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30/04/2012

Le maître de thé de Yasushi Inoué

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Le Maître de thé de Yasushi Inoué, traduit du japonais par Tadahiro Oku et Anna Guerineau, ed. Stock, 1995 / Le livre de poche, 2000, 158p.

 

A l'aube du XVIIe siècle, le Taïko Hideyoshi - deuxième des trois grands unificateurs du Japon - ordonne à son maître de thé Rikyu de se donner la mort. Ce qu'il fait, sans demander grâce, sans animosité, et sans que personne ne comprenne jamais cette sentence soudaine.
A partir de ce mystère, Yasushi Inoué imagine les pérégrinations, les rêves et les rencontres du disciple de Rikyu, Honkakubo, durant la trentaine d'années pendant laquelle ce dernier survit à son maître bien-aimé. Tout cela à travers les délicates effluves du véritable personnage principal de l'ouvrage : le thé.

Une petite mise en garde, tout d'abord : la quatrième de couverture vend extrêmement mal le livre et risque d'engendrer quelques déceptions ! Non, il ne s'agit pas d'un livre-enquête et Honkakubo ne tente pas d'élucider le mystère du suicide de Rikyu - il dit lui-même dans le dernier tiers du roman qu'il n'a jamais cherché à faire la lumière sur cette affaire.  Ne vous fiez donc pas à ce résumé fait pour appâter le chaland.

En vérité, ce petit livre est une longue et délicate méditation sur le thé, sur le temps et sur la mort. Dans ce Japon ancestral, terriblement suranné et aérien, sévissent d'incessantes batailles et nombre des personnages jalonnant le récit sont samouraïs ou anciens samouraïs. Le Chanoyu, l'art de servir le thé, est d'ailleurs considéré comme un art martial au Japon, au même titre que le kendo, le judo ou la calligraphie.
Malgré l'apparente pesanteur de ce propos, Le Maître de thé est incroyablement zen, reposant, paisible, dépaysant. Le lecteur est transporté dans un espace nouveau, parfaitement calme et blanc et il apprend, petit à petit, le déroulement d'une cérémonie du thé. Il y rencontre les étranges personnages majeurs de cette tradition. Tout comme un bol de thé précieux et brûlant, il se boit mais par petites gorgées, lentement, et dans une concentration parfaite. Quelques dizaines de pages par ci, par là, sans dévoration, afin de saisir tous les arômes, toutes les subtilités et l'essence même des choses dites.

Même si certaines affinités spirituelles et gustatives sont probablement nécessaires pour apprécier un tel livre, sa lecture fut pour moi un coup de coeur parfait et immédiat comme cela faisait longtemps. N'hésitez pas à tenter votre chance avec ce petit ovni oriental, le voyage pourrait vous plaire aussi !

Je vous joins à cette chronique un intéressant document très accessible et synthétique sur l'histoire de la cérémonie du thé japonaise, dans lequel vous apprendrez notamment que Rikyu a révolutionné cette cérémonie en lui attribuant ces codes et rites basés sur le respect de toute vie et la contemplation de la beauté, ce qui, dans le livre est appelé "style simple et sain".

 

 

 

 

ChallengeDragonFeu.jpgChallenge Dragon 2012

4/5 pour les livres

27/04/2012

La vague de Todd Strasser

La Vague de Todd Strasser, Jean-Claude Gawsewitch Editeur, 2008 ; Pocket, 2009
(Edition originale : The Wave, Random House Inc, 1981)

 

Le pitch de départ donne tout simplement l'eau à la bouche et j'étais franchement emballée lorsque je suis tombée sur le livre.

En gros, en 1969, un professeur d'histoire américain met en place une expérience audacieuse pour démontrer à ses élèves la force et les mécanismes des régimes totalitaires. Il crée un mouvement dont il devient le guide, La Vague, basé sur ces trois règles : La force par la discipline ; la force par la communauté ; la force par l'action. On y retrouve tous les principes du nazisme et cette idée sensée appâter le chaland (et Dieu sait que ça marche) que tous les membres du mouvement appartiennent à une élite.
Ca marche tellement bien que la réalité dépasse rapidement la fiction. Les élèves s'y engouffrent. S'en suivent toutes les dérives attendues : les signes distinctifs, la ségrégation, les menaces, les violences. Bref, d'un coup, le jeu n'a plus rien de drôle. Et tout l'objet du livre est précisément de démontrer comment un homme peut occulter totalement son libre arbitre au profit de la masse et se rallier aveuglément à un leader. 

Voilà, ça, c'est le pitch. Avouez qu'il y a de quoi s'attendre un livre fort et violent avec des personnages soignés aux petits oignons, une démonstration du processus d'endoctrinement, et une chute à faire frémir.
Sauf que. On se retrouve avec une soupe d'une nullité assez accablante. Tellement accablante qu'il n'y a pas tellement de critique constructive possible : tout est mauvais. Le style déjà, ou devrais-je dire le non style. Mais vous allez me dire, l'objectif de l'ouvrage n'est pas de faire une perle de poésie. Soit.
Mais le fond ne suit pas non plus. A trop vouloir faire simple, il en est superficiel. A trop vouloir être abordable, à ne pas creuser les évènements, ils s'enchaînent grossièrement avec absurdité. A ne pas vouloir étoffer les personnages, on a des caricatures de séries pour ado à la Beverly Hills (on a même la réplique d'Andrea qui dirigeait le journal du lycée aha). Cela ne démontre même pas les principes des régimes totalitaires parce que c'est juste inconsistant et sans aucune crédibilité. Tout est raté. 

Un tel foirage explique sans doute que le livre ait attendu autant d'années avant de trouver un éditeur français pour le traduire. 
En tous les cas, je ne m'explique pas qu'il ait été un tel bestseller. Ou si, je me l'explique. Mais bon, il y aurait peut-être là un peu trop de condescendance... Hmm...

 

24/04/2012

Les femmes du braconnier de Claude Pujade-Renaud

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Les femmes du braconnier de Claude Pujade-Renaud, ed. Actes Sud, 2010 / Babel, 2012

 

 

Cet obscur braconnier, ce charmeur de bêtes magnétique et puissant, c'est le poète anglais Ted Hughes. Lors d'une lecture sur le campus de Cambridge en 1956, il rencontre Sylvia Plath, alors jeune étudiante américaine en Littérature et appelée à devenir une des plus grandes poétesses de son temps. Entre eux, c'est la passion immédiate, le mariage quelques mois plus tard, puis la création, la vie conjugale, deux enfants et des échanges fascinants, intenses, sur le fil. Après une lourde dépression en 1953, Sylvia Plath restera toujours habitée par une profonde déchirure malgré ses apparents débordements d'énergie ; Ted Hughes, quant à lui, ne saura jamais vraiment se résoudre à la monogamie. Au bout de six ans, c'est la sensuelle Assia qui sera à l'origine de leur rupture, premier maillon d'une longue série d'évènements tragiques.

Il faut dire que quand j'aime tout particulièrement un artiste, en l'occurrence ici Sylvia Plath, et qu'en plus j'ai eu l'occasion de l'étudier pour les besoins de l'Université, il m'est toujours très délicat d'attaquer un ouvrage le concernant, surtout si ce dernier se présente comme une fiction.  Je suis immédiatement à l'affût de quelques inexactitudes ou de clichés trop flagrants et surtout de l'essence même de l'artiste esquissé. En gros, je pars avec un a priori suspicieux et c'est à l'auteur de faire ses preuves, de me convaincre. Et Dieu sait qu'il m'ait arrivé d'avoir des déconvenues assez magistrales.
Je me suis donc lancée dans Les femmes du braconnier avec le sourcil froncé et une petite moue interrogative.

Mais très rapidement, ma moue s'est transformée en sourire de plaisir : Claude Pujade-Renaud m'a littéralement emmenée dans l'univers captivant de son roman polyphonique ! Elle y mêle avec brio la voix des poètes et celles des personnes alentours ; un style précieux, délicat et la rudesse d'une intimité exaltée.
Les mauvaises langues pourraient dire que le procédé est un peu éculé, un peu artificiel. Il est vieux comme le monde pour brosser le portrait de personnalités à multiples facettes, à la complexité notoire. Qu'à cela ne tienne, l'auteure n'en maitrise pas moins les codes pour offrir un croquis parfaitement exact (à mon humble avis) de Ted Hughes et Sylvia Plath et de leur relation tumultueuse. J'y ai retrouvé la poétesse telle que je la voyais moi-même en lisant ses oeuvres grandement autobiographiques : à la fois fragile, obsédée par le fardeau du père disparu, parfaitement maniaque, acharnée au travail, dévoreuse d'amour et perfectionniste au possible. J'y ai également retrouvé la lourde emprunte de la psychanalyse qui n'a cessé de jalonner sa vie, pour le pire plus que pour le meilleur. Et puis cette vision de Ted, grand, charismatique, bestial, prédateur, et paternel. Honnêtement, plus je lisais, je me disais que Claude Pujade-Renaud avait tout compris !
A noter, en outre, que l'ouvrage fait de Ted Hughes le personnage principal, ce qui explique la poursuite du roman sur plus d'une centaine de pages après le décès de Sylvia Plath. Et finalement, le destin d'Assia ne diffèrera pas tant de celui de Sylvia, la reconnaissance littéraire en moins. Toutes deux subjuguées, âppées puis écrasées par la présence de celui qui donne tout à la poésie.

Un jeu de passion et de mort, tout en retenu et en délicatesse chez une auteure dont je poursuivrai la découverte après un coup de coeur si délicieux!

 

Merci à ma Clara fraise des bois pour cet ouvrage glissé dans mon swap printanier !

 

 

*

 

 

"Vous savez, je l’ai compris depuis peu : écrire ne sert à rien. Je veux dire, ne protège pas contre le désespoir ou la dépression. Je l’ai cru, lorsque j’avais dix-huit ou vingt ans. Plus maintenant. Non, écrire ne guérit de rien… On recoud la plaie au fil des mots. On enfouit le mal sous l’écorce du langage. La plaie se referme, ligneuse. En dessous, ça s’enkyste. Ou ça suppure."

 

 

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