'il y avait de si extraordinaire et de si lumineux pour que tant d'écrivains anglo-saxons le considèrent comme leur livre emblématique. Jusqu'à ce que j'avale de plus en plus de pages à la fois et que je sois littéralement scotchée vers la fin, les mains un peu fébriles et toute émue comme une gamine en me disant "merde, ça peut pas être fini, y a encore des choses à vivre!"

C'est vrai, sa vie en apparence est un peu ratée. Il n'arrive pas à grand chose de concret ni de brillant. Il est de ses vies qui ne marquent pas les mémoires. Mais même s'il lui arrive de se carapaçonner dans une indifférence protectrice, William Stoner vit, malgré tout. Il voit quand même la beauté du monde dans quelques petits riens de la vie et dans ses cours qu'ils préparent et donnent avec passion. Il assume ses choix et finit par accepter avec une lumineuse sérénité la mort qui terrorise tous les autres. Malgré tout, il a vécu pleinement. "Il eut soudain, et ce fut saisissant, conscience de sa quiddité. Plus qu'une sensation, ce fut une évidence : il était lui, William Stoner, et il sut qui il avait été."
Voilà, tout est là.

 

*

 

Extraits (oui, plusieurs, parce que je suis incapable de choisir entre ces 3 sublimes morceaux):

 

"Bien qu'il fût censé apprendre des bases de grammaire et de composition écrite à un groupe de jeunes étudiants des plus hétérogènes qui soit, il était impatient et enthousiaste de s'atteler à cette mission qu'il abordait avec le plus grand sérieux. Il prépara ses cours pendant la semaine qui précédait la rentrée et ce premier travail de déchiffrage entrabâilla la porte du monde infini qui s'offrait à lui. Il comprenant le rôle de la grammaire et percevait comment, par sa logique même, elle permettait, en structurant un langage, de servir la pensée humaine. De même, en préparant de simples exercices de rédaction, il était frappé par le pouvoir des mots, par leur beauté, et avait hâte de se lancer enfin pour pouvoir partager toutes ces découvertes avec ses étudiants."

 

"Mais pendant ces semaines loin d'Edith, il lui arrivait, lors de ses cours, de se laisser emporter par son sujet et de s'y perdre si intensément qu'il en oubliait ses doutes, ses faiblesses, qui il était et même les jeunes gens assis devant lui. Oui, il lui arrivait d'être tellement pris par son enthousiasme qu'il en bégayait. Il se mettait à gesticuler et finissait par délaisser complètement ses notes. Au début, il fut décontenancé par ces emportements comme s'il craignait de s'être montré trop familier avec les auteurs ou les textes qu'il vénérait et finissait toujours par s'excuser auprès de ses élèves, mais quand ils commencèrent à venir le voir à la fin des cours et que leurs devoirs manifestèrent enfin quelques lueurs d'imagination ou la révélation d'un amour encore hésitant, cela l'encouragea à continuer de faire ce que personne ne lui avait jamais appris.
Cet amour de la littérature, de la langue, du verbe, tous ces grands mystères de l'esprit et du coeur qui jaillissaient soudain au détour d'une page, ces combinaisons mystérieuses et toujours surprenantes de lettres et de mots enchâssés là, dans la plus froide et la plus noire des encres, et pourtant si vivants, cette passion dont il s'était toujours défendu comme si elle était illicite et dangereuse, il commença à l'afficher, prudemment d'abord, ensuite avec un peu plus d'audace et enfin... fièrement."

 

"Quand il était très jeune, William Stoner pensait que l'amour était une sorte d'absolu auquel on avait accès si l'on avait de la chance. En vieillissant, il avait décidé que c'était plutôt la terre promise d'une fausse religion qu'il était de bon ton de considérer avec un septicisme amusé ou un mépris indulgent, voire une mélancolie un peu douloureuse. Mais maintenant qu'il était arrivé à mi-parcours, il commençait à comprendre que ce n'était ni une chimère ni un état de grâce, mais un acte humain, humblement humain, par lequel on devenait ce que l'on était. Une disposition de l'esprit, une manière d'être que l'intelligence, le coeur et la volonté ne cessaient de nuancer et de réinventer jour après jour."

 

 

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4/7

 

19/09/2011

Soldat Peaceful de Michael Morpugo

 

Décidément, la première guerre mondiale me poursuit. Et puisqu'il s'agit d'agréables découvertes littéraires, je ne vais pas m'en plaindre.

 

soldat-peaceful.jpg

Soldat Peaceful de Michael Morpugo, traduit de l'anglais par Diane Ménard, Gallimard Jeunesse, 2004

 

 

C'est dans la nuit du 24 au 25 juin 1916, cette nuit qui ne doit pas finir, que Tommo déroule le fil de sa vie pour rester éveillé. Tous les instants de sa prime jeunesse peignent le tableau d'une petite famille modeste où brille l'amour malgré l'adversité. Avec son frère Charlie et Molly, ils forment un trio inséparable. Et puis, les sentiments évoluent et la guerre éclate. Tommo s'engage malgré son trop jeune âge pour ne pas quitter Charlie et soudain, ils ne sont plus si jeunes.
Dans cette nuit-là, ce sont les souvenirs qui rattachent Tommo à la vie avant que tout bascule.

L'auteur aborde ces destins tragiques de soldats à peine adultes, pris dans une guerre qui ne les concerne pas avec une écriture pure et pleine d'émotion. Malgré des caractères qui m'ont paru un peu simplistes, je suis restée vissée avec Tommo  jusqu'au bout de la nuit, prise entre sa tendre enfance et la violence de la guerre.

 

A partir de 13 ans

 

*

 

"- Non, a-t-il répond. Anna ne sera plus jamais là. Anna est morte. Tu entends ça, le Tommy? Vous venez tous ici, vous venez faire votre sale guerre chez moi. Pourquoi ? Réponds-moi ? Pourquoi ?

- Qu'est-ce-qui s'est passé?

- Ce qui s'est passé? Je vais te le dire ce qui s'est passé. Il y a deux jours, j'envoie Anna chercher les oeufs. Elle conduit la charette sur la route, un obus arrive, un gros obus boche. Un seul, mais ça suffit. Je l'ai enterrée aujourd'hui. Alors si tu veux voir ma fille, Tommy, il faut aller au cimetière. Et puis vous pouvez aller en enfer, tous autant que vous êtes, Anglais, Allemands, Français, vous croyez que j'en ai quelque chose à faire? Et vous pouvez emporter votre guerre en enfer avec vous, ils aimeront ça, là-bas. Laisse-moi tranquille, Tommy, laisse-moi."