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19/01/2019

Les Brumes du passé de Leonardo Padura

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Les Brumes du passé est un roman d'ambiance assez extraordinaire, c'est-à-dire qu'il transpose exactement les codes de roman noir américain, dans l'art duquel Raymond Chandler ou Dashiell Hammett sont passés maîtres en leur temps, en plein Cuba contemporain. L'incertitude, la mélancolie et le mystère sont les mêmes, sans l'once d'une caricature - la tarte à la crème principale du roman noir ; la déliquescence du temps et le désespoir de la faim provoquent toujours les plus sombres crimes. C'est franchement subtil et d'une rare intelligence. L'enquête est au service d'une réflexion sur les dommages collatéraux d'une dictature qui n'a déjà que trop duré et interroge la portée des éthiques lorsque les besoins primaires sont sapés. Elle est aussi l'occasion d'une balade au pays réjouissant de l'amitié et de l'art littéraire, ces nourritures spirituelles capables de tout rendre supportable - du moins, la plupart du temps. Certaines pages consacrées à l'amitié me restent en mémoire comme parmi les plus beaux éloges que j'ai pu lire de ce sentiment, sans emphase ni grandiloquence, en dévoilant la simplicité et la profondeur d'une relation durable et franche.

Ça faisait longtemps que je n'avais pas, à ce point, eu un coup de foudre à la fois pour un auteur, une ambiance et un personnage. Je ne suis pas prête d'oublier Mario Conde, cet imparfait magnifique, ni de lâcher la grappe à Leonardo Padura, c'est moi qui vous le dit. 

Histoire de ne rien dévoiler de l'intrigue par quelques citations, je vous laisse sur l'incipit. Le voyage est déjà amorcé. 

Les symptômes arrivèrent soudain comme la vague vorace qui happe un enfant sur une plage paisible et l'entraîne vers les profondeurs de la mer : le double saut périlleux au creux de l'estomac, l'engourdissement capable de lui couper les jambes, la moiteur froide sur la paume de ses mains et surtout la douleur chaude, sous le sein gauche, qui accompagnait l'arrivée de chacune des ses prémonitions. 
Les portes de la bibliothèque à peine ouverte, il avait été frappé par l'odeur de vieux papier et de lieu sacré qui flottait dans cette pièce hallucinante, et Mario Conde, qui au long de ses lointaines années d'inspecteur de police avait appris à reconnaître les effets physiques de ses prémonitions salvatrices, dut se demande si, par le passé, il avait déjà été envahi par une foule de sensations aussi foudroyantes. 

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02/02/2012

Narayama de Shichirô Fukazawa

9782070371792.jpg

Narayama de Shichirô Fukazawa, traduit du japonais par Bernard Franck, Gallimard, 1956 / Folio, 152p.

 

 

Cette nouvelle s'apparente aux contes initiatiques que l'on découvre aux coins du feu de la bouche des aînés. La langue est simple, le déroulement implacable et l'univers semble immuable. Les pages se tournent avec la régularité des choses nécessaires et l'on suit ce petit récit de pas grand chose nous délivrer bien des enseignements. D'où que viennent ces récits et quelle que soit l'emprunte culturelle qu'ils véhiculent, ils semblent tous être puisés à la même source : celle de l'humanité.

Dans les tréfonds de la montagne japonaise, en un temps qui ne se dit pas et qui pourrait bien être toujours, survit une société rudimentaire dont les règles s'articulent autour de leur principale angoisse, la faim. Là-bas, même le riz est luxe. C'est donc à travers le spectre de la faim que tout s'ordonne. C'est pour ne pas être traitée de goulue insatiable qu'O Rin, matriarche d'une des familles du village, tente inlassablement de se casser les dents. C'est pour avoir volé de la nourriture que des envies de meurtres s'érigent contre la famille de la maison qu'y pleut. Et c'est au nom de la nourriture que les anciens, lorsqu'ils entrent dans leur soixante-dixième année, effectue un pélerinage à la montagne de Narayama. Développé innocemment tout au long du récit comme un aboutissement spirituel, il s'agit, en fait, d'un suicide consenti puisqu'aucun ancien n'en revient jamais. Assis sur une modeste natte en méditation, ils attendent de rencontrer le dieu de la montagne - ils attendent la mort. Est alors considérée comme une chance l'apparition de la neige qui leur évitera une trop longue agonie dans la faim et la soif. C'est donc au nom de la faim que toute une société envoie avec le plus grand naturel les anciens devenus "inutiles" se sacrifier.

Il y a quelque chose de scandaleux dans cette progression inéluctable vers une mort imposée. On y verra, bien sûr une critique sociétale virulente sous les abords trompeurs de l'écriture blanche. Néanmoins, il me semble que ce texte peut aussi questionner notre animalité - on rencontre chez d'autres espèces cette mise à l'écart macabre des vieux membres d'un troupeau ou d'une meute pour continuer d'avancer.
On notera aussi l'emprunte bouddhiste, suggérée par le traducteur en préface et qui éclaire effectivement le contexte spirituel dans lequel s'inscrit ce récit et donc, sa manière de le lire. Car, n'oublions pas, il est question du karma et des réincarnations dans le bouddhisme. De fait, les deux morts à la fin du récit évoquent ce point : O Rin, matriarche pleine d'abnégation, meurt entourée de neige immaculée, tandis que le vieux Mata-San connu pour son avarice, est jeté dans la vallée au dessus de laquelle s'élève une bruyante nuée de corbeaux.
Comme si les lignes semblaient dire à demi-mot qu'au-delà des défisciences sociétales des hommes, la roue éternelle de la vie ne cesse de tourner.

 

 

Merci à Charline pour ce petit bijou qu'elle avait glissé dans mon colis de swap hivernal.

 

 

japon,pélerinage,chanson,narayama,mort,faim,nourriture,loi,sacrifice,suicide,familleChallenge Dragon 2012

1/5 pour les livres

 

 

 

 

 

 

 


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