14/06/2014
La pluie, avant qu'elle tombe de Jonathan Coe
La pluie, avant qu'elle tombe de Jonathan Coe, Gallimard, 2008, 248 pages
Au décès de sa tante Rosamund, Gill découvre avec étonnement qu'une partie de l'héritage est destiné à Imogen, une lointaine parente depuis longtemps oubliée de la famille. Sauf de Rosamund. Nul pourtant ne sait ce qu'elle est devenue et Gill ne parvient pas à la retrouver. Au bout de quatre mois de recherches infructueuses, elle décide d'écouter les cassettes audio que Rosamund avait enregistrées pour Imogen. Au son de sa voix, vont défiler une vingtaine de photos et trois générations de femmes meurtries, souvent seules, un peu libres et un peu folles. Cette histoire-là, c'est celle qui lie Rosamund à Imogen en un lien qui ne s'explique pas mais que le temps n'a jamais affaibli. Un peu comme la pluie avant qu'elle tombe : une chose irréelle mais terriblement puissante.
Je suis rentrée dans ce roman, l'air de rien, inspirée par l'enthousiasme de Miss Léo, ne sachant pas trop à quoi m'attendre. J'avais juste lu sur la quatrième de couverture qu'il était question de passé familial et de résonance entre les êtres, thématiques qui me parlent plutôt en ce moment.
Dès le début, je me suis laissée porter par Gill puis par les paroles de Rosamund. Toutes deux dégagent une empathie, une force douce et fiable qui m'a ravie. J'ai été particulièrement émue avec Rosamund, ai ressenti la douleur de l'absence ou la paix du temps qui fuit. Si la vieille femme déroule consciencieusement sa vie au fil des photos ; si le temps et la narration sont donc linéaires, Rosamund se sent reliée malgré elle à la lignée de Beatrix et son cœur ne cesse de battre à l'unisson de ces cœurs qui souvent la quittent. C'est ainsi l'amour et la tristesse qui résonnent entre les âges.
J'avoue qu'à plusieurs reprises, la construction systématique (à base de descriptions des photos par le menu en les numérotant au préalable) m'a un poil dérangée. J'ai trouvé que cela manquait de subtilité. C'est sans doute ce qui me retient de faire de ce livre un coup de coeur. Malgré tout, son émotion douce-amère continue de m'habiter.
La pluie, avant qu'elle tombe fait partie de ces romans que l'on dévore avec un plaisir non dissimulé, sans prétention, avouons-le, mais néanmoins de fort bonne facture, profond sans trop en faire, plein de mélancolie mais sans trop l'appuyer. Jonathan Coe a su trouver le dosage parfait pour se détendre et vibrer, disséminant au passage quelques petites perles l'air de rien.
"Cette voie chaude et rocailleuse qui étire le mot bonsoir jusqu’à cinq fois sa longueur, si bien qu’en l’entendant j’ai eu l’impression d’être repêchée d’une eau glacée et enveloppée dans une grosse couverture.”
"Cela faisait au moins dix ans que je n’étais pas passée par ces chemins. Ils paraissaient absolument familiers ; et en même temps, absolument inconnus et irréels. Je n’arrivais pas à concilier ces deux impressions. Je me rappelle très nettement cette sensation – cette pensée. La conscience que, parfois, il est possible – il est même nécessaire – d’associer des contraires ; d’admettre la vérité de deux choses qui se contredisent complètement. Je commençais tout juste à le comprendre, à reconnaître que c’est là l’une des conditions fondamentales de notre existence. Quel âge j’avais ? Trente-trois ans. Oui, effectivement : on pourrait dire que je commençais à être adulte."
2eme participation pour le mois anglais chez Lou, Titine et Cryssilda
LC Jonathan Coe avec Manu, Karine, Hérisson, Enna, Mirontaine, Cryssilda, Eva, Yueyin,
08:00 Publié dans Challenge, Lecture commune, Littérature anglophone | Lien permanent | Commentaires (35)
12/06/2014
La poésie du jeudi avec Rainer Maria Rilke
Point de blabla introductif aujourd'hui ; simplement un poème découvert par hasard au détour de la toile et immédiatement adoré. Simple et sublime : l'essence de Rilke.
Bon jeudi poétique !
La déesse
Au midi vide qui dort
combien de fois elle passe,
sans laisser à la terrasse
le moindre soupçon d'un corps.
Mais si la nature la sent,
l'habitude de l'invisible
rend une clarté terrible
à son doux contour apparent.
Rainer Maria Rilke
Illustration : The Light of the Harem (détail) de Frederick Leighton (1880)
08:00 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (20)
10/06/2014
Waterloo Necropolis de Mary Hooper
Waterloo Necropolis de Mary Hooper, Les Grandes Personnes, 2011, 314p.
Grace, 16 ans et sa soeur Lily, d'un an son aînée mais d'une simplicité d'esprit qui en fait sa cadette, vivent dans les bas-fonds du Londres victorien. Orphelines, elles subsistent en vendant du cresson dans la rue et rentrent le soir dans leur chambre miteuse de Seven Dials. Comment en sont-elles arrivées là ? Elles se destinaient pourtant à un avenir honorable, si ce n'est prestigieux, grâce aux formations de femme de chambre et d'institutrice dispensées dans un pensionnat. Elles s'en sont pourtant enfuies et le roman s'ouvre sur Grace, fille-mère d'un bébé mort-né, sur le quai du Waterloo Necropolis. Cet express mortuaire menait alors au nouveau cimetière en bord de ville. Sans argent pour payer un enterrement correct, Grace glisse son petit paquet dans le cercueil de Suzanna Solent. C'est lors de cet épisode qu'elle rencontre deux personnes cruciales pour son avenir, sans le savoir encore : James Solent, le frère de Suzanna. Jeune avocat ému par sa peine, il lui propose de l'aider si besoin. Grace gardera toujours sa carte et n'hésitera pas à se tourner vers James. Puis les Unwin, entrepreneurs de pompes funèbres véreux. Mrs Unwin propose à Grace une place de pleureuse d'enterrement, que celle-ci décline sur l'instant, terrifiée à l'idée côtoyer la mort comme un vautour. Mais de même, la carte de ce contact se révèlera salvateur sur bien des points...
Tout comme dans La messagère de l'au-delà, Mary Hooper ne donne décidément pas dans le sujet décontracté et très abordable. Après l'infanticide et la peine de mort, il est ici question de la misère terrible des londoniens à l'époque victorienne et de la corruption malsaine qui s'étalait à tous les étages de la société. Mary Hooper n'y va pas avec le dos de la cuillère, ne ménage pas son lecteur. A tel point que, si ce roman saura séduire un public adulte indulgent à l'égard des gentillesses de l'intrigue pour apprécier la pertinence historique et la crudité de certains faits, on peut se demander ce qu'en penserait un public plus jeune. Ce n'est tout de même pas évident à 12-13 ans de se retrouver plonger in medias res dans le récit d'une jeune fille de 16 ans tout juste accouchée, miséreuse, dans un train funéraire entourée du cercueils. Et encore, le récit ne va pas en s'arrangeant sur sa première moitié. Et pourtant, malgré ces incertitudes quant à l'adhésion du public auquel le roman est destiné, je me dis qu'il est justement bon de proposer des lectures de ce type. Des lectures qui ne sont pas là pour caresser dans le sens du poil ou pour faire croire encore au prince charmant (avec ou sans crocs). Merci, très franchement, à Mary Hooper de proposer une littérature ado de qualité, bouleversante, violente mais terriblement sensible et qui fait la part belle à l'Histoire.
Car c'est peut-être bien la période victorienne la véritable protagoniste de ce titre, outre la douce et courageuse Grace et son attachante soeur. En lisant, il m'a semblé parcourir à nouveau les rues d'un roman de Dickens. Odeurs, bruits, couleurs dégagent une atmosphère fantomatique, grise et angoissante. Le brouillard plane bien souvent et le froid se fait mordant dans la chambre sans vitre ni couverture. Le carrosse vient même à passer en ville et Grace, éblouie, trouve le prince Albert si beau. Nous assistons également au deuil national qui envahit l'Angleterre après la mort du prince consort. Dans une affliction fortement invitée par la reine, le peuple s'habille de noir et plombe un peu plus l'hiver 1861.
Tout comme je l'avais déjà dit à la fin de La messagère de l'au-delà, indéniablement, on ressort un brin frustré en tant qu'adulte. On aimerait plus de consistance dans une intrigue qui s'avance cousue de fil blanc. Mais en même temps, le début du roman est si sombre ; je crois qu'il faut bien ce brin de happy end pour égayer le jeune public et ne pas le rebuter totalement. Après tout, Dickens lui-même n'a pas fait différemment dans son Oliver Twist.
Bref, encore emballée, encore un coup de coeur pour Mary Hooper, dont j'aime l'audace, la crudité sans concession et avec qui j'aime plonger dans des périodes historiques passionnantes. Foi de lectrice qui n'aime d'habitude pas la littérature jeunesse : c'est vraiment excellent !
Le cimetière de Brookwood
C'est parti pour le mois anglais de Lou, Titine et Cryssilda
1ere participation
LC Mary Hooper avec Titine, Malice, Mirontaine, Syl., Novelenn, Anne et George.
07:58 Publié dans Challenge, Coups de coeur, Histoire, Lecture commune, Littérature ado, Littérature anglophone | Lien permanent | Commentaires (28)