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19/09/2014

Le bruit et la fureur de William Faulkner

LE bruit et la fureur.jpg
Le bruit et la fureur de William Faulkner, Folio, 2013 [1929 pour l'édition originale, 1972 pour la traduction française], traduction de Maurice-Edgar Coindreau, 372p.

Prix Nobel de Littérature 1959

 

Après quelques lectures contemporaines divertissantes pour le mois américain de Titine, j'ai pioché cette fois dans ma PAL LE roman du monstre sacré de la littérature américaine du XXe siècle. Un monstre sacré plutôt impressionnant, certes, dont on pressent que le titre phare ne se dévorera pas comme un roman de George R. R. Martin. Mais un monstre sacré passionnant, d'une richesse sans limite et dont on se délecte minutieusement de chaque mot. Un monstre sacré dont il n'est évidemment pas question de faire la critique. Il faudrait tout de même péter bien haut pour en avoir ne serait-ce que la futile ambition. Je vous ferai donc ici le récit de ma lecture et de mon ressenti, tout simplement.

"It is a tale told by an idiot, full of sound and fury, signifying nothing" : ainsi Shakespeare définit-il la vie dans Macbeth et ainsi Faulkner la réinvente-t-il dans son roman choral saisissant. Soyons clairs d'entrée de jeu : pour lire Le bruit et la fureur, il ne faut pas seulement aimer lire ; il faut aimer la littérature. Une distinction des plaisirs qui pourrait paraître condescendante - l'un semblant supérieur à l'autre - mais qui prend ici tout son sens. La lecture de ce roman est difficile et âpre, tant du point de vue du propos que du point de vue du style. L'auteur ne caresse aucunement son lecteur dans le sens du poil et s'emploie à malmener sa lecture d'un éclatement du temps et des voies narratives - voies narratives majoritairement exploitées sous l'angle du monologue intérieur, ce qui en rajoute une petite couche.

Nous pénétrons tout d'abord dans la conscience de Benjy, le frère idiot qui crie et ne parle pas. Tout chez lui défile au gré de la sensation presque animale. Nulle pensée articulée, nul fil conducteur d'un ressenti à un autre. Les phrases s'enchaînent du passé au présent, d'un évènement à un autre, en un défilement ininterrompu de songeries totalement elliptiques. J'avoue que plonger d'entrer de jeu dans une conscience aussi complexe, aussi erratique que celle-ci, a de quoi perturber. Il faut faire preuve d'une patience infinie et faire appel à la jouissance intellectuelle des styles alambiqués.
Quelques dix-huit ans plus tôt, c'est le monologue de Quentin, le frère aîné, jadis étudiant à Harvard et poussé à la noyade par le désespoir de voir sa sœur mariée ; puis celui, de retour en 1928, du cadet Jason, plein de haine et de rage ; enfin un narrateur extérieur à la diégèse prendra le relai pour nous conter le déferlement furieux, le bouillonnement final.

Le bruit et la fureur, c'est le drame d'une vieille famille du Sud infestée d'un lent abrutissement, d'une sensualité trop débordante et d'une envie sourde. L'édifice ancestral se fissure sous les coups d'un destin terriblement violent et Faulkner d'en livrer l'aperçu de l'enfer. Si cette succession de monologues intérieurs rend la lecture fastidieuse, elle exprime surtout toute la dureté de cette gangrène familiale et l'éclatement qu'elle provoque. Comme le dit Coindreau dans sa préface, le roman s'apparente à la fugue musicale où le thème ne cesse de se rejouer et de resserrer, ici jusqu'à l'étouffement. Le bruit et la fureur ne peut laisser indifférent. Il prend d'autant plus à la gorge qu'à l'image de la citation shakespearienne, il n'est pas question d'expliquer, de clarifier, de débroussailler ce monde pourrissant. Faulkner "se contente" (et tout est dans les guillemets) d'exposer avec la force brute de son talent ce nœud de vipères du sud. Que la littérature soit le lever de rideau sur l'absurdité et la violence d'un monde qui n'aurait le sens que d'alimenter sa propre décrépitude.
Et en parallèle, comme souvent chez Faulkner si j'ai bien compris les commentateurs de l'auteur (car c'est ici ma première lecture de son œuvre), on retrouve le tableau de la vie de Sud - ici dans la Mississippi précisément : le quotidien des noirs au services des familles antédiluviennes, les services religieux, les magasins des petites villes, la vie étudiante.

Lire Faulkner, c'est à la fois voyager dans un lieu et une époque particulière - ce Sud du début du XXème, plein encore des blessures de la Guerre de Sécession et au seuil d'une nouvelle ère, et s'immerger puissamment dans ce que la littérature a de plus intemporel - le génie du style éclatant. Une lecture dont je ne ressors clairement pas indemne, après laquelle je vais aussi clairement repasser à quelque de chose de plus léger, mais il est indéniable que je n'en ai pas fini avec Faulkner. Je le garde dans un coin de ma tête pour une prochaine période où je me sentirai d'attaque à un tel niveau de littérature.

 

challenge melangedesgenres1.jpgChallenge Mélange des genres chez Miss Léo

Catégorie Classique étranger

 

 

 

 

 

mois américain.jpgLe mois américain chez Titine

3eme lecture

 

 

 

14/09/2014

Armageddon Rag de George R. R. Martin

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Armageddon Rag de George R. R. Martin, Folio SF, 2014, 586p.

 

coup de coeur.jpgIl y a de ces associations d'idées immédiates qu'on ne peut pas empêcher, une sorte de réflexe de pavlov conditionné par le succès (et le plaisir aussi, on ne va pas se mentir). Dans cette rubrique, on peut aisément classer l'association immanquable George R. R. Martin / Game of Thrones. Lorsque j'ai dit à quelques amis que je lisais cet auteur, la question ne s'est même pas posée de savoir ce que je lisais. Ben oui, quoi d'autre, à part GOT ? Je vous le concède, à côté de GOT, tout passe en général à la trappe et c'est bien dommage car autant le premier volume de GOT me tombe systématiquement des mains (j'avoue tout, je me contente finalement de regarder la série), autant cet Armageddon Rag est un vrai coup de cœur dévoré en quelques jours ! Comme quoi, il ne faut jamais oublier d'aller voir derrière les fagots si on y est !

Au seuil de pénétrer dans l'univers d'Armageddon Rag, l'ami, dépouille-toi de tout le plan-plan de ton quotidien et enclenche un furieux titre de Led Zeppelin pour planter le décor.
Sander Blair, dit Sandy, fait partie de cette génération de hippie seventies anti-guerre du Vietnam et fan de rock. Une décennie plus tard, sa barbe a disparu, de même que son emploi de journaliste. Il est en couple avec un agent immobilier dans une belle maison de Brooklyn et vit de sa plume - plume qui stagne actuellement à la page 37. La vie est ainsi faite de compromis et de renoncements. Le coup de fil du rédacteur du Hog sait pourtant réveiller tout le potentiel de nostalgie et d'envie d'aventure qui bout encore en Sandy sous cet apparent conformisme eighties. Il s'agit de couvrir en exclusivité la mort mystérieuse de Jamie Lynch qui fut manager du plus grand groupe de rock de tous les temps, les Nazgûl. Sandy saute sur l'occasion d'envoyer balader sa femme, son agent littéraire et cette foutue page blanche pour partir à toute volée au volant de Daydream vers le Maine. Ce départ est celui d'une enquête mais surtout d'une plongée fulgurante dans le passé et les grandes années du rock, dans cet univers qui devient vie, mort, angoisse et résurrection à tout moment. Au côté de Sandy blair, lecteur, tu vas vivre le road trip rock le plus décoiffant depuis un paquet de temps !

Si je ne devais émettre qu'un petit bémol sur ce titre, il porterait sur son édition : je ne vois pas exactement ce qu'il fabrique dans une collection SF puisqu'il n'en est pas, soyons très clairs. Armageddon Rag est, comme l'indique d'ailleurs la 4eme de couv, un  excellent thriller fantastique teinté d'apocalypse dans lequel nulle SF ni fantasy ne pointe le bout de son nez. George R. R. Martin manie à merveille tant le glissement progressif vers le fantastique ménagé par des rêves flous et angoissants que l'incertitude mouvementée propre à ce genre littéraire. Jusqu'à la fin, le lecteur se demandera s'il était bel et bien à mi-chemin d'une brèche vers un autre monde ou tout simplement dans notre monde réel si brillamment mis en lumière qu'il en fait vaciller nos certitudes. Une vraie réussite de ce point de vue là.
En outre, ce groupe créé de toute pièce par l'auteur, fortement inspiré de la mythologie de Tolkien, est d'une puissance prégnante. A force de lire les pages, on croit entendre les Nazgûl jouer et on aimerait pouvoir enclencher un de leurs albums en fond sonore. A défaut, j'ai trouvé un parallèle en Led Zeppelin - les descriptions des Nazgûl m'ont semblé coller à l'idée que je me fais de Led Zep - et j'ai donc régulièrement écouté leurs titres ces derniers jours, histoire d'être encore plus immergée.
En somme, tant du point de vue du genre, de l'évolution narrative que de l'univers rock, ce titre est une réussite totale ! Le style n'est pas mal non plus, somme toute. Même si ce n'est pas l'argument majeur lorsqu'on lit des romans de cet acabit, ça ne gâche pas le voyage de l'avoir de bon goût.

Je ne saurais présager de son pouvoir de séduction sur des lecteurs qui n'ont aucun attrait particulier pour le rock. Je peux par contre affirmer, si vous vous rangez dans la case des maniaques de la guitare et du cheveu long, que vous succomberez immanquablement à ce roman puissant, chaotique, maîtrisé d'une main d'orfèvre et plein des fantômes d'une époque qu'on aurait bien aimé connaître.

Un grand merci à Noctenbule, grâce à qui j'ai remporté ce titre lors du challenge américain.

 

mois américain.jpg2eme participation au mois américain chez Titine

 

 

 

 

challenge-un-pave-par-mois.jpgParticipation de septembre pour le challenge Un pavé par mois chez Bianca

 

 

 

 

challenge melangedesgenres1.jpgEt une nouvelle participation pour le challenge Mélange des genres chez Miss Léo dans la catégorie Thriller

06/09/2014

Le chat qui lisait à l'envers de Lilian Jackson Braun

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Le chat qui lisait à l'envers de Lilian Jackson Braun, 10/18, 1993 [1966], 221p.

 

Décidément, je tends à une inclinaison particulière pour les polars avec chats. Après Ce que savait le chat de Martha Grimes, j'ai décidé de poursuivre l'expérience des félins enquêteurs au flair infaillible en attaquant ce premier tome de la célèbre série de Lilian Jackson Braun (merci aux brocantes estivales de me l'avoir servi sur un plateau ainsi que quelques autres pour une somme dérisoire).

Le chat qui lisait à l'envers introduit aux lecteurs les deux personnages principaux de toutes les enquêtes à venir : Jim Qwilleran, journaliste spécialisé dans les affaires criminelles qui se trouvent pourtant contraint d'accepter un poste de chroniqueur artistique au début du roman - lui qui n'y connait fichtrement rien en Beaux-Arts - et Koko, un magnifique chat siamois à l'intelligence intuitive et aux dons de lecteur certains. Ce titre scelle également leur rencontre : Qwilleran vit seul dans une obscure chambre d'hôtel au départ. Le critique artistique du journal, l'énigmatique Mountclemens lui propose de louer l'appartement au rez-de-chaussée de sa maison et ainsi, Qwilleran rencontre Koko. Heureusement pour Qwilleran, que le monde artistique ne semble pas particulièrement émoustiller, trois meurtres successifs vont bientôt se commettre au sein de ce microcosme. Il va donc pouvoir s'adonner à sa marotte avec le concours du chat qui n'est pas le dernier pour dénicher les indices - tel un sherlock félin, comme le souligne la fin du roman.

Bon, on ne va pas se mentir : ça ne casse pas trois pattes à un canard. J'avoue que je m'attendais à quelque chose de beaucoup plus consistant après tous les éloges que j'avais entendus et lus de cette série policière. Dans les faits, toute comparaison féline gardée, c'est effectivement une lecture du même acabit que Ce que savait le chat : Très bonne pour la plage, le train, les périodes de bourre au boulot durant lesquelles votre cerveau ne supporte rien de plus élaboré. Il ne faut pas y chercher autre chose car, très franchement, vous ferez rapidement le tour de la question.

En ce qui me concerne, c'est vraiment le personnage de Koko qui m'a séduite. L'auteure a indéniablement vécu avec des chats car toutes les interventions de Koko reflètent exactement le quotidien avec ce fidèle animal. J'ai souvent souri lors de ces passages car j'avais l'impression de voir les attitudes et les comportements de mon chat. Les interrogations de Qwilleran à la toute fin du roman sur les compétences de Koko sont également très justes ! C'est sans doute pour ce seul tandem amusant - et moustachu - que je lirai d'autres titres de la série.

Pour le reste, j'avoue ne pas avoir trouvé l'enquête particulièrement transcendante (à mettre aussi en perspective du fait qu'il s'agit du premier tome, sans doute). Les rouages sont classiques et sans grande originalité. Dans le même style, un bon Hercule Poirot a au moins une saveur surannée qui peut transporter dans une autre époque, ce que je n'ai pas retrouvé ici. En outre, le monde de l'art est croqué de manière franchement caricaturale. Le coup de la sempiternelle gueguerre entre artistes abstraits et figuratifs, la figure du critique d'art mystérieux qui se met tout le monde à dos... Bof, bof.

Bref, rien de très nouveau sous le soleil, à mon humble d'avis. Heureusement que le chat est là pour sauver la mise !

 

mois américain.jpgNonobstant cet avis mitigé, je valide une 1ere participation au mois américain chez Titine

 

 

 

L'art dans tous ses états.jpgEt une 4eme pour le challenge l'art dans tous ses états chez Shelbylee