11/10/2014
La Madone de Pellini de Rivière et Federici
La Madone de Pellini de Rivière et Federici en 2 tomes :
1. Lamb House, Robert Laffont puis réédité par Delcourt, 2008
2. L'orphelinat de Rosewood, Delcourt, 2010
Rivière et Federici imaginent la découverte de papiers inédits d'Henry James dans les recoins de Lamb House, jadis sa demeure anglaise, et se proposent d'adapter graphiquement l'une de ces nouvelles fantastiques. Le prologue de La Madone de Pellini donne le ton : une fiction dans la fiction ; l'art dans l'art et tout le récit ne va cesser de promener le lecteur dans des méandres infinis de questions et de possibilités.
Cette nouvelle rêvée d'Henry James relate une histoire extraordinaire à laquelle il aurait pris part en compagnie d'un ami peintre italien et d'une jeune médium en devenir. Cette dernière, Nora, intègre une société londonienne afin de parfaire sa connaissance des arts médiumniques et ses dons. Elle y fait la connaissance de l'écrivain et du peintre. Elle se lie tout particulièrement d'amitié avec ce Francesco qui lui apprend sa fascination pour le peintre Pellini et sa Madone inachevée. Selon la légende, cette toile est touchée d'une malédiction qui se poursuit depuis des siècles. Francesco est persuadé que Nora peut l'aider à en percer le mystère. A partir de cet instant, le parcours des protagonistes s'enfonce dans un dédale d'évènements fantastiques où s'agitent quelques esprits fantomatiques et où les personnages disparaissent.
Si j'émets un jugement global de cette œuvre en deux tomes, je dois dire que j'ai beaucoup aimé ! L'histoire m'a enthousiasmée, plongée dans cette atmosphère fantastique, parfois angoissante, et l'idée d'inclure Henry James dans le récit est particulièrement intéressante. J'avoue être plutôt déçue que cette BD ne soit pas tirée d'une véritable nouvelle inédite d'Henry James, du coup ! J'aurais adoré la lire, vraiment !
Si je creuse un peu plus les détails, je note tout de même quelques faiblesses. Tout d'abord, j'ai lu le premier tome dans sa première édition et la typographie utilisée n'est clairement pas terrible. Delcourt a bien fait d'y remédier. Concernant le dessin, je ne l'ai pas trouvé d'une égale qualité ; quant au parti pris de contraster fortement les couleurs entre des bleus et des rouges pour appuyer l'étrangeté du récit, c'est souvent en trop. Enfin le scénario, s'il a choisi de laisser quelques blancs dans les enchaînements d'évènements afin de laisser l'imagination du lecteur travailler, il en laisse parfois trop à mon sens. J'aime qu'on me titille mais là, j'étais parfois à la limite d'être paumée.
Bref, vous le constatez, mes points de vue sont a priori contradictoires. En l'occurrence, le principal à retenir est mon avis global. Je conseillerais cette BD avec grand plaisir (à moins que vous n'aimiez pas le fantastique, bien sûr) car je la trouve riche d'idées passionnantes. Il ne faut simplement pas être trop regardant sur les faiblesses d'un certain nombre de détails.
Challenge L'art dans tous ses états chez Shelbylee
4eme participation
15:03 Publié dans BD / Comics / Mangas, Challenge | Lien permanent | Commentaires (6)
04/10/2014
Kafka sur le rivage de Haruki Murakami
Kafka sur le rivage de Haruki Murakami, traduit du japonais par Corinne Atlan, 10/18, 2007, 638p.
Puisque toute tentative de raconter un roman de Murakami se heurte à la complexité de son univers, je vais biaiser et commencer par raconter ma vie de lectrice.
Murakami me fait invariablement penser à Paul Auster - et inversement. Pourtant indéniablement fort différents, ils sont tous deux à mes yeux parmi les plus grands conteurs contemporains. Quel que soit l'univers délirant dans lequel ils se proposent de nous balader, on ne peut que suivre, la bouche entrouverte et l'air béat d'un petit garçon à Disneyland. Notre œil n'est évidemment pas dupe : béat ne veut pas dire stupide. Nombreux sont les défauts de ces deux romanciers que je repère systématiquement à trois kilomètres. Mais allez savoir pourquoi, ça ne m'empêche pas de tomber dans le panneau comme une débutante. Ils font tous deux appel au souvenir enfantin des histoires racontées avant de dormir et réveillent l'imagination débordante qu'elles déployaient. A chaque fois, donc, je me laisse emporter et je savoure sans prétention. Le petit bémol se trouve généralement être la fin, que je trouve bien souvent très moyenne. S'ils possèdent avec brio l'art du conteur comme personne, je reproche souvent à Murakami et Auster d'avoir l'art du scénariste plutôt laborieux et, tout le chemin parcouru au fil des pages, est souvent déçu chez moi par une pirouette finale artificielle et peu convaincante. Il se trouve que ce Kafka sur le rivage ne m'a pas apporté cette habituelle déception. Je l'ai apprécié de bout en bout et, il me semble, qu'il y a là un des romans de Murakami les plus complexes, les plus aboutis que j'ai pu lire jusqu'alors.
A la rencontre l'un de l'autre, Kafka Tamura et Nakata partent en quête sans le savoir de la boîte de Pandore. Le premier est un jeune adolescent particulièrement droit, responsable et stoïque - ainsi poussent les personnalités qui portent le poids d'antiques malédictions. Comme Œdipe, il fugue pour ne pas tuer son père et ne pas consommer l'inceste avec sa mère qui l'a jadis abandonné. Comme Œdipe, c'est un fuyant le destin que, pas à pas, il s'y enfonce tout à fait. Le second est un vieil homme simple mais doué pour comprendre les chats et les signes imperceptibles de l'univers. Ainsi, il sait sans mot dire lorsqu'il doit quitter sa ville pour l'île de Shikoku - sans encore la nommer, lorsqu'il doit tuer, lorsqu'il doit ouvrir ou fermer la porte de l'entrée ; lorsqu'il doit agir, en somme, en accord avec les nécessités du destin. L'un fuit, l'autre part à la rencontre. Tout deux vont à l'aveugle et répondent à un appel plus fort qu'eux qui les invitent à trouver la clé de l'énigme primordiale : l'énigme de soi.
L'ensemble de ce roman est une poupée russe de métaphores hallucinatoires. Tout ce que je dirai ici ne sera qu'une partie microscopique de l'iceberg passionnant que monte ici Murakami - et encore, il s'agit d'une partie émergée du dit-iceberg en considérant que je ne suis pas complètement à côté de mes pompes dans mon interprétation. L'enjeu majeur, disais-je, me semble être la quête de soi. S'il est question de fatalité tragique en ce qu'il n'apparait pas possible de se départir d'un mouvement primordial enclenché bien avant tous, il est surtout question d'acceptation ; de joie et de force dans cette acceptation. La confrontation à la fatalité n'est ni misérable ni écrasante. Nos protagonistes ne s'y abîment pas comme notre esprit occidental pourrait s'y attendre. Ils saisissent au contraire la vague du destin pour se laisse guider et ainsi, passer le courant. Ils surfent, à l'image du frère d'Oshima, plutôt qu'ils ne combattent (toute comparaison avec le wu wei taoïste est évidemment fortuite). C'est peut-être dans cette optique que la parenté avec Kafka prend son sens : la confrontation au destin est métamorphose vers un nouvel état renouvelé de l'être. Je sens bien qu'il y aurait bien autre chose à dire sur tout ce que Murakami tisse avec Kafka mais, n'étant malheureusement pas connaisseuse du Tchèque, mon maigre parallèle s'arrête là.
De manière générale, il y aurait bien autre chose à dire sur à peu près tout dans ce roman. Je n'ai pas même résumé vraiment : tant de choses seraient encore à développer sur les autres personnages et leurs implications. Je n'ai fait qu'effleurer du bout de l'index la feuille d'un nénuphar lorsque sa racine se creuse encore si profonde sous elle (poète tout pourri du samedi matin, bonjour). J'aurais également pu soulever les quelques défauts récurrents de Murakami que j'évoquais au préalable. Mais, lorsqu'on attaque un roman, on a finalement besoin de peu d'informations : Savoir que l'on pénètre dans un univers étonnant, entre chien et loup ; entre rêve et réalité ; entre culture occidentale et orientale ; entre des mondes envoûtants, savoir qu'il n'est pas parfait et qu'ici et là s'égrèneront les signes de l'humanité de l'auteur, savoir que ce n'est vraiment pas le plus important, savoir que quoiqu'il en soit et malgré tout ce que pourraient en dire les littéraires un peu pédants, Kafka sur le rivage est un roman riche, passionnant et pertinent qu'il s'agit de lire comme un excellent conte intemporel.
Cette lecture me permet de valider deux challenges chez Bianca :
Celui d'un pavé par mois dont voici ma participation d'octobre
Et celui des 100 livres à avoir lus au moins une fois dont c'est la 15eme participation
Et tant que j'y suis, je valide aussi une première participation au challenge écrivains japonais chez Adalana !
09:31 Publié dans Challenge, Littérature asiatique | Lien permanent | Commentaires (16)
27/09/2014
Oscar et la dame rose d'Eric-Emmanuel Schmitt
Oscar et la dame rose d'Eric-Emmanuel Schmitt, Albin Michel, 2002, 100p.
Oscar a dix ans et il va mourir : Son cancer, qui lui vaut d'être surnommé Crâne d’œuf a l'hôpital des enfants, ne semble pas vouloir s'en aller malgré les opérations. Oscar sait qu'il va mourir et il déteste qu'on le lui cache ou comme s'il était quelqu'un d'autre. Il ne comprend pas que ses parents ou les médecins marchent sur des œufs avec lui. La seule personne a qui il peut s'ouvrir sans entrave et qui lui répond avec une décapante sincérité, c'est Mamie-Rose. Elle est une des dames roses de l'hôpital, chargée d'apporter un peu de gaité aux enfants. Elle fait mieux que ça avec Oscar : elle lui apporte de la compréhension, de la franchise, beaucoup d'humour (après tout, Mamie-Rose est une ancienne catcheuse qui n'a pas la langue dans sa poche) et surtout, de bonnes leçons de vie. Mamie-Rose, c'est tout simplement Socrate ou Sénèque entre le ring de catch et la quiétude d'une église. Car il importe deux choses à Oscar : comprendre que vie et mort ne font qu'un ; tout est renouveau, et que la peur s'envole avec la confiance et la joie ; tant que le présent est vécu intensément. C'est cela qu'il va comprendre grâce à Mamie-Rose et ce subterfuge qu'elle lui suggère d'écrire à Dieu et de vivre dix années en un jour. Au fil des lettres, Oscar s'ouvre et finalement, la mort ressemble à un commencement.
Je ne vais y aller par quatre chemins : mea culpa. Pendant pas mal d'années, E.E.Schmitt était, dans mon esprit, un écrivain dont on faisait beaucoup de foin pour pas grand chose - comprendre par là : je m'amusais à le mépriser cordialement sans en avoir jamais lu une ligne. Et ben voilà, j'ouvre un livre de lui et c'est le coup de cœur. Ça m'apprendra à péter plus haut que ma paire de miches. Pour la peine, je me fouetterai pendant dix jours avec des feuilles de blettes.
Oscar et la dame rose est un magnifique petit traité philosophique et métaphysique à l'usage des jeunes ados. Sous forme d'un dialogue imaginaire par lettres interposées, il s'agit de cheminer vers l'acceptation de la mort et vers une nouvelle vision de celle-ci. S'inspirant de ce que les philosophies antiques (et moins antiques) et les spiritualités de tous horizons ont conceptualisé et véhiculé à travers les âges, l'auteur nous invite à réfléchir sur la noirceur dont nous drapons un phénomène non seulement naturel mais qui donne tout son sens à notre existence. Et si nous envisagions la mort, non plus sous le masque d'un inconnu terrifiant mais sous le jour d'une nouvelle étape ? Ainsi, Oscar se sent-il plus en paix et souffre moins. Il profite de chaque instant qu'il lui reste et chaque jour devient une vie entière, pleine des rebondissements d'une aventure initiatique.
Il nous invite également à réfléchir sur le sens profond et, étymologique en quelque sorte, de la foi. Au fond, ce Dieu auquel écrit Oscar est avant tout l'incarnation presque métaphorique de la confiance et de la force qui doit nous habiter à chaque instant. Vivre sans confiance, est-ce vraiment vivre ?
Bien sûr, le lecteur adulte pourrait préférer se pencher directement sur la philosophie ou les écrits spirituels pour réfléchir sur ces questions (Tout est dans le questionnement sans fin, c'est Mamie-Rose qui le dit) mais franchement, il faut reconnaître le tour de force d'E.E.Schmitt de livrer sur un plateau aussi drôle, enlevé et brillamment mené des sujets aussi épineux et complexes pour de jeunes lecteurs.
10:35 Publié dans Coups de coeur, Littérature ado, Littérature française et francophone, Réflexion | Lien permanent | Commentaires (6)