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28/04/2017

Riverdream de George R. R. Martin

IMG_20170325_125450.jpgSuite à mon coup de coeur d'Armaggedon Rag il y a quelques années, j'avais acheté le présent roman dans la foulée, prise dans l'envie de continuer la découverte des chemins de traverse de George R. R. Martin. Et puis, vous connaissez la suite : il est resté dans ma PAL depuis lors, attendant gentiment que "le bon moment de le lire" se présente à moi. C'est enfin chose faite (finalement, deux ans et demi dans une PAL, ce n'est pas si long, n'est-ce pas ?!) : Riverdream a pu profiter de la tentation littéraire et printanière de me détendre les neurones avec un roman qui embarque dans d'autres mondes.  

Or, je me suis retrouvée dans un imaginaire plutôt inattendu. En lieu et place du steampunk qu’il me semblait avoir pressenti, me voilà avec de la bitlit !

Tout commence dans le Missouri, sur les bords du célèbre Mississippi, à Saint Louis exactement, quelques années avant la guerre de Sécession. Abner Marsh est un armateur au creux de la vague : parmi tous ses vapeurs qui sillonnaient le fleuve, la plupart ont péri suite aux intempéries. Marsh n'en reste pas moins profondément attaché au fleuve, aux bateaux, à l'aventure. En lui brûle la flamme du marin, bien plus que celle de l'homme d'affaire, la seconde casquette ne lui offrant que de servir la première. Aussi, bien qu'un peu dubitatif, il ne fait pas la fine bouche lorsque l'énigmatique Joshua York lui donne rendez-vous au beau milieu de la nuit dans une taverne réputée des mariniers. La proposition qui s'en suit est simple : York engage tout l'argent nécessaire pour le plus beau vapeur qui soit, dont Marsh supervisera la construction puis qu'il dirigera en tant que capitaine. En échange, ce dernier doit accepter les quelques excentricités de York : vivre une existence exclusivement nocturne et arrêter le vapeur au gré de sa volonté sans jamais se justifier. En somme, l'un et l'autre partageraient la direction du bateau : l'un pour en assurer sa bonne conduite, l'autre pour en faire ce qu’il veut. Si l'on ajoute à l'argent et au noctambulisme de Joshua York le fait qu'il est étrangement pâle et que sa force et son regard semblent magnétiques et surhumains, le lecteur a tôt fait de comprendre de quoi il retourne le concernant (tadaaaaaam). 

Il avait les yeux gris, étonnamment sombres dans un visage si pâle. Ses pupilles, aussi petites que des têtes d'épingle, brûlaient, noires, et transperçaient Marsh comme pour sonder son âme. Les prunelles, autour, semblaient douées de vie, mouvantes comme de la brume par une nuit obscure, quand les rives et ses lumières s'estompent et qu'il ne reste plus rien au monde que le bateau, le fleuve et le brouillard. Dans ces brumes, Abner Marsh discerna des ombres, des apparitions fugitives. Une intelligence froide en émanait. Il y avait une bête, aussi, noire et effrayante, enchaînée, furieuse, qui tempêtait dans les ténèbres. Un rire, de la solitude et une véhémence cruelle : le regard de York contenait tout cela. p. 10

Entre ses bases somme toute un peu clichées, de (trop) longs passages sur la vie des mariniers du Mississippi, la construction, la direction et la navigation des vapeurs et un niveau stylistique au ras du fleuve, je ne suis pas passée loin d'arrêter là ma lecture. En gros, j'ai retrouvé dans ce roman ce qui m'avait fait stopper la lecture de Game of Thrones quelques années plus tôt : c'est long et c'est chiant (pour résumer). Et puis, allez savoir pourquoi, je me suis acharnée quand même, et j’ai bien fait.

J'ai pu découvrir la relecture que propose George R. R. Martin du mythe du vampire, non plus comme corruption ou évolution de l'homme mais comme race à part, éminemment symbolique, dégagée par la même occasion de tous les accessoires folkloriques qui lui sont souvent associés. On naît gens de la nuit, on ne le devient pas (Simone riprizent). Puisqu’il n’est plus question de transformation, le rapport au vampire change nécessairement : l'homme doit-il se faire son égal ou s'enferrer dans une relation de proie à prédacteur ? En outre, non sans rappeler Entretien avec un vampire, l'asservissement à la soif rouge, et l’extraordinaire longévité du vampire, ne sont pas sans provoquer de brûlantes divergences au sein de cette communauté d'êtres puissants. D'un côté, ceux qui aspirent à entretenir leur supériorité physique sur l'homme, dit affectueusement le bétail, à s'enorgueillir et exalter leurs différences dans une affirmation identitaire rageuse et délétère ; de l'autre, ceux qui espèrent un futur harmonieux entre gens du jour et de la nuit, et un enrichissement mutuel par la régulation des besoins primaires violents. A cet espoir se mêle inévitablement la mélancolie des luttes fratricides et des massacres qu'elles occasionnent. Le vampire est le symbole d'un monde antédiluvien, gorgé encore de sa superbe et du souvenir persistant de sa gloire. L'éclat, pourtant, ne cesse de se ternir à mesure qu'il se montre incapable d'évoluer et de s'adapter. C'est dans cette optique que le contexte, qui m'était apparu comme source de longueurs ennuyeuses de prime abord, prend tout son sens : on se trouve à un moment charnière de l'évolution des Etats-Unis. Le récit prend la guerre de Sécession en étau ; celle-ci conditionne, entre autres, l'évolution industrielle - donc celle des navires du fleuve - et une certaine vision de l'Homme. Ainsi, comment concevoir l'homme au regard de ces évolutions ? Dans quelles perspectives le réengager, quels nouveaux paradigmes de société inventer ? La création n'est-elle pas la véritable force (demande l'artiste) ?

Vous l'aurez compris, sous les atours savoureux (on va l'espérer) de ma petite philosophie de comptoir, Riverdream est de ces bons livres de vampires qui amènent le lecteur à réfléchir sur lui-même par le truchement de l'autre. Je persiste à lui trouver quelques longueurs et quelques faiblesses de scénario - je ne comprends toujours pas vraiment ces quinze ans inutiles pendant lesquels la guerre de Sécession aurait pu être bien mieux exploitée - mais je les lui pardonne avec plus d'indulgence comprenant le projet général et le trouvant, dans sa globalité, plutôt bien servi. Si je ne suis pas follement emballée, en somme, je trouve à ce roman pas mal d'intérêts. Quel dommage, cependant, que l'auteur ne se foule pas un peu plus le poignet pour développer un style qui déboîte. Après tout, ne fait-il pas dire à Joshua, "La connaissance se pare à mes yeux d'une certaine beauté et la beauté plus que tout m'apporte de la joie" ? Ne lésine pas sur un peu plus de joie, la prochaine fois, l'ami ! 

Riverdream de George R. R. Martin, J'ai lu, 2008[1983 pour la VO], 507p. 

30/01/2012

Le prince et le moine de Robert Hasz

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Le prince et le moine de Robert Hasz, traduit du hongrois par Chantal Philippe, ed. Viviane Hamy, 2007, 428p.

 

Au coeur du Xe siècle, les territoires de l'Europe Centrale s'animent entre l'ouest Catholique et le sud-est Byzantin. Entre les deux, sur les plaines de l'actuelle Hongrie, évolue le peuple des Magyars, fiers cavaliers nomades venus des lointaines terres du nord-est. Conquérants et ambitieux, ils guerroient depuis de nombreuses générations sur ces terres nouvelles afin d'étendre leur royaume. 

Longtemps auparavant, les Magyars étaient gouvernés par deux souverains. La Gyula, seigneur des armées et des hommes, et le Künde, seigneur spirituel, voix du Dieu-Ancêtre. Ces deux entités assuraient l'harmonie et le partage du pouvoir. Pourtant, la conquête acharnée ayant ses propres raisons, un complot fût fomenté par le Gyula et le Künde fut assassiné ; le corps de son fils unique ne fut jamais retrouvé et son peuple fut exilé en un lieu que personne ne semble plus connaître. A l'heure du récit, le peuple Magyar est tronqué et orphelin de la voix du Dieu-Ancêtre et les jeunes générations oublient peu à peu les mythes fondateurs.

C'est dans ce contexte sombre et incertain que Stephanus de Pannonie, moine bénédictin vieillissant est envoyé sur ordre de son abbé parmi ces tribus païennes pour délivrer un message du Pape. Avant de partir, il lui remet une insigne dont il ne connait rien représentant un aigle - cela, lui dit-il, pourrait lui être utile. De ce long voyage, Stephanus reviendra pour mieux se cacher dans la forêt et vivre en ermite. Il aura la visite de son ancien protégé du monastère, Alberich de Langres, à qui il racontera son périple ponctué de trahisons et de lointaines légendes.

C'est cette voix, ce récit d'aventures et de mythes, que nous raconte Robert Hasz avec un souffle épique impressionnant et l'imagination des conteurs d'antan. Du mythe fondateur des Magyars, voici qu'il nous en déroule l'épopée saisissante - cela, je vous le dis, n'a rien à envier au Trône de fer ! Il s'agit d'un roman dense et fouillé sur lequel le temps n'a pas de prise, qui se lit comme une aventure fantastique et où tout nous parle d'humanité et de l'importance de se rappeler d'où l'on vient dans un univers en pleine mutation. A n'en pas douter, sous les atours dépaysants de la chanson de geste, Robert Hasz nous parle aussi de nous, ici et maintenant.

 

Vous trouverez ici une interview de l'auteur pour Evene.fr et ici l'excellente chronique de Laurent Geslin pour Le Monde Diplomatique.

 

 

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Extrait :

 

"Voici le monde, je te le confie, veille sur mes animaux et sur mes prairies. Tu peux prendre ce dont tu as besoin mais pas plus qu'il ne t'est nécessaire. Le Dieu-Ancêtre dételé un des douze chevaux blancs de son char de fe et l'apporta à l'homme sur la Terre, disant : voici ton cheval, afin que sur la terre tu sois plus rapide que le vent, et que dans le ciel, tu voles plus haut que le faucon. Puis il lui donna aussi l'art d'or afin qu'il protège les animaux qu'il lui avait confiés. Enfin, le Dieu-Ancêtre planta un grand arbre qui touchait le ciel, et il dit à l'homme : Voici l'Arbre-qui-touche-le-ciel, il relie l'homme au Dieu-Ancêtre. S'il te faut quelque chose, grimpe jusqu'au sommet et tu trouveras dans le ciel ce dont tu as besoin."

 

 

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30/10/2011

La mort du roi Tsongor de Laurent Gaudé

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La Mort du roi Tsongor de Laurent Gaudé, Actes Sud, 2002 ; Babel, 2004 ; Le Livre de Poche, 2006

 

Le puissant roi Tsongor, conquérant invaincu, prépare les noces de son unique fille Samilia avec le prince des Terres du Sel. Tandis que s'annonce le jour des cadeaux, un ami d'enfance reapparait après de longues années d'errance pour réclamer également sa main, arguant un serment d'enfance.
C'est la mort du roi, c'est la guerre fratricide et la destruction de la ville. Pendant ce temps là, le plus jeune fils de Tsongor, Souba, part honorer une promesse faite à son père afin de lui apporter le repos de l'âme. 
 

Deuxième lecture d'un Gaudé et décidément, on ne peut pas passer à côté de l'empreinte puissante des tragédies mythiques et de l'épopée. Ici bien plus que dans La porte des Enfers, même.  Les décors et les personnages sont des figures archétypales des mythes : La ville éclatante puis assiégée, le palais ; le roi puissant, le serviteur dévoué bien qu'ambigu, l'affrontement des jumeaux pour le pouvoir, le combat pour la femme aimée, la fatalité... Toutes les balises sont plantées, de même que l'écriture se revêt de cette forte inspiration théâtrale - les dialogues sont des déclamations tragiques - pour réécrire avec brio ces récits ancestraux où l'Homme fait son apprentissage. 

Merci à ma petite tarte aux fraises pour ce conseil de lecture! 



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Extrait :


"Rassamilagh regarda longuement Danga. Sans haine. Mais avec distance.

- Je ne te connais pas, Danga, dit-il finalement. Nous sommes alliés par l'amitié que nous portons tous deux à Sango Kerim, mais ce n'est pas pour toi que je me bats. Que me fait à moi que ce soit toi ou ton frère qui règne sur Massaba? Ne l'oublie pas, Danga. Je ne fais rien pour toi.

C'est alors que Sango Kerim pris la parole. 

- De quoi aurais-je l'air, Rassamilagh, si je partais cette nuit, emportant comme un voleur la femme que je suis venu chercher? Elle est la fille du roi Tsongor. Ce ne sont pas les sentiers nimades du désert que je veux lui offrir pour dot, mais sa ville reconquise. Elle ne saurait vivre ailleurs. Son père me maudirait entre ses dents de mort s'il apprenait que j'ai fait de son héritière une errante. Cette ville est à nous. Il n'y a pas de victoire si nous ne parvenons pas à la prendre.

- J'ai dit ce que j'avais à dire et je ne regrette pas d'avoir parlé, répondit Rassamilagh. Aucun de vos arguments ne me convainc. C'est le goût de la victoire que j'entends dans vos bouches. Je le reconnais. Mais je vois que je suis le seul à penser au départ. N'ayez crainte. Je resterai avec vous. Rassamilagh n'est pas un lache. Mais souvenez-vous de cette nuit où tout aurait pu s'arrêtez et priez pour que nous n'ayons jamais à regretter sa douceur de myrte."